THE VOICE – Paris le 9 Janvier 2017

Portrait d’ÉLOÏSE ODDOS par ©Pascal Therme/2017.

VERSION COURTE POUR LE MAGAZINE REBELLE

Il y avait là, sur ce parterre de l’Elysée, toute la presse officielle, toutes tendances politiques confondues, les directeurs des chaînes de télévision, des grands quotidiens, la presse internationale, tout ce que comptait la République de personnages importants tant par leurs fonctions que par leur personne; il était important que la cérémonie d’investiture du nouveau Président soit un plein succès médiatique, un évènement majeur: La France, suite à une campagne historique, venait de tenir l’improbable, l’impossible gageure d’élire sa première Présidente de la République de son histoire.

Quelques minutes avant qu’elle ne parut sur le perron du palais de l’Elysée, on sentait au delà de la tension générale, une sorte de ferveur s’emparer de chacun, l’air était devenu électrique, on espérait découvrir un visage ente-aperçu jusqu’alors, presque indéfini. En effet, seule sa voix  s’était imposée familièrement au plus grand nombre, ceci était dû à la simplicité revendiquée de son approche, la puissance ouverte de ses interventions. Ce qui avait fortifié la relation de confiance nécessaire à tout futur président, mais assez étrangement cette voix avait franchi les barrières du quant à soi, était devenue presque intime, si bien que nombre d’électeurs l’avait identifié par celle ci. On allait enfin voir son visage, dans la pleine lumière de cette fin de matinée de Mai…Tous s’attendaient à un événement majeur, une révélation.

Jusqu’à ce jour, la seule perception signifiante de la candidate avait été singulièrement cette voix jeune, généreuse, cordiale, légère et grave à la fois, amusée, profonde, mais plus que tout, pénétrante, définitivement familière, liée à ce parler vrai, assez nouveau en politique. Dans ses hésitations, quand elle semblait vouloir interrompre son propos pour introduire une confidence, quelque chose d’intime et de personnel se produisait, résonnant très profondément en chacun. Son grain était assez fin, sans accentuation précise. Un léger voile parfois, lors de certaines retransmissions indiquait une fatigue passagère, ce qui donnait une présence accrue, voile disparu dès le lendemain pour faire place à une tonicité heureuse, limpide.

On eut dit que cette voix était avant tout un mystère charmant. Et c’était là aussi un point important de son succès, cette non représentation , cette absence plus précise de visage, avait produit, en creux, une réceptivité accrue de ses dires, liée à la couleur de cette voix qui parlait juste et venait mourir en chacun, beaucoup y allaient de leurs suppositions, se répandaient en conjectures, tant son pouvoir hypnotique, sa puissance de persuasion était grande et changeante, dans une mutabilité gracieuse qui posait question. Cette voix, était en tous points, une merveille de la Nature, tout dire, elle pouvait se permettre de tout entreprendre, tout révéler, des beautés secrètes du monde et du sens de chacun, des réconforts nécessaires à tout être vivant en ce temps là, et plus encore… Une force chaleureuse et hypnotique traversait le filet de cette voix sonore, comme au travers des bois celle d’un proche disparu et dont la trace, à jamais indélébile, continuait de se faire entendre, au delà de l’absence, au delà du temps.

Ses talents d’oratrice étaient sans précédent. Amicale, passionnée, fraternelle, cette voix claire et sensible, avait gardé pendant toute la campagne une mystérieuse énergie, alors qu’elle avait réussi à convaincre un très grand nombre, touchant à chaque débat, le coeur même de ses adversaires, les couchant sur son passage pour montrer les erreurs d’analyses, de systèmes de pensées, d’ idéologies, de paradoxes et de contradictions, mais plus encore, en les persuadant d’être libres d’eux même et d’écouter avec bonheur et générosité, leur propre chant, d’entrer en relations profondes avec ce fond d’humanité qui  est en chacun de nous et qui est ce ciel intérieur, ce chant du monde permettant une relation à l’autre, faite de partages et de dons.  Beaucoup, placés face à eux mêmes, n’avaient d’autres choix, s’ils étaient a minima sincères, que d’en reconnaître les bienfaits, s’ils ne l’étaient pas, une chute fatale s’en était suivie dans l’opinion, bref cette douceur était devenue redoutable, elle avait le pouvoir de démasquer l’imposture…

Ce chant avait la magie du chant des sources. L’air se trouvait plus respirable après qu’elle eut parlé…initiait une paix intérieure et noble, qu’illustrait fort bien ce vers rimbaldien: «  le tendre bonheur d’une paix sans victoire ». On devait y voir l’absence de tout combat, de tout ostracisme, un point où le jour se fait en soi,  passant ses demeures anciennes.

Une voix se faisait alors singulière et charmante, au delà des frontières, dans le creuset de la langue…un mot venait immédiatement sur les lèvres: EVOHÉ.

Bref cette voix avait éteint tous les orages, pacifié toutes les terres, su faire éclore des dialogues nouveaux émouvants, plus propices à partager qu’à condamner et c’était la raison majeur de ce succès, elle rassemblait sous cette bannière beaucoup plus que ses contradicteurs.

Sa douce persuasion était une pluie d’été  sur une terre asséchée depuis longtemps..

Un chant majeur avait grandi au fil des jours grâce à cette voix avec sens, intelligence du coeur et raison.

Aussi, quand elle parut au haut du Perron, dans ce tailleur bleu, qu’elle se dirigea vers les micros, longs cheveux châtain détachés, port de tête digne, présence absolue et solaire, un silence religieux se fit, … éternel, puis son vrai visage apparu sur les écrans. Une immense clameur de joie envahit le pays tout entier: des yeux bleus immenses et gais, souriants, malicieux et complices, irisés de verts et de gris, sur un visage libre et jeune, nez droit, bouches ourlées, lèvres finement dessinées. Elle se tenait là, devant les caméras, visiblement fière et attentive, remerciant ses électeurs sous un ciel bleu de Mai.

« The Voice », ainsi l’avait on surnommée depuis quelques mois, avait la beauté princière de sa voix… Elle avait « le bleu regard qui ment. » (Les poètes de sept ans, Arthur Rimbaud), aimant et juste…le rayon bleu de l’oméga.

VERSION LONGUE

Il y avait là, sur ce parterre de l’Elysée, toute la presse officielle, toutes tendances politiques confondues, les directeurs de campagne, les directeurs des chaînes de télévision, des grands quotidiens, la presse internationale, tout ce que comptait la République de personnages importants tant par leurs fonctions que par leur personne, ce qui avait obligé les services de sécurité à ’imposer un protocole très strict afin que la cérémonie d’investiture du nouveau Président soit un plein succès médiatique, un évènement majeur: La France suite à une campagne historique venait de tenir l’improbable, l’impossible gageure d’élire sa première Présidente de la République de son histoire.

Quelques minutes avant qu’elle ne parut sur le perron du palais de l’Elysée, on sentait au delà de la tension générale, une sorte de ferveur s’emparer de chacun, les yeux s’embuaient, les mains se touchaient, l’air devenait électrique, on espérait découvrir son visage encore inconnu du grand public. En effet, seule sa voix  s’était imposée familièrement au plus grand nombre, ceci était dû à la simplicité revendiquée de son approche, la puissance ouverte de ses interventions. Ce qui avait fortifié la relation de confiance nécessaire à tout futur président, mais assez étrangement cette voix avait franchi les barrières du quant à soi, était devenue presque intime, si bien que nombre d’électeurs se sentaient proches d’elle, la considérant affectivement comme une amie, une soeur, une fille, une mère, une maîtresse, une épouse, une confidente.

On allait enfin voir son visage, dans la pleine lumière de cette fin de matinée de Mai.. Tous s’attendaient à un événement majeur, une révélation.

  Jusqu’à ce jour, la seule perception signifiante de la candidate avait été singulièrement cette voix généreuse, cordiale, sans équivoque, parlant vrai, sans fausse note, éloquente, chaleureuse et vibrante, légère et grave, amusée, profonde, mais plus que tout, pénétrante, définitivement familière, comme si ce fut un parent.  Dans ses hésitations, quand elle semblait vouloir interrompre son propos pour introduire une confidence, quelque chose d’intime et de personnel se produisait, résonnant très profondément en chacun. Son grain était assez fin, sans accentuation précise. Un léger voile parfois, lors de certaines retransmissions indiquait une fatigue passagère, ce qui donnait une présence accrue, voile disparu dès le lendemain pour faire place à une tonicité heureuse, limpide et solaire.

On eut dit que cette voix était avant tout un mystère charmant, sans que personne n’eut pu dire à qui finalement elle pouvait appartenir, ou du moins être en position de se la représenter d’une façon plus précise. Et c’était là aussi un point important de son succès, cette non représentation , cette absence plus précise de visage, avait produit, en creux, une réceptivité accrue de ses dires, liée à cette couleur imprécise mais définie pourtant qu’aucun ne savait précisément placé, à sa vibration, voix qui parlait juste et venait mourir au centre de chacun, comme un écho lacté et stellaire; tous y allaient de leurs suppositions, se répandaient en conjectures, en paris, tant son pouvoir hypnotique, sa puissance de persuasion était grande et changeante, dans une mutabilité gracieuse qui posait question. Lors de certains débats, la candidate avait fait rire ses auditeurs par certains accents qu’elle avait emprunté aux régions, non pour s’en moquer mais pour en faire un jeu, une plaisanterie de circonstance. Elle s’était ainsi, attiré les faveurs de tous les terroirs, juste par ces jeux de langage et plus encore par la simplicité de ses réponses.

Cette voix était de tout point de vue une merveille de la Nature, on y respirait autant les saisons, le soleil, le crépitement d’un feu sonnant clair, quelques grains de poussière attisés du soupir du vent, une marée ample au souffle marin, le vent d’autan dans les pins, quand la catastrophe est imminente et que, soudain, devant le drame certain d’un feu d’été, un ciel lourd délivrait les pluies serrées venues en renfort; la terre respirait enfin les exhalaisons parfumées de la poussière mouillée et des pierres sèches des chemins forestiers, et tout cela tenait à une suggestion, une intensité particulière, un passage à l’octave. Cette voix, aurait on dit, pouvait tout faire entendre, tout dire, tout entreprendre, tout révéler, des beautés secrètes du monde et du sens de chacun, des réconforts nécessaires à tout être vivant en ce temps là, et plus encore… Une force chaleureuse et hypnotique traversait le filet de cette voix sonore, comme au travers des bois celle d’un proche disparu et dont la trace, à jamais indélébile, continuait de se faire entendre, au delà de l’absence, au delà du temps.

Ses talents d’oratrice étaient sans précédent. Amicale, passionnée, douée, cette voix claire et sensuelle, avait gardé pendant toute la campagne une mystérieuse énergie, alors qu’elle avait réussi à convaincre un très grand nombre, touchant à chaque débat, le coeur même de ses adversaires, les couchant sur son passage pour montrer les erreurs d’analyses, de systèmes de pensées, d’ idéologies, de paradoxes et de contradictions, mais plus encore, en les persuadant d’être libres d’eux même et d’écouter avec bonheur et générosité, leur propre chant, d’entrer en relations profondes avec ce fond d’humanité qui  est en chacun de nous et qui est ce ciel intérieur, ce chant du monde permettant une relation à l’autre, faite de partages et de dons.  Beaucoup, placés face à eux mêmes, n’avaient d’autres choix, s’ils étaient a minima sincères, que d’en reconnaître les bienfaits.

Encore aurait on dû plutôt évoquer une parole libre, profondément singulière,  plutôt qu’une forme du discours politique en soi….Tout reposait, s’articulait dans une approche simple des problèmes, en partant des vrais besoins de la vie et en démystifiant toutes les prises de pouvoir des acteurs d’un système qui broyait celle ci pour le compte de profits exorbitants, confinant à la déraison (90 personnes possédaient de quoi faire vivre trois milliard d’êtres humains, n’était-ce pas là, le signe objectif d’une faillite entière du système), en montrant comment les intérêts particuliers primaient l’intérêt général dans l’égoïsme et l’appauvrissement du sens même des valeurs historiques fondatrices de la République.

Ce verbe éveillait en chacun le sens de la vie, avec générosité et pudeur. Tous se sentaient régénérés, à l’issue de ses prises de parole, inséminés de l’esprit universel qui courait sous les mots, appels à une vie ouverte au sens et libre, dans le respect de la Nature, de l’Autre et des Lois, si elles n’étaient pas en contradiction avec la bien général, dans un souci de pacification, d’éclaircissement, de libérations des tensions. Elle aimait citer Hampaté Bâ, ce griot magnifique en rappelant qu’il n’y a pas de petites querelles qui ne se terminent en guerre absolue et en destruction du bien général…selon le conte du même nom.

Ce chant avait la magie du chant des sources. L’air se trouvait plus respirable après qu’elle eut parlé…dans une paix intérieure et noble qui respirait le vent ailé du matin, l’air doux des printemps, la nuit calme des étés triomphants,  et qu’illustrait fort bien ce vers rimbaldien, ô combien médité, toujours actif et sobre, dans ses implications ordonnantes: «  le tendre bonheur d’une paix sans victoire ». On devait y voir l’absence de tout combat, de tout ostracisme, y quérir la  seule jouissance, point où le jour se fait en soi, après que la nuit se soit unie au rêve majeur, vertiges, élévations, feux insoumis du songe, paysages d’obsidiennes,  verts paradis d’éternité et bruissements d’ailes, sommeil du juste… Tout fardeau déposé au creux de la mémoire, le corps agile  pouvait enfin voyager, passant ses demeures anciennes, au delà du temps, par le renouveau pacifié du chant.

Une voix se faisait alors singulière et charmante, au delà des frontières, dans le creuset du langage…et ce mot venait immédiatement sur les lèvres: EVOHÉ.

Bref cette voix avait éteint tous les orages, pacifié toutes les terres, su faire éclore des dialogues nouveaux émouvants, plus propices à partager qu’à condamner et c’était la raison majeure de ce succès, elle rassemblait sous cette bannière beaucoup plus que ses contradicteurs. Sa douce persuasion était une pluie d’été  sur une terre asséchée depuis longtemps..

Un chant majeur avait grandi au fil des jours grâce à cette voix avec raison, passion, sens et dons.

Pour tout dire, on ne connaissait que sa silhouette, personne n’avait pu filmer la candidate à visage découvert; elle portait tantôt des foulards chics, quelques larges chapeaux de chez Rykiel, et, toujours de grandes lunettes aux verres fumés, si bien que son visage était resté assez flou, très en dessous de l’impression laissée par sa voix. Les journaux l’avait surnommé The Voice et c’était très bien ainsi…la focalisation des médias s’étant faite sur l’incroyable roman qu’elle était en train d’écrire avec le réel; issue de la société civile, médecin pour une ONG, en charge d’hôpitaux et d’unités médicales mobiles pour tout l’Afrique de l’Ouest, elle était rentrée de mission, après 7 ans d’absence, deux années auparavant, malade et blessée (au visage disait-on), ce qui, au vu des quelques mois de campagne ne semblait plus appartenir qu’à un lointain passé.

Était elle blonde ou brune, ses yeux, verts, bleus ou marrons, toute une presse féminine se posait la question alors quelle  en était devenue le champion. Le dévouement de son métier  et l’intelligence qu’elle avait déployée en toute simplicité pendant ces derniers mois pour combattre préjugés, idéologies diverses et promesses frauduleuses, imposaient l’urgence de regarder en face les situations pour les intégrer et pouvoir les dépasser.  Son combat était aussi volontaire et ferme, moral, à l’heure où les défis des sociétés, du climat, demandaient des réponses sans tarder. Il fallait à ses yeux sortir de cette logique productiviste,  debugger le système, rendre la Justice, ouvrir la vie politique à tous, afin que se créent des solutions admises et partagées par le plus grand nombre, bref faire de la France un pays au renouveau universel, digne de l’impulsion des Lumières qui avaient réussi à essaimer, en leur temps, l’esprit de Justice et d’Équité, de Fraternité, partout en Europe et dans le Nouveau Monde, provoquant un immense appétit, une soif inextinguible de Paix et de Connaissance.

Ce programme et sa puissance de conviction, comme son charme avait fait d’elle la candidate que le pays attendait. Elle avait été élue avec 67,7 % des suffrages.

Aussi, quand elle parut au haut du Perron, dans ce tailleur bleu, qu’elle se dirigea vers les micros, longs cheveux châtain détachés, port de tête digne, présence absolue et solaire, un silence religieux se fit, … éternel, puis son vrai visage apparu sur les écrans. Une immense clameur de joie envahit le pays tout entier: des yeux bleus immenses et gais, souriants, malicieux et complices, irisés de verts et de gris, sur un visage libre et jeune, nez droit, bouches ourlées, lèvres finement dessinées. Elle se tenait là, devant les caméras, visiblement fière et attentive, remerciant ses électeurs sous un ciel bleu de Mai.

The Voice avait la beauté princière de sa voix…

Une onde de choc recouvrit le pays et une larme de bonheur perla de l’océan bleu-vert: «  elle avait le bleu regard, – qui ment! «  (Les poètes de sept ans) aurait écrit Rimbaud, preuve de l’amour incommensurable volant aux plis des jours…le rayon bleu de l’oméga.

La clameur, les applaudissements, une standing ovation célébrèrent celle qui allait changer le Monde….L’espoir était de nouveau permis. Alors qu’aucun nuage n’était présent dans le ciel, une onde légère parfumée se déversa comme une bénédiction divine sur Paris au moment où elle répandait sur la foule des participants ce regard limpide et aimant tel un grain de blé fécondé par le ciel…

On parlait beaucoup dans certains cercles du pouvoir, de Post-vérité, alors que le chant se faisait clair et haut, au sein de chacun et dans les champs cette fois de la société et de l’intimité rêvée. Le siècle était en marche. Résolument pour le meilleur.

©Pascal THERME

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