NICOLAS COMMENT, CAVALE

 

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 NICOLAS COMMENT, CAVALE,  ANALYSE.

il est une autre intervention d’envergure, celle de Nicolas Comment, dont la narration commence  physiquement sous les arcades du magasin le Printemps, une série de photographies augmentée de textes raconte la Cavale d’une jeune femme qui se libère de ses liens, pour se poursuivre à l’hôtel Le Normandy dans une installation. L’objet n’est pas classique, Nicolas Comment forge une ballade géo-politique à la Debord  avec une fiction centrale, celle photographiée autour de son personnage féminin, pour faire naître un film mental, fait de multiples éléments qui se superposent, voyagent dans ce récit ouvert. 

 

Dans la suite n° 27 du célébrissime hôtel, Le Normandy, château subsumé en bien des points, Nicolas Comment met en scène cette fiction, ( dont le support est essentiellement photographique) il y joint livres, vêtements, pistolet, gant, tout un vestiaire issu du roman policier et une bande son. Les photographies  réalisées lors de cette résidence  approchent le corps- décors de la ville dans une résonance sensuelle, sensible, attaché par le rayon de ses yeux à cette belle captive qui ne cesse de hanter la ville décor pour s’en extraire et dont sa femme Milo est l’actrice silencieuse et complice, mêlant ainsi une sorte de privacy à son récit, corps autonome, fantasmatique et fictionnel.

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Nicolas Comment, Cavale, sous les arcades du Printemps.

 NICOLAS COMMENT, CAVALE ART PHOTOGRAPHIE

Une polysémie festive, rythmée, alerte, émouvante, traversées de citations, fait la porosité de la structure narrative ouverte au cannibalisme des différentes instances qui la peuplent, Paris-Texas, la Californie, le western, Marienbad, un film noir à la Melville, la mustang d’un homme et une femme. Les dérives du temps dans d’anciens scandales font resurgir à la fois la figure de Mesrine, la disparition accidentelle de Jean Edern Hallier, le braquage du casino, le dernier shooting de Peter Linbergh, la présence  de Naomi Campbell …faits qui semblent issus du journal local et qui se racontent ici…en s’extrayant de leur statut de faits divers pour devenir éléments de la narration, passages à une autre unité narrative, synthèmes prenant place au sein de ces associations libres, micro-récits dans le récit général.

 

Dans la suite n°27, une bande magnétique déploie un texte sur une musique classique. Une voix profonde, celle de Nicolas Comment déroule l’histoire qui a paru sous les images exposées accompagné par un quatuor de violoncelle,  (musique originale de Laurent Levesque). Celle ci nous prend dans son filet. Un magnétisme nait de la confluence de cette déambulation tendue et méditative, rêveuse, et de ces ballades à la Rodolphe Burger, Gainsbourg, Manset où se racontent des histoires d’amour, où tangue une passion défaite, évoquant souvenirs et empreintes.

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Nicolas Comment, Cavale, Suite n°27, Hôtel Le Normandy, Deauville

Tout un climat se compose dans l’envers du décors de la suite n°27, de l’ l’hôtel Le Normandy, éponyme des fugues de Bach, des ballades dylaniennes,  et de la ville pour donner au fantasme l’ampleur qu’on lui suppose, dans un rythme envoutant et apaisé. A l’onde silencieuse, ce rythme musical tend ses joues pulpeuses, sa grâce profonde, passe en dessous de la structure de surface de la narration;  Cavale en porte l’empreinte invisible, se dévoile subrepticement par la nudité et la beauté charnelle de Milo, dont le secret envoutement est au coeur de l’invisible présence du conte moderne ainsi tracé, bu, joué, comme s’il s’agissait pour Nicolas Comment de superposer à ce récit élégant et joueur, les stances secrètes des dialogues amoureux, de ceux qui se jouent au coeur de la nuit et dont la persistance anime le rythme secret et musical de sa mise en scène.

Nicolas s’est lancé dans cette Cavale à mettre en photographie, en écriture, en musique, en silence, en fièvre et en tension, dans une contamination, tous les éléments de sa composition majeure,  ceux réels et fantasmatiques qui entrent dans cette fiction ouverte qu’il fait intervenir, en les distribuant adroitement au devant de soi, comme les cailloux d’un petit Poucet.  La pluralité des chants sémantiques cités, construit, quoique on puisse en dire, une complexité de lectures dans un jeu intellectuel, un plaisir de conter.

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©Nicolas Comment, Cavale, Suite n°27, Hôtel Le Normandy, Deauville

Jouir du jeu fantasmé des différents niveaux de lecture de la narration retourne ce miroir en soi, miroir qui reflète d’autres miroirs, récits qui ouvrent sur d’autres récits, images qui se perdent à l’infini de ces perspectives sans fin (comme les couloirs de Marienbad). Une perception du labyrinthe se fait  active par l’infini de la fuite où abîmes et trompe-l’oeil enchâssent un récit qui commence à rebours:  » Le train des années 1990 qui part de Saint-Lazarre dessert Lisieux et son décor de science-fiction. ” et dont la résultante est une évocation de ce corps féminin qui semble sans cesse se dérober, fuir, pour tenter de le retenir captif.

Ici et là, tous ces éléments deviennent des preuves constitutives de ce film invisible dont nous sommes les acteurs, en raison simplement de notre présence et du fil qu’il nous est proposé de tirer, à partir duquel il nous est donné d’élaborer notre propre film, d’en construire la cohérence ou l’incohérence dans un jeu que l’écrivain Alain Robbe-Grillet n’aurait pas manqué d’apprécier.

Une perte de repères délicieuse, signe cette instance à proposer de suivre ces chemins sonores, accordés à la vibration profonde du chant du violoncelle, voix multiples et déréalisantes; une autre réalité s’éprend du sentiment d’appartenir au film et s’impose peu à peu. Ravissements , aventures (romantique et durassienne), complicités, distances, établissent un lien discret avec le principe secret de ce qui se joue alors devant soi, un récit poreux qui ne cesse d’ouvrir des portes, faisant circuler ainsi un objet particulier du Voir et de l’ Entendre, un objet particulier du désir.

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Nicolas Comment, Cavale, La Nuit.

La structure en abîmes du fantasme se découvre dans un jeu où se déploient potentiellement toutes les possibilités avérées et non avérées d’autres récits. Ce qui en ferait une sorte de récit mère, une matrice en quelque sorte répondant à la ville où se cachent bien des secrets, bien des pouvoirs et où l’argent s’affirme à travers le Casino, mais aussi dans ces cercles comme une possibilité de perdition. Autre perte, autre aventure. C’est pourquoi la figure de Lisieux apparait en se prolongeant par Notre Dame de Lisieux, ce que la sagesse populaire ne peut qu’entendre, citée comme un élément de protection, une figure talismanique… et la citation aux romantiques allemands, à Lenz, à Hoffmann, à Goethe, à Tieck….dans un orphisme métaphysique poursuit au dedans du rêve majeur de l’écriture, les accents envoûtants de la plainte du violoncelle, comme un chemin sans fin… Reversio or Perditio…

Pour répondre à ce trou noir du récit qui semble le porter tout droit vers sa disparition, comme par un maelström, Nicolas Comment retient d’autres instances qui en répondent et le stabilise par un retour à une autre réalité plus partagée, il est question de Western et de fait divers, de polar, où ces références, plus stables, re-territorialisent, re-temporalisent le spectateur pour le re-situer  dans un récit moins indomptable.

Cavale ne semble plus alors être qu’un subterfuge, qu’un faux semblant, qu’un récit artificiel. Nous reprenons pied dans un autre contexte psychologique parce qu’à ce moment là, nous acceptons en tant que spectateur d’être ce témoin invisible d’une histoire improbable qui ne cesse de se désigner en tant que telle et qui emporte dans un tourbillon le peu de raison qu’il nous reste.

Sommes nous de fait toujours là ou ailleurs, n’est ce pas là encore un faux-semblant, un jeu de dupe, une erreur, ne sommes nous pas ce personnage de Marienbad, marchant sans fin dans ses couloirs, perdu en lui même…. n’est ce pas là une métaphore de cette situation permanente qu’est la notre, dans un monde gangréné d’artifices, d’artefacts, de faux-semblants, de messages idéologiques et publicitaires, d’occurences qui dévoient sans cesse notre aptitude à être et à aimer?

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©Nicolas Comment, Cavale.

Le récit photographique présenté, dans son jeu hypnotique, est à la fois un cordial et un sédatif. Il nous tient toujours à la lisière de cette porte qui peut à chaque moment se franchir et qui nous retient d’autant que l’illusion semble préférable, séductrice, intime, dans un rêve qui ne cesse de perdurer et dont on ne peut s’extraire à ce qu’il semblerait…Le rêve deviendrait-il assez surréalisant dans ces déplacements et ses transferts pour faire photographie, image et cette voix imprécative pour s’affirmer comme la voie royale de son déroulé, de son enchantement?

D’où une forme de proximité avec le Nouveau Roman dans cette délinéation structurelle de Cavale. Il semble que Nicolas Comment se soit inspiré de la narration robbe-grilletienne, son récit étant constitué de strates qui voyagent assez librement dans la diégèse et font apparaître, ici le corps plein et nu de son héroïne, la superbe Milo, le corps du délit, comédienne et femme de l’auteur, mais déviée vers ce personnage qui articule l’intrigue vers un certain fétichisme des utilitaires de la séduction, de la description vengeresse qui ne cesse d’échapper pour qu’un récit puisse enfin s’installer et produire un creuset repérable, fiable, certain, dans les normes identifiables par tous.

Le récit en photographie n’a pas la richesse de construction du récit littéraire, il en est un parangon. Nicolas Comment le dé-borde, travaille un objet polymorphe qui ne cesse d’échapper aux conventions, propose une complexité dont la valeur politique ne cesse de s’affirmer à mesure qu’on le re-monte. De plus cet objet n’est pas réductible aux commentaires de surface, idéologiques de type féministe, il agit organiquement et le tire vers d’autres forces plus profondes, libératrices, bunuelliennes. Son potentiel n’a rien de réactionnaire quand il situe son héroïne dans cette séduction de l’objet, le corps de celle ci est devenu le point central d’une intrigue où il agit comme un centre fantasmatique de ralliement et de fuite, de dispersion, de rétractation et de présentation frontale.

Le sexe féminin et tout le corps, objet central de la quête, du voyage, du déplacement organisé par le récit fondateur, devient cette île robinsonienne,  point ultime de l’horizon, vers lequel tend le regard dans l’invisible de l’océan, le narrateur étant ce naufragé perdu en lui même, luttant avec lui même et regroupant ses forces pour rester éveillé. 

Nicolas Comment s’attaque à cette narratologie qui fait sens par son ouverture et par une polyvalence des occurences constitutives du récit dans un jeu permanent de découvrement/ recouvrement, apparitions/ disparitions, présence/ absence, visible/ invisible. Sa photographie en tant que telle n’a pas de valeur spécialement esthétique, elle sert de matériau à cette unité supérieur comme les mots d’une langue dans l’organisation d’un récit aux entrées multiples.

Le tout fonctionne dans une économie de l’échange entre tous les niveaux des unités syntagmatiques, qu’elles soient références, allusions, souvenirs, citations, métaphores ou qu’elles appartiennent aux genres empruntés,  musiques – Gainsbourg, Burger, Manset, Quatuor à cordes-, voix off de la bande son, photographie de cinéma, littéraire – Nouveau Roman, Duras, Robbe-Grillet, politique esthétique, Debord et les Situationistes, cinémas  – Western, série noire, polar, nouvelle vague-  dont la situation de la musique d’un homme et une femme et son objet symbolique la Mustang ne cessent, en fantômes de vampiriser Deauville dans sa mémoire.

 

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Nicolas Comment, Cavale. la Mustang d’Un homme et une femme et L’actrice…

La Mustang a  acquis ce statut d’objet transitionnel qui permet de situer cette permanence du cinéma de Lelouch, ce qui introduit d’autres passages secrets et discrets entre les photographies et les possibilités de récit, tout est instamment possible, dont la prolifération est encore un possible. Les ”images” couleur de petits formats racontent pourtant cette Cavale, comme une extraction, sur les meubles de la Suite 27 ou dispersées , jetées, accumulées elles semblent rejoindre l’autonomie des miroirs figés comme les pages d’un roman de gare égaré. 

Nicolas inscrit dans la peau de Deauville ces référents, produit une fiction réelle et fantasmée, occupe le terrain et s’amuse à brouiller les pistes, ce qui rend l’objet de sa création excitant intellectuellement, ouvert aux possibles, à l’étrangeté. Il fait appel à cette incertitude  du monde, afin de plonger son destinataire dans un maelström de citations, littéraires, musicales, cinématographiques, Melville, Resnais, Wenders, un Paris Texas rejoué au coeur de Deauville, au Normandy, immense navire ou tout se fond, se dissout comme dans ce Marienbad qui n’est qu’impressions de fuite et évidement.

Hic et Nunc se résume en cette promenade géo-politique à la Debord, à l’intérieur d’une situation d’une structure narrative, romanesque, traversée comme ces paysages psychologiques par toutes les instances capables de jouer avec la véracité du monde, de Deauville, pour s’amuser de ces complicités qui placent Nicolas Comment dans la position de l’essayiste: l’auteur n’est plus le Maître incontesté et omniscient de sa création mais ce promeneur solitaire qui agrège l’évènement de sa création à son désir de jeu, dans une sorte d’objectivité de construction assez complexe pour que s’évacue potentiellement toute possibilité d’annexion. Un récit libre et multi directionnel se donne alors comme une présence à soi alors que ce dedans-dehors ne cesse de faire sinuer comme un objet particulier du voir et du désir le corps fuyant de l’héroïne…

Cavale est donc aussi en soi une métaphore qui focalise,” qui ne cesse d’agréger encore et encore toutes tentatives de cerner ce qui peut lui échapper,… Nicolas Comment nourrit cette instance en lui donnant corps et présence. Il invite son spectateur à gouter aux joies de sa restitution éveillée en complice.

LE 9 Novembre 2019

Nicolas Comment s’en explique, Interview réalisée à Deauville dans la suite N°27

 

 

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PLANCHE CONTACT, DEAUVILLE 2019

 

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