Christine Delory-Momberger « tendre les bras au-dessus des abîmes »
“ Tout cela entrait en nous si avant que j’entends encore jusqu’à l’intonation de nos paroles. Pourtant, je ne compris toute leur gravité que plus tard.” André Gide “La porte étroite”
Christine Delory-Momberger expose trois séries d’images petit format, en trois séquences, sous le nom “tendre les bras au-dessus des abîmes » .
A peine les yeux ont-ils parcourus les murs de la galerie B&B, 6 bis rue des Récollets, à peine a-t-on regardé les images en noir et blanc, petits formats, accrochées par série, qu’un pépiement se fait, chuchotements, voix éteintes par delà le temps, miroirs perdus et retrouvés dans l’espace ouvert des images, où résonne en creux une perte où s’inscrit aussi une renaissance.
L’auteure écrit « Tendre les bras au dessus des abîmes » part d’une photographie de famille retrouvée, que j’interroge afin de rendre vivantes les personnes alignées sur l’image. » Opération douloureuse semble-t-il, puisqu’elle se traduit « d’une saignée de l’âme ».
Écouter le silence et entendre plus que voir, quand le jour baisse et dissimule les pas, les visages, les présences qui, petits fantômes, pris aux rais de l’évocation, se trouvent enjoués à nouveau de cette vie nouvelle, preuves que rien ne s’arrête , que tout se modifie, au delà de l’histoire, au delà de soi, et que le monde est fait d’échos, d’invisibles présences, d’oublis et de porosités, d’évaporations, de rivières issues aussi du chant des sources, pouvoirs du mystère, enchantements du conte.
Ce qu’il se passe physiquement est un songe, Alice, de l’autre côté du miroir, regarde ce que nous sommes, nous de ce côté ci, dans le plan spéculaire et certain, car nous pouvons opposer à ces perceptions idéales, abstraites, tout le champ du fantasme, de l’étrange, et le fait que notre coeur bat, de ce côté ci du réel, bien vivant, mais qu’il est soucieux de ce qui a fui et qu’il s’interroge souvent de ces manques.
scansion du souffle et plus qu’un travail de mémoire, une citation emblématique du souvenir comme chair et âme des voix chères qui se sont tues… Le sujet est toujours difficile, comment en photographie, dans ce langage iconique, faire taire le pathos lié à l’histoire mortifère de la période historique qui démarre après la première guerre mondiale, migrations, déportations, disparitions, pour évoquer le vide, l’absence et la perte des êtres chers, dont le souvenir affleure toujours aux plis du présent?
Pudeurs plus que renonciations, détournements et glissements successifs de l’opération photographique inventent un espace en noir et blanc, visages, gestes, portraits, objets, tout ce qui fait sens et perception aux yeux de Christine Delory-Momberger. En re-photographiant les vieilles photographies , portraits, images de famille, parties d’images mises en situation dans l’espace réel, puis à nouveau glissements progressifs, en re- photographiant encore et à nouveau, jusqu’ à atteindre une sorte de blanchiement de l’émotion, Christine Delory-Momberger laisse au regard de l’autre, ce complice étoilé et bienveillant, la possibilité d’entendre, d’écouter puis de voir. L’autre est alors pris par la magie au grain tendre de ces visages, de ces corps, de ce qui trace un “drama” évoqué par petites touches et qui échappe au premier regard.
Christine Delory-Momberger, Tout glisse silencieusement vers l’abime…….
et de ces opérations réparatrices, ces lectures où l’intensité du drame est détournée vers plus de discrétion et moins d’affirmation pour ne laisser paraitre que la présence, à discrétion de la lecture, la réception de l’autre, de son histoire, de son imaginaire et de sa faculté de tisser les liens qui entrent en résonance avec une histoire commune qui se fait sous nos yeux, dans nos chairs avec les mêmes implications. L’homme est il toujours un maitre du désordre et la souffrance est elle systématiquement inscrite dans toute période historique.
Dans ce processus conscient de réalisation se glisse un concept cher à la photographe écrivain, l’auto médialité, forme d’autonomie du support, du film, de l’appareil photo, comme si le médium avait son mot à dire, s’invitait comme un génie dans les différents temps de la prise de vues et qu’en tant que Médium, il imprimait une forme particulière de respiration, d’inscription du corps et de l’âme, était en tout point sujet de la photographie au même titre que la photographe. Accidents d’obturateur, estompant une partie de l’image, films déjà utilisés amenant une double exposition pertinente et précieuse, celle des enfants disparus dont l’itinéraire a permis à Christine Delory-Momberger de remonter le fil perdu de l’immigration familiale à travers les territoires, et de pouvoir les citer comme preuve vivante de la présence des fantômes dans le dialogue qui s’est noué avec son histoire propre et l’Histoire.
Vous l’aurez compris Christine Delory-Momberger, sur un sujet très intime, une forme d’épreuve personnelle, convoque l’histoire de ces périodes hantées vouées à l’aberration historique pour présenter un travail complètement apuré de tout pathos, glissant sur l’eau des mémoires en faisant respirer ce que tous, nous traversons un jour, ces points où il est nécessaire de reconstruire à partir du vivant la présence ajournée de nos fantômes et de les laisser libres de s’adresser à tous, par dessus le temps. La photographie de Christine Delory-Momberger respire librement ce temps de l’évocation, sens en alerte, le temps dévidé s’écoule, hors de toute méta-physique, dans le pas précis du marcheur. L’épreuve de l’écriture filmique en prise de l’image fixe évoque également le noème husserlien:Ce qui est visé dans un ressouvenir est un contenu de sens sédimenté dans le passé qui est devenu un élément immanent de la conscience. Comment le noème du souvenir est un moment réel du vécu alors qu’il s’individue dans le temps.
Christine Delory-Momberger écrit en présentation de ce travail comme un aveu: » l’horloge du temps se glisse dans les images. je cherche à travers elles le fil qui délierait l’histoire et ouvrirait un passage de lumières aux vivants. Entre l’ inconnu, le probable, le certain se glisse l’impensable de la démarche scripturale, opération vitale pour que la vie soit encore possible; dans le corps de cette exposition la reprise d’un souffle, entre respiration et asphyxie fait naître un retour de soi sur soi vers quelque chose de plus grand que soi, c’est précisément la définition d’un retournement du sens de soi appelé métanoïa. Une renaissance en résulte. c’est l’image du pendu dans le tarot de Marseille.
Cette exposition fait partie d’un triptyque , deux autres séries suivent, interrogations du statut de l’image et discours iconique, l’image manquante semble être au centre des préoccupations présentes de Christine Delory-Momberger. Rendez vous donc en Mai prochain où sera exposée cette trilogie.
Christine Delory-Momberger
Professeur des universités
Sciences de l’éducation
Paris 13 Sorbonne Paris Cité
Centre de recherche interuniversitaire EXPERICE
99, avenue Jean-Baptiste Clément
93430-Villetaneuse
Collège International de Recherche Biographique
en Education
Présidente
Le sujet dans la Cité
Revue internationale de recherche biographique
Directrice scientifique
Université Ouverte du sujet dans la Cité
www.christine-delory.com
www.lesujetdanslacite.com
artiste photographe
www.christinedeloryphotography.com
http://www.agencerevelateur.fr/
Parution 2017
Christine Delory-Momberger
Le geste d’Agata
André Frère Editions
Christine Delory-Momberger, François Durpaire & Béatrice Mabilon-Bonfils (dir.)
Lettre ouverte contre l’instrumentalisation politique de la laïcité
Editions de l’Aube
Le sujet dans la Cité n°7
Revue internationale de recherche biographique
Accueillir Etre accueilli
Altérité et éducation
Publié dans l’Autre Quotidien du 31 Octobre 2017:
http://www.lautrequotidien.fr/abonnes/2017/10/25/rlsmjnve56bw63giwdgxpx0ilgvhl2
MOWWGLI du 2 Novembre 2017 :
http://mowwgli.com/27083/2017/11/02/christine-delory-momberger-tendre-bras-dessus-abimes/
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