
©Catherine Henriette, Courtesy Galerie Leica, Paris.
CATHERINE HENRIETTE EXPOSE LE BRUIT DE LA NEIGE, À LA GALERIE LEICA PARIS.
Nous sommes à l’extrême Nord du Japon, à Wakkanai, dans cette région d’Hokkaido, près du Cap Soya, un climat très rude sévit en hiver. Tout dort et se révèle pendant les quelques heures où un soleil froid dispense une lumière rare. C’est l’occasion pour Catherine Henriette de photographier ce qui s’offre à ses yeux, quand s’alignent l’être là du paysage et les lignes qui en structure le plan.
Catherine Henriette aime l’hiver. Dans ses séries précédentes, China Vintage, Conte d’Hiver, le Cercle de Lescun, la neige est souvent présente lui permettant ce climat de conte si particulier pendant le temps de ses voyages. Au delà de cette blancheur isolante purement visuelle, c’est une intention d’ordre plastique, graphique, qui œuvre à la prise de vues et qui enchante les tirages. On se souvient des paysages minéraux et des arbres du Cirque de Lescun, pris dans la neige, superbes de contemplations où le temps suspendu répond d’un éternel présent. La neige est ce sel des sommets qui re-dessine le paysage et en donne une vision toujours renouvelée.

©Catherine Henriette, Cirque de Lescun
Au japon, sur cette frange côtière, les surfaces glacées, enneigées donnent au regard une acuité particulière relayée par l’excellence de l’optique utilisée. Là, un bateau est échoué sur la neige, quand hier encore sous d’autres cieux, en d’autres pays, des silhouettes traversaient l’immensité des paysages, en un proche-lointain; en toile de fond, se jouait leur action, silhouettes s’ébattant au pied d’un pont immense ou sur le devant d’une vieille usine, avec sa haute tour de brique. Au Japon, aucun personnage, aucun animal ne vient habiter cette photographie. Le vent seul est roi, il accompagne Catherine Henriette dans sa quête d’horizons et d’harmonies.
Gabriel Bauret dont le texte présente l’exposition décrit magnifiquement cette ambiance: » Le lieu est déserté par les pêcheurs, les usines de poissons fermées. Ils ne veulent en cette saison braver une météo hostile pour sortir leurs bateaux : quelques-uns, figés dans le paysage et en grande partie recouverts de neige, sortent de la brume comme des fantômes. Les nuages, le ciel bas, les flocons portés par le vent qui font parfois écran, une mer grise au loin, emplissent ainsi le cadre de l’image. Certaines plantes, quelques tiges de roseaux ou fleurs séchées de tournesols, font de la résistance et émergent des dunes de neige ; ils dessinent de timides traits de couleur contrastant avec un panel de tonalités qui se déploie essentiellement entre le blanc et le gris. »

©Catherine Henriette, Courtesy Galerie Leica, Paris.
IL y a, à la galerie Leica, ici à Paris, le bruit du vent est une exposition bien silencieuce à mains égards, tout empreinte de ce sound of silence impérieux et musical, on sait la photographie muette, rendre sensible, audible ce silence, c’est traduire cet assoupissement de l’hiver en un état vibratoire, le retrouver au pli du regard, dans le franchissement des congères pour se laisser aller à la contemplation de cette côte d’Hokkaido, près du Cap Soya, en toute liberté, en toute création.
Catherine Henriette propose une photographie épurée, sobre, essentielle, assez contemplative en adéquation avec la rudesse de l’hiver à l’étrange portée de ce village de pêcheurs éteint, abandonné, sans que ce constat n’engendre une photographie dépressive. L’ œil de Catherine Henriette note ici, comme dans une fugue de Bach, toutes les nuances de gris, de blancs, de couleurs sombres mais non éteintes, dans une chromatique aux possibles correspondances sonores et musicales. Rêvez vous en couleur, vos rêves sont-ils aussi empreint de chants, on pressent que cette ballade dylanienne est musiquée, sifflante, le vent n’est plus silencieux quand il souffle, mais, aussitôt à l’abri à l’intérieur, la neige éteint les sons, un silence profond peut s’interposer entre le monde et soi.
Qu y a t il de si magique en cette côte là, de si lointain et de si proche? On dirait que cette poétique est celle de l’instant visible, quand, au bout du silence et de l’hiver, paraissent ces paysages côtiers, en sommeil, au repos, et que le vol du corbeau traverse l’image par la signature graphique de son vol. « Seigneur, quand froide est la prairie… »
L ‘hiver en son manteau poudré, en ses surfaces glacées, exalte également graphiquement la couleur, même minimale, même si, discrète en dehors des nuances de gris bleuté et de blancs neigeux. Dans le bruit du vent nous retrouvons cette couleur qui fait ponctum dans une attention qu’il faut porter finement, en regardant plus longuement les petits formats précieux, encadrés avec soin et sans reflet, exposés et s’approcher tout prêt pour lire dans le grain fin de l’image, ces nuances du trait d’abord, des fuites, de la perspective, de la butée du regard dans l’infini du ciel ou s’émouvoir en Micromégas, entre deux infinis, de la ligne lointaine de l’horizon…un corbeau noir, sur fond gris, en son bec tient la chair jaune-orangée d’un filet de poisson. Tout s’éclaire alors de l’intérieur, l hiver est vivant.

©Catherine Henriette, Courtesy Galerie Leica, Paris.
Cette côte du Japon a un charme rude, au froid sidéral déployé, reste-elle si morte quand vient ce jour pâle ? La réponse se trouve dans les lignes qui composent l’image, toujours nettes, fines, beaucoup de poteaux de signalisations routières de lignes électriques, d’éoliennes sont secouées par le vent dans un ciel tourmenté parsemé parfois de ce bleu tendre, alors que tout est gris ou blanc le plus souvent. Ce regard porte, à une certaine distance, le prisme des lignes formant les angles, rectangles, triangles, carrés; les verticales structurent l’image, dans une notation précise d’architecte, puis, à mesure que l’on s’éloigne et que les routes au macadam sombre reprennent leur droits, ces perspectives fuient vers la mer.
Cette photographie d’emblée poétique permet la sensation, de re-sentir le froid, la neige, la mer grise, les joncs ployés par le vent dans une solitude solaire heureuse quand se croisent les paysages déployés et que l Harmonie crée par la convergence de tout ce qui constitue l image, la dessine comme un artefact clair, calme, dans une sorte de complicité où une description objective, fine, a trouvé sa partition pour une composition juste au cadre choisi.

©Catherine Henriette, Courtesy Galerie Leica, Paris.
Il y a cet exercice solitaire du peintre devant sa toile, qui, à force de concentration, trouve en lui un Chaos, ce moment qui précède l’action de peindre et qui le conditionne en faisant table rase de tout, afin que s’effectuent en soi toutes les opérations qui permettront l’acte, l’action de peindre et de rendre visible. Le doute souvent chez les photographes intervient en ce sens et creuse l’espace de réception qu’il faut ouvrir en soi pour qu’advienne le meilleur d’une révélation par la pratique de l’art photographique et de l’immersion dans les beautés rudes du monde, ici ce japon oublié sous la neige.

©Catherine Henriette, Courtesy Galerie Leica, Paris.
C est pourquoi la neige qui tombe apaise et rend le paysage à son hiver dans une sorte de fusion amoureuse où tout est présent, du poteau de métal aux joncs qui ploient… et tout cela avec l énergie du Zen et du trait japonais de la grande tradition picturale de l’estampe comme de cette paix intérieure équilibrante et du souffle qui ravit entre inspires et expires.
L’exposition est visible pendant toutes les fêtes jusqu’au printemps.
Le 9 Décembre 2025
https://catherinehenriette.com/
https://leica-camera.com/en-int/event/the-sounf-of-snow
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