PORTRAITS à VICHY
Le Festival PORTRAITS à Vichy vient d’ouvrir ses portes au public pour tout l’été, jusqu’à au 9 Septembre, établissant dans sa Sixième édition, la grande qualité de ses choix éditoriaux et le voyage qu’il propose au sein de la thématique assez large du portrait, une dizaine d’écritures authentiques et assumées se proposent à la lecture.
Sous la Direction Artistique de Fany Dupêcher aidée de Pascal Michaut, Karim Boulhaya, le festival compte une dizaine d’expositions importantes, où il est aisé de s’y rendre, du centré culturel Valéry-Larbaut, en centre ville où sont exposés Justine Tjallinks, Nelli Polamäki, Thomas Sauvin, Denis Dailleux, Gilles Coulon, puis à quelques pas, à la Médiathèque, le prix du jury, Héloise Berns. Une charmante et brève promenade invite à se rendre sur les quais de l’Allier, ici d’une ampleur majestueuse, où sont exposés en extérieurs les portraits de Mark Seliger. Au passage, à la sortie du centre culturel, sur le chemin de l’Allier, Karma Milopp, couple créatif, s’est emparé des parvis de l’église Saint Louis et de celui de la gare SNCF. C’est ici que les vichyssois pourront se mesurer au regard du couple d’artistes de Karma-Milopp ayant réalisé une série de portraits de familles vichyssoises
Interview Fany
ENTREVUES DE GILLES COULON
Pour élargir ce travail avec la ville, dont le maire Frédéric Aguilera soutient le festival depuis sa création sans faiblir et dont le propos est de forger un lien plus ouvertement culturel entre tous les habitants, la résidence de Gilles Coulon, la cinquième à Vichy, renforce le lien entre les différentes cultures à travers une série de portraits des stagiaires étrangers, désireux d’apprendre le français. Ces “étudiants” de tous âges et de toutes nationalités sont hébergés par des vichyssois, le temps de leurs études. Il se tisse des liens profonds et des échanges entre ces presque 4 000 personnes chaque année et la ville. Gilles Coulon, par cette résidence à produit, en lien avec le CAVILAM-Alliance française, l’organisme de tutelle, une série de portraits, où ceux ci se livrent très spontanément à l’exercice. L’exposition a pour nom Entrevues. Gilles Coulon parle ici d’humanité et d’humanisme, dans une très belle série où les regards sont intenses, justes, les visages et les corps peuvent apparaitre avec leur vérité dans l’oeil du photographe, qui se consacre à recueillir le témoignage d’une présence, d’une histoire, à peine effleurée; tout se tient dans l’instant de la découverte et la mise en présence. Le cadre est dépouillé, il se résume à une pièce de l’appartement vichyssois où ces personnes habitent le temps de leur séjour et à ce qui s’échange de leur être là, au cours de la séance de prise de vues. Intense, sobre et touchant, sans dramatisation, en toute liberté, Gilles Coulon a réussi à photographier ce lien invisible qui s’est tissé entre la ville, ses habitants et ces étudiants.
Interview Gilles Coulon
THE BEAUTY IS ALWAYS STRANGE DE JUSTINE TJALLINKS
En entrant dans la galerie du centre culturel on est frappé par la scénographie qui distribue les six expositions, agréable, ouverte, fluide. Le premier regard est allé à Entrevues de Gilles Coulon sur fond noir, au centre de l’espace et à ses tirages de moyennes dimensions. The Beauty is always strange de Justine Tjallinks attire oeil par ses portraits de lumière, d’une esthétique très « fashion », très mode, où les influences picturales de la peinture flamande sont rehaussées de la modernité que l’image de mode porte quand elle est bien réalisée. Une légèreté vient s’imposer aux “Models” dont certaines ont la grâce due à leur présence, énigmatique, étant atteinte pour certaines de cécités ce qui les rend assez étranges pour être belle dans une poésie visuelle qui accompagne l’image, la fonde particulièrement; certaines des robes qu’elles portent sont l’oeuvre de designers. Ainsi cette robe en voile de gaze de la série Jeweled (Shun) 2016 est elle, à mes yeux, une interprétation de Belle de nuit, yeux clos à la lumière extérieure, mais ouvert sur soi, en soi. Qui habite sa nuit à ce point des cécités et qui a gagné une densité heureuse aussi fondée, aussi visible parce qu’arrêtée sur soi, cette intériorité est portée par ce qui semble un endormissement, une forme de somnanbulisme s’empare tout à coup de l’image… attention au dormeur qui sommeille! Une présence magnifiée dépasse l’inquiétante étrangeté, dans un basculement de sens, poétique. Cette silhouette statique, presque figée, ne l’est qu’en apparence, un voyage a lieu ailleurs, en elle, c’est sans doute ce qui provoque une sorte de transe, de suspens du temps devant la constance d’une paix intérieure. Les vêtements de Couture sont alors comme une chrysalide de papillon, laissant percer l’étrangère dans l’étrangeté, la beauté dans le discernement, et dans ce décalage, l’étrangeté qui y réside, cette autre en soi qui fait le sujet du portrait, cette autre au delà et en dedans du corps au souffle blanc. Extrêmement touchante, travaillant ses lumières vers une transparence afin que les visages, les corps, les vêtements se rejoignent dans une légèreté et un cadrage très assumé, Justine Tjallinks s’explique dans l’interview qui suit. Au delà de l’éphémère que la photographie de mode impose à son auteure, Justine Tjallinks joue d’une poétique où s’assume ce titre The Beauty is always strange, parce qu’elle ne formule que des présences comme si un jeu de poupées russes en résultait, jeux de la perception et de l’introspection.
Interview Justine Tjallinks
Ce que je perçois des travaux exposés n’est pas le fruit d’une anecdote, ni d’un hasard, mais résulte d’une approche, d’un travail formel, d’une tension et de problématiques. Les portraits qui s’exposent ont cet état contingent d’un petit miracle, d’un événement qui est venu s’inscrire, s’écrire dans les sels d”argent insolés et se coucher sur le papier révélé magiquement, comme preuves de ces regards qui remontent les traditions du voir et s’inscrivent dans son histoire actuelle. Il est si facile d’être séduit sans chercher, de suivre le rêve du photographe en son image qui retient, évoque, parle, crée le voyage de Cythère, il n’y a qu’à suivre patiemment les traces de celui-ci et se laisser émouvoir.
NELLY PALÖMAKI SHARED
Ici la douceur énigmatique des portraits en Noir et Blanc de Nelli Palomäki, la série s’intitule Shared, portraits dont la gravité s’inscrit dans l’évanescence des regards, des corps languides, entre enfance et adolescence sage, éloge de la simplicité des êtres qui muent et dont la beauté touchante est encore ce souvenir tactile qui est resté au bout des doigts, dans la résilience sensible des impressions inscrites en mémoire. C’est un voyage vers les terres enfuies de l’enfance puis de l’adolescence, quand s’évade l’état d’innocence » et qu’il faut bien grandir, question qui hante toujours en quelques points chacun, dans sa personnalité, une terre enfuie s’accompagne souvent d’un paradis perdu, ce temps d’avant la responsabilité. Ces portraits de famille, frères et soeurs donnent ici l’occasion de rendre compte de toute la présence de ces passages à travers la simple présentation de ses modèles. Nelli Polomäki est issue d’une culture où les lumières du Nord de l’Europe entrent toujours dans son image comme un élément important, d’où, sans doute une parenté avec celles de la côte Ouest des USA se dessine, comme à travers également un autre photographe, Peter Lindberg. Ces enfants et adolescents voyagent au gré des images dans la simplicité retrouvée d’un temps et d’un lieu où ils ont été photographiés, jardins le plus souvent, dans ces liens fraternels que les corps tissent à ces âges et qui deviennent partie intégrante de leurs devenirs. La vie est ici inscrite au pli de la photographie et cette simplicité est un don.
APPLEBY de Mattia ZOPPELLARO. Mise en espace par Sylvie MEUNIER.
À voir le travail de reportage de Mattia Zoppellaro, dans une scénographie distributive de Sylvie Meunier, sur deux grands murs, le regard embrasse la totalité des photographies exposées pour revenir ensuite sur certaines. » « Chaque année, le premier week-end de juin, cette communauté se rassemble dans la petite ville d’Appleby, au Nord de la Grande-Bretagne, pour vendre des chevaux, faire la fête et célébrer sa culture. À mi-chemin du documentaire social et de l’essai personnel, le travail de Mattia Zoppellaro s’attarde sur les corps et les visages qu’il inscrit dans l’espace de vastes paysages, traduisant par ses images hautes en couleur la liberté d’esprit et de mouvement de cette population nomade. » dit le dossier de presse. Nous sommes ici face à une série d’images qui a pour thème les Gitans d’Irlande, d’Écosse, du pays de Galles et d’Angleterre. Mattia est un narrateur, un portraitiste de l’intensité de ces gitans britanniques en pleine fête, il en isole certains pour un portrait individuel, et « croque » les groupes assis sur l’herbe, en train de partager sandwichs et bières, femmes assises devant une caravane, scène vue de loin, communauté ébouriffée et joyeuse, jeunes femmes perchées sur un mur de brique, se laissant « draguer » par deux garçons très entreprenants. Tout y est, des mouvements, des corps, des intentions et des regards, de l’action, sans fard, le photographe est un complice admis et respecté, ainsi son regard peut il retenir cette tranche de vie, tout ce qui traverse la communauté, de moments extraits, donnant lieu à une série de portraits « les yeux dans les yeux. Le photographe se laisse lentement happé par ce qu’il se passe, voyage, identifie, échange afin de rendre ces personnalités mémorables, témoigne de cette part libre et heureuse de la vie là, où elle passe. Une sorte de fraternité s’exprime surtout après l’anecdote qu’il raconte dans l’interview. il fait partie de cette « gypsy community » Ce qui saute aux yeux, dans ces photographies est l’extrême liberté des scènes retenues, une séduction opère chez le photographe, il file son sujet dans ce parti-pris d’écoute et de justesse, sa photographie engouffre la réalité, toute la réalité de ces instants dédiés au vent et à la fête. les yeux dans les yeux….coude à coude.
mais écoutons le….
SYLVIE MEUNIER, mise en espace des expositions de MATTIA ZOPPELLARO et de THOMAS SAUVIN.
Fany Dupêcher a confié à Sylvie Meunier la tache de mettre en espace ces deux expositions, l’une ci dessus et l’autre de Thomas Sauvin qui, sur la base des Huit cent mille négatifs ramenés de Chine, a entrepris de réaliser, des éditions surprenantes, thématisées à partir de ce fond gigantesque. Il sera question de la Chine Populaire dans sa vie quotidienne, la vraie Chine donc, totalement passée sous silence… Sylvie explique quelle a été sa tâche et comment elle a fait ses choix…assez contributif si l’on y songe pour donner aux photographies et aux vidéos, leur dimension souhaitée, parti-pris d’accessibilité des oeuvres à la lecture…
THOMAS SAUVIN EXPOSE BEIJING SILVERMINE.
« Beijing Silvermine est un projet mené par Thomas Sauvin, un collectionneur et éditeur français qui vit entre Paris et Pékin. Depuis 2009, il a ravivé la mémoire de la Chine ordinaire en sauvant de la destruction plus de 800 000 négatifs, qu’il a classés par thèmes, époques et styles. Des premiers films Kodak grand public apparus en 1935 en Europe mais bien plus tard en Chine, jusqu’à l’essor du numérique dans les années 2000 qui signe la fin de la pellicule, les photographies qu’il a recueillies dressent le portrait vivace d’une Chine de l’après révolution culturelle, qui goûte pour la première fois aux loisirs et à la société de consommation. » source Dossier de presse
Thomas Sauvin présente ici une sélection assez large, scénographiée par Sylvie Meunier, de près de 300 images ainsi que les publications auxquelles elles ont donné lieu. Nous sommes entre art contemporain et installations, un visage de la Chine inconnue, prend forme dans une richesse documentaire sans précédent, et sommes toutes, très ludique, tout autant « politique ». Voici que ces photographies, achetées au kilo, entre 1985 et 2005, dévoilent le visage d’une Chine qui s’amuse, boit, fume, vit a l’occidentale. Apparaissent tour à tour des scènes festives , anecdotiques, la cigarette y joue un grand rôle comme l’alcool ou la consommation. Bref un mode de vie qui se laisse approcher à travers ses téléviseurs, objets importants de l’intérieur chinois, Frigidaires, voitures, rien à envier à l’Oncle Sam et à la course à la consommation des années 50/60.
Sylvie Meunier a su traduire cet effet d’échelle, a su transposer ce que les cinq éditions miracles, non pas des livres au sens classique, mais des tours de passe passe dans une approche beaucoup plus novatrice, ont de moderne et contemporain. Ces livres objets introduisent un autre rapport à la photographie, ici un paquet de cigarettes rouge renferme non pas des cigarettes mais des petits tirages colorés, là un livre noir aux alvéoles qu’il faut ouvrir soigneusement contient des tirages de petits formats issus de la vie quotidienne chinoise des années 90/2000; Toute la « banalité » fait ici image, document et apparait comme un petit miracle face à la propagande des années de plomb. Qu’y avait-il derrière le miroir, qui étaient les chinois, cette exposition tire le voile sur ces réalités bien communes, une fois dévoilée, c’est sans doute la raison qui nous fait apprécier la fraicheur de cette découverte et des éditions de Thomas. (voir la vidéo, écouter l’interview, Thomas raconte cette aventure.
DENIS DAILLEUX, PERSAN-BEAUMONT.
L’ histoire que rapporte Denis Dailleux dans l’interview est extrêmement intéressante. Cette série de portraits d’enfants et d’adolescents, issus de la banlieue de Persan-Baumont date d’une trentaine d’années, à l’heure ou celui-ci n’était pas encore le photographe qu’il est devenu. Ce sont ses premiers pas, une forme d’ auto-initiation au reportage « social » dans le prétexte, mais voilà qu’une image profonde s’éprend et s’épanouit dans une pureté formelle et dans un tracé magique. Cette série d’une quinzaine de portraits en noir et blanc est un peu un fondement, intemporel, se rapprochant pour certaines images d August Sanders et de toute une tradition américaine d’avant-guerre. Images intemporelles et rigoureuses, ces portraits ont quelque chose d’inaltérables, de fondamental, c’est un choc d’une grande douceur en même temps, tant ils s’installent profondément dans la mémoire, comme de « grandes photographies » qui condensent les êtres et la situation de la lumière, de l’instant où tout fait sens.
Refaire cette expérience aujourd’hui ne serait pas possible, toute une réalité sociale et politique a transformé en profondeur le contexte, les banlieues, les cités. Ce qu’il s’y passe n’est plus photographiable dans les mêmes termes. Un autre rapport social s’est installé qui prend le réel à rebrousse-poil. C’est pourquoi, au delà du documentaire, l’approche fondamentalement humaniste de Denis Dailleux est un élément important de cette photographie là. Les visages se donnent à voir, Denis reçoit ces corps d’enfants, d’adolescents qui font silence et pourtant crient silencieusement une violence sourde et solitaire dont ils sont l’objet et qu’ils réfractent , dans une attitude contrariée ou apparait en même temps cette solitude des égarés, des bannis, des hooligans et une certaine fierté triste, lancinante. Un beau livre en témoigne, paru chez le bec en l’air eds.
MARKMAR
MARK SELIGER 30 ANS DE PHOTOGRAPHIE et une Monographie aux éditions Abrams.
Les petites rues jusqu’aux berges de l’Allier, une dizaine de minutes à pied, conduisent à la rétrospective des portraits des personnalités mondiales, Obama de dos, Kurt Cobain, Jeremy Irons…. Mark Seliger collabore au fil de ces trente ans passés avec la presse luxe, de Vogue à Vanity Fair, de GQ à Rolling Stone avec pas moins de cent vingt cinq couvertures du magazine Rolling Stone. L’exposition est assez conséquente, on retrouve Tom Hanks, le Dalaï lama, Sean Penn en mauvais garçon, Billy Irvin, Jeff Bridges, Vickyana Torres, torride, Kim Kardashian en madone dénudée, ou Catherine Deneuve et Pharell Williams dans un palace parisien, Brad Pitt portant une robe, épaules dénudées, gueule d’ange, semble s’échapper d’une vielle bagnole américaine, chaque portrait, assez décalé et non conforme aux standards, porte une fiction, une mise en scène. La raison en est sans doute de trouver l’improbable moment où l’image parait. Un air de provocation séduisante donne une impertinence étoilée au photographe, qui ne cesse de transgresser les codes de la bienséance et du bon goût. Ses portraits cherchent au delà de l’image à parler des mythologies personnelles et livre un théâtre de situations abrasif. Testant la puissance de ses images à sa capacité innée de déporter les standards du genre, une monographie parait aux éditions Abrams, pour célébrer ces trente années de travail et cette photographie inattendue, mais espérée. Quand le monde craque…
interview
HELOÏSE BERNS, PREMIER PRIX pour sa série SEULE AVEC TOI
Le festival a attribué son premier prix au travail d’Héloise Berns pour sa série Seule avec toi, un travail sur la gémellité, d’autant plus touchant qu’il s’agit de ses propres filles. Exposée à la médiathèque, un trouble apparait quand les deux visages, les deux corps identiques se doublent systématiquement comme une répétition, une réplication. Héloïse parle d’un monde à part, d’une relation très excluante, les jumelles partageant, au delà du compréhensible, des attitudes et des sensations sans passer par la parole. Un monde redoutable s’est ouvert et ce travail a permis à la photographe de pouvoir assumer cette identité double et autonome, autarcique, touchant parfois à une forme d(autisme. Les photographies sont simples et faciles d’approche, mais elles cachent cependant une sorte de fascination devant la porte close. Héloise Berns déclare d’ailleurs dans un texte: » La gémellité est quelque chose de tout à fait particulier, auquel j’ai le bonheur d’être confrontée. Mais ça reste une intrigue, une question, quelque chose que je ne peux saisir qu’en partie, et de l’extérieur. Je veux montrer cette intrigue, quelque chose d’extraordinaire mais qui m’échappe partiellement, et dont il semble qu’on peut résumer le mystère par l’idée qu’on est seul à deux.Ce fut donc une chance incroyable pour la photographe que je suis de photographier mes jumelles : elles sont tellement ensemble qu’elles ne prennent absolument pas en considération le fait que je les photographie ! »
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