JEAN GAUMY, D’APRÈS NATURE.
La galerie Sit Down, dirigée par Françoise Bornstein, expose D’après Nature, de Jean Gaumy.
D’après Nature est également un Beau livre publié par atelier EXB.
Quatorze moyens et grands formats dialoguent sur les murs de la galerie SIT DOWN, dans une sollicitation silencieuse, comme une proposition de voyage, embrassant ce Piémont, fait de montagnes, de pierres, d’hiver et de bois, dans une immersion contemplative tirant vers l’Abstraction.
Jean Gaumy écrit à propos de ce travail: « Cette série photographique est le fruit de plusieurs séjours dans les montagnes et vallées “occitanes“ du Piémont. J’y’ai fait des rencontres marquantes et noué quelques amitiés. …. Je prenais le parti d’être pleinement contemplatif. … Pour seuls outils : le cadre du viseur, l’écoute, l’observation, quelques notes dans un carnet. Souvent la solitude devant le vide. Le silence. …. Lors de cette période, l’actualité mondiale aidant, je sentais bien, comme tant d’autres, l’irrésistible accélération de la rupture qui s’opérait entre l’espèce humaine et son environnement originel ; entre civilisation et nature. «
Et dans cette sensation de rupture, entre une société défaite et la communauté des hommes, allant vers une dissolution des buts de l’existence, d’un mouvement de dé-civilisation, une rupture des solidarités ancestrales, dans une perte globale des repères faisant humanités, Jean Gaumy cherche, à travers cet Art de l’instantanéité, à refonder, dans une écoute profonde, le lien plus ontologique à la Montagne et à ce qu’il implique de modestie, d’humilité, par ce regard où se re-cueille une expérience du sujet et du lieu, quand que celui-ci se laisse enfin regarder dans sa simplicité austère et nue, sans artifice.
Un mouvement dialectique entre le monde et soi reprend l’expérience d’une dissolution pour refonder les liens plus profonds avec ce monde là, perçu en sa surface picturale par un regard descriptif, où la surface des choses se trouve contemplée, balayée, quand l’œil du photographe passe par le cadrage et regarde enfin cette montagne , sous ses yeux et et qu’il en perçoit la présence nue, éternelle, au delà de l’homme. Le voyage de l’œil s’accomplit dans l’instant de son éveil, de ce qu’il moissonne dans cette austérité, dans cet abandon de lui même et qu’il trouve un chemin d’assises, ici, ces Alpes du Piémont où tout l’univers de la Montagne est devenu champ d’un voyage au sein des solitudes, fado, ou blues silencieux, cinéma japonais, pour ses paysages, dripping new-yorkais, cinéma italien d’Antonioni, deuil de la mélancolie, épuisement de la parole et de sa signification ( Les personnages antonioniens se trouvent dans un monde où l’on n’a plus rien à dire). Comme dans le cinéma antonionien, à la place de la parole et du discours vient l’image, dans laquelle se transmutent le noir et blanc et l’intensité. Celui-ci n’est pas voué à peindre les figures uniquement et à représenter le monde mais à intensifier la sensation du sujet absent à lui-même et à faire vibrer le trait, le contraste, le plan au son de ce qu’il découpe dans l’austérité des pans de la montagne, re-connus comme tels, rendus vivants au soi, revenus de l’oubli.
D’où résulte la conception de la vie, affirmant l’intensité ou la force explosive, qui n’admettra jamais la tristesse malgré le signe apparent de la chute et de la dépression – le plan des photographies est souvent tourné vers le bas – y compris la présence du regard invisible. Le Noir et Blanc l’efface en quelque sorte par sa puissance visuelle intense.La photographie de Jean Gaumy semble une main ferme, aimantée, tendue au dessus de l’abîme, un exercice délié, délivré de toute complaisance, se confrontant par sa volonté à la pierre, au granit, au basalte. Nous sommes en présence intensément de la montagne italienne au fort de ses présences, dans sa solitude fêtée. Le silence semble la promesse d’un conflit qui n’est plus, le témoin d’une paix espérée inaltérable, dure comme la pierre, un Eden perdu et re-trouvé.
Jean Gaumy, à force de concentration, descend en lui même, au centre de son être, dans l’invisible du puits magique, comme aux berceaux de sa force. Il écrit son temps, ce qui fait paysage, magnifie ce qui semble chaos pour surprendre une harmonie sous l’apparence désordonnée, irrationnelle de blocs de pierre, d’éboulis, de pans de montagne, plongeant, abrupts, vers l’abîme, découvrant la pierre colossale, dans son immobilité même, une impression toujours active de mouvements, voire de surgissements ou, relevant une route de pierres sèches contre l’infini, décrivant encore, l’étrange beauté des branches qui font traits sur fond blanc, haïkus, souffles, états des noirs et des blancs, dans une pureté idéale et abstraite. Un état de ce Chaos devient singulier foudroyant de beautés et de songes, d’éternités et de solitudes, l’humaine présence se trouvant éludée par l’enchantement graphique, de la simplicité d’un trait, de la puissance pulmonaire de la neige, de la couverture de l’abîme par le plumeau des bois… ici tout est Nature, Culture, traits, gravure, peinture, abstraction lyrique, chant de la terre, puissances verticalisantes, vivifiantes de l’esprit qui prend son envol à partir de la pierre, volonté structurante, libératrice dans l’ordre secret du monde, intuition du soulèvement, comme si, sur le manteau pétrifié des roches, la neige et les arbres étaient déjà cette caresse sensuelle de la surface, cet Éros du vivant, de l’air froid et brûlant, ces mots réconfortants et aimants de l’enfance, de l’amour, susurrés, à l’embrasement lent, à la foi dénudée.
Cette psychologie devient Image, à partir des éléments physiques et organiques de la Montagne dans leurs correspondances à ce qui voyage, immobile, sur la surface de la montagne, dans l’âme et le chtonos de l’auteur, la pierre dans son mouvement arrêté, l’arbre qui frisonne, la neige qui est tombée plus tôt, autant d’éléments présents qui animent cette renaissance au monde dans ces correspondances culturelles, artistiques avec l’aventure de tout un cinéma italien des années 60, l’Action Painting de Pollock et l’art japonais du trait, de la gravure.
Cette psychologie est dimension spectrale (miroir transparent) peinture du trait, chaos faisant harmonie: joindre l’immémorial des puissances d’un temps géologique dans une approche esthétique de la Nature pour en percevoir sensiblement le frémissement, la pulsation lente, dans un contre-temps que la photographie de Jean Gaumy sait retenir, fixer, au delà de son apparente immobilité, dans un dynamisme psychologique créatif, pour en décrire l’art: une poétique de la force du regard qui, au fort de sa concentration, peint tout le vivant guidé par le filet de cette voix intérieure, ici, chant de l’aède, intangible. Il est question d’une poétique de la surface et de la profondeur, peinte en sa lente admission à l’esprit par la contemplation, une séduction du tangible dans l’intangible, orphique, sans doute.
Il y a la dimension physique de tout le minéral et le végétal qui fait le paysage organique, les forces déposées dans la pierre, leurs nudités intrinsèques aimées par le voile ligérien des arbres, plus que nus, qui en peuplent les pentes, dans un système de complémentarité et d’échanges, de songes et d’amour, de balais, de temps arrêté à la pulsation douce, où un Éros sauvage, wild, distingue en dehors de toute humanité, toute confusion, toute corruption, toute pureté à la puissance inséminante encore endormie, belle au bois dormant proche de l’éveil, puissance du rêve éveillé.
Yves Bonnefoy explique dans son livre l’Inachevé, que, suite aux philosophes rationalistes, on ne voit plus dans l’arbre la nymphe et le divin dans sa présence voilée, et que Nerval y aurait ... » comme suffoqué, dans ce silence du monde, si tous les mythes d’ici ou là, toutes ces sacralités merveilleusement locales n’avaient pas remis leur pouvoir à une seule grande présence, cette fois la nature même, se révélant comme le substance commune de la source, de l’arbre, de la montagne: comme le tout et l’UN, sous la vêture de ce multiple. » (Page 139, ed Albin Michel)
Le photographe en nomme l’essence dans la présence par le geste que lui confère cette esthétique de la pureté et de l’essentiel, par le jeu des formes, du contraste, de la ligne, du trait, tous, ici, à mon sens, parties et sources de ce qui fait unité de regard et a-tension au sein de l’image, où, tout est vivant dans l’unité de l’orbe de la Nature, là où s’échangent, se répondent, s’aventurent, s’unissent la neige, les arbres, le chemin, la roche et la pierre et, où se cherchent encore les traces de la nymphe, énigme ou mystère, tout le problème est là. Où le voyage s’achève t-il, s’achève t-il d’ailleurs un jour, on est tenté de croire qu’il est déjà celui qui, représenté au sein du paysage, est devenu ce messager éloquent et disert dans le silence de l’image et dans ce qui du mystère de la création est rendu secret, bien qu’évident, se déployant en toute sidération sur les murs de la galerie, objectivement comme une image séduisante et pacifiante, pour sans doute rester enclose à bien des regards.
Regarder au centre semble être un vecteur de perte et de découverte, comme s’il fallait fermer les yeux pour pouvoir commencer à voir, et que, dans ce processus, soudain, une organisation du plan constitué prenait effet malgré soi, dans une contemplation, où le sujet de la photographie est moins le résultat de l’accomplissement d’une composition que celui de la traversée des apparences dans la joie d’une lecture de ce qui, soudain, s’anime en soi et pour soi et dont la preuve est ici tangible; la dé-couverte de cette beauté de la Nature, organique et tutélaire, où s’éprouve, dans l’objectivation du travail de la photographie en tant qu’anamnèse primitive issue d’une ontologie, un regard et une expérience intime de la co-naissance. de l’unisson, de l’unité, de l’universel, de ce qui est tourné vers le un, et de ce qui tient lieu et fait foi de la création.
Que sait le photographe, au juste que nous ne savons pas et qui se révèle à lui par ces opérations conjointes de l’obturation dans son déclenchement? Qu’est-il prêt à en revendiquer, sinon cette humilité devant la Montagne, cet effacement de la « civilisation » contrevenante, le solstice de son œil, la plénitude de sa main, dans son silence et cette sollicitation permanente de la surface, où ne cesse de voyager à l’infini ce regard, toujours alerte et vif, afin de répondre au frisson qui court en son sein, au plus profond de son abîme, vers la pointe supérieure de ce qui fuit et se tend, pour faire réponse aux questions métaphysiques qui sont au cœur de l’homme, de tout marcheur, de tout montagnard, de tout philosophe, de tout amant.
Il ya sans doute chez Jean Gaumy, une réponse nietzchéenne aux vers de Goethe: « L’aperception immédiate des phénomènes originaires nous plonge dans une sorte d’angoisse. Devant les phénomènes originaires, lorsque dévoilés, ils apparaissent à nos sens, nous éprouvons une sorte de crainte, qui peut aller jusqu’à l’angoisse. » Goethe, Maximes et Réflexions. La Nature apparait alors comme un Ungeheures, terme ambigu qui désigne aussi bien le prodigieux que le monstrueux…
Il s’en suit une sorte de pacification et de voyage entre ce que propose le plan général de l’image et la possibilité de faire glisser le regard en son sein, presqu’indéfiniment, dans l’espoir de s’y perdre et de s’y trouver, d’y être ce contemplatif, réjoui secrètement de tant de présences et d’oubli, un repos entre ce qui affleure et ce qui est enfoui, une sorte de stance, réponse dans une fréquence musicale à l’angoisse existentielle, qui, signe, en creux, l’avers d’une photographie, lente et descriptive, prenant en compte tout le vivant, entre la psychologie de son auteur et ce texte secret qui y est attaché… Ainsi voyons nous les arbres dans leurs traits, la chute d’eau dans l’ondulation de sa blancheur, la composition du plan où un mouvement double de descente du regard et de remontée croise la route en zigzag, évoquant une cicatrice, signe de l’éclair aussi, route oublieuse de la main de l’homme. (Le Z de Zorro-Zardoz, je vois le photographe assez joueur à ses heures pour ne pas y avoir pensé, comme signe précurseur d’une allitération magique..le Z de Zen.)
On voit ici, à la lecture et des photographies exposées qu’une forme de philosophie pneumatique (le Zen…), devient la condition de ce regard qui peint la pierre, la neige, les arbres, compose cette poésie visuelle, haïku moderne au sortir d’un vertige, d’une forme d’éblouissement, d’un souffle, tissant entre chacune des photographies présentées, un fil invisible. Fil d’argent issu de cette culture classique, on sait le photographe académicien, cultivé, sage, un homme qui a mis beaucoup de distance entre le monde et ses passions, ses pièges, pour se tenir plus éveillé, plus alerte et plus lent, en lui même, c’est à dire le plus souvent aux cimes de son monde, en pleine vitalité, en pleine réalité.
Il n’ya pas vraiment de rupture de sens entre l’image mentale active en la photographie de Jean Gaumy et l’artefact produit: un rêve venu à échéance de toute une Nature Vivante, est rendu à lui- même dans son mouvement par une sorte de dripping naturel, la toile tendue de l’invisible , par l’a-tension du peintre, du philosophe et du Sage…du photographe: le pinceau de ses yeux est main, sabre, vie, Hokusaï.
Paris, le 29 février 2024.
Exposition à la galerie Sit Down jusqu’au 13 Avril 2024.
Jean GAUMY D’APRÈS NATURE
TIRAGES PIGMENTAIRE SUR PAPIER BARYTÉ, SIGNÉS ET NUMÉROTÉS PAR L’ARTISTE
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publié dans L’Autre Quotidien ce 29 Février 2024. https://www.lautrequotidien.fr/hebdo/2024/2/27/daprs-nature-avec-jean-gaumy-fhrzn
https://exb.fr/fr/le-catalogue/20-dapres-nature.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Gaumy
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