Le festival Portrait(s) de Vichy a accueilli en résidence le photographe français Ambroise Tézenas. Jusqu’au 8 septembre, la manifestation vous propose de découvrir le fruit de cette résidence photographique sur Vichy, unique ville française parmi les onze grandes villes d’eaux européennes retenues, porte sa candidature au classement du patrimoine mondial de l’UNESCO.
À travers ce projet qui mêle l’architecture, le portrait et la déambulation, Ambroise Tézenas relie les lieux patrimoniaux et les vies, le passé et le présent, et propose un voyage dans la ville à la fois géographique et temporel. Le livre de la résidence publié aux éditions Filigranes s’intitule « Villa mon plaisir ».
Je rencontre Ambroise Tézenas à l’occasion de la sixième résidence photographique au festival Portraits à Vichy, dont l’enjeu, cette année semblait particulièrement important pour la ville et le festival en raison de sa candidature au classement du patrimoine mondial de l’UNESCO.
De l’aveu de Fany Dupêchez, Directrice Artistique du Festival, cette carte blanche confiée au photographe semble avoir séduit la municipalité et contribué à enrichir l’image de Vichy. Le livre tiré à 600 exemplaires, couverture bleue, chez Filigranes éditions, semble, selon Patrick Le Bescont avoir également répondu à toutes les attentes.
Pouvait-on en douter quand on connait la “patte” du photographe et son aptitude à inscrire dans son propre univers les éléments du réel rencontrés ici ou là, architectures et gens croisés au devant de ses pas, dans un geste qui essaime la part du roman, rêvé et tu, comme une rencontre amoureuse et itinérante, voire itérative, tirant du silence les présences singulières du livre.
La mise en page est à ce titre assez productive, car elle permet à cette part itérative de situer au creux des pages, des miniatures, ce que les personnages ont acquis de quasi symbolique, relevant en pointillé de figures appartenant à un autre temps; un portrait bleu d’homme à peine lisible fait penser à un Augure, une jeune -fille au teint blanc, yeux maquillés en soleil noir, lèvres closes et regard porté de deux tiers vers la gauche appelle une nymphe, un troisième portrait de profil figure un visage jupitérien, aux contours académiques, bref il semble que toutes ces personnes soient devenues par le charme que porte la photographie d’Ambroise Tézenas, des personnages à part entière issus d’une pré-histoire mythologique dont ils seraient encore aujourd’hui, une réfraction enfouie au sein même de ces architectures somptueuses, photographiées sans présence aucune, telle qu’en elles mêmes.
Le livre déroule ainsi un chemin plein de mystères et d’appels, comme un film personnel à l’image centrale manquante (le corps subtil du photographe?), appel d’air, appel à la psyché de ce promeneur solitaire qui déroule l’espace et le temps, un temps immergé au sein de la pierre et de son rêve, romantique, si l’on songe à Nerval et à ces vers dorés comme si Ambroise avait su acter “crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie, à la matière même un verbe est attaché, ne la fait pas servir à quelque usage impie! Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché “; avertissement issu du silence, guide subsumé de la marche.
“Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !” floraison du monde….
Le regard d’Ambroise Tézenas effleure plus qu’il se s’attarde sur le monde extérieur, passe l’ombre, se délie des territoires de l’apparence pour naviguer au plus près de soi, dans la découverte et le dé-couvrement de ce monde qui ne s’isole et ne se perçoit que grâce à la photographie et qui chemine toujours bien après que les rais de celle-ci l’aient forcé à se prendre, dans une dé-livrance qui s’apparente à un théâtre de situations.
Pour que les choses puissent vivre, il faut que l’acte démiurgique du photographe passe le regard, s’en éloigne, s’éteigne et que ce regard éluardien régénère le monde avec lequel il se prend à aimer le jour et sa lumière comme lui même, dans une nouvelle temporalité, un temps neuf et renouvelé, afin que sa marche s’ouvre au sein du monde, lui aussi renouvelé, mais sans gloire affichée, comme “impersonnellement”.
Chez Ambroise Tézenas, tout est secret vivant et trans-mutations des ombres. C’est pourquoi les personnages ont fonction de gardien du seuil, gardien des portes et qu’ils ouvrent justement sur les lieux traversés, parcs, rues, passages, architectures, hôtels, Opéra, de jour et de nuit. Ce sont eux les passeurs, données symboliques accordées par la diégèse du livre, la façon dont les pages sont distribuées, donnant dans le feuilletage du livre cette ouverture à la ville qui se constitue, petit à petit, page après page, par ses fragments, arrachés au temps, à l’oubli, à l’inexistence.
Plus peut-être et par action des statuts du narrateur, et du lecteur, faut-il a- percevoir que l’un et l’autre peuvent être la même personne, comme si ce récit photographique ou ce film lacunaire était dû au fait que le photographe se parle, parle à lui même, à travers une déambulation qui est une sollicitation du hasard, comme chez les surréalistes (voir l’exposition sur Dora Maar au centre Pompidou) et qui est un temps dispersé, anachronique, et en même temps un temps photographique singulièrement poétique et littéraire.
On pourrait évoquer, selon leurs hiérarchisations internes à la production de l’exposition, une évocation de la Recherche du temps perdu et retrouvé, la contamination de la rêverie verlainienne, une déréalisation à la Camus, l’errance active et scripturale de Modiano, la liberté de diffraction de Robbe-Grillet, tout cela gravite autour de la question du Sujet chez Ambroise Tézenas, qui parle, qui voit… De quoi ce regard là est-il fait et de quoi ou de qui répond-il et à quoi? Ne faut-il pas voir dans cette errance scripturale une errance identitaire liée à la recherche d’une mémoire acceptable où la ville se perçoit dans une intemporalité et non plus dans une histoire, où la photographie d’Ambroise Tézenas l’installe dans l’être là d’une ville chic de province, européenne, un peu lente et confortable, petite bourgeoise, ce qui rappelle Combourg comme dans une citation évocatrice de cette Recherche, situation mémorielle, rendant Vichy plus complice de Combourg et plus neuve dans ce chant esthétique où disparait l’Histoire, mais comme alanguie entre deux rideaux d’arbres, deux bras de forêt.
C’est alors qu’il fait revenir au charme du mystère qui permet ce déplacement dans un essaimage où les choses n’apparaissent définitivement que grâce à cette inscription narrative. Mais sur quoi repose t-il, au delà de l’impermanence des lieux si ce n’est sur le silence intérieur même du photographe.
Le panorama qui s’en dégage est moins affaire d’espace que de temps. Peu importe que les passerelles de la nuit allument leurs feux ou que la ville se cache au dedans de ses ombres, le “muthos” établit le premier silence, celui des fondements pour ensuite naître à ce chant de l’aube et du jour et du soir, parce qu’enchanté de cette poétique des constellations, il est l’invisible présence, forgée aux forges royales. La douceur d’être du photographe, pousse toutes les portes, dont celles de la narration romanesque et filmique, pour entrer dans l’onde où tout miroir renvoie à l’instant pur, c’est à dire à son ouverture à l’infini.
Il faut aimer se perdre aux ombres grises de ces pays fantômes qui dialoguent silencieusement par leur lumière autonome avec l’âme du photographe, dont les nuances sont toutes issue de l’itinérance circulaire, de laisser l’intuition guider, pour se rendre à la fois aux portes du monde, ici Vichy, et en Soi.
Acte double du dédoublement, quand la carte et le territoire ne font plus qu’un avec les Sens, l’essence, c’est dire si le secret évoqué est aussi le corps d’une quête voilée, mais réelle et que le cours principal du marcheur l’amène à séparer ce qui est mort de ce qui est vivant en lui, instance de l’Alétheia, autrement traduite par Vérité, laissant, dans ce mouvement de séparation se produire l’évènement de cette écriture photographique à peine désenchantée de son enchantement, dans ses réverbérations et ses reflets.
Celle-ci ne pouvait pas ne pas supposer cette sincérité dont Ambroise s’explique dans l’interview et qui le rend si proche, si humain, si respectable en sa dé- marche, quand se fait la lente dé-construction du sens, de l’objectivité, quand le regard s’éprend comme un lierre de l’écho du monde et qu’il jouit silencieusement du jeu de ce qui apparait et s’installe durablement en lui même.
« Lorsque je photographie Vichy où n’importe quelle autre ville, je ne me laisse pas influencer ni par les rencontres, ni par les lieux. J’enlève l’exotisme, les idées préconçues. Ici, aussi, je traque une ambiance, une lumière pour raconter une histoire en une quarantaine de photos pour le livre. » Ambroise Tézenas.
Bienvenue à Vichy de l’autre côté du miroir
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Villa mon plaisir
Ambroise Tézenas
Filigranes / Festival Portraits – Vichy
Parution : 17 juin 2019
17 x 24,7 cm
Anglais/Français
40 photographies en couleurs
64 pages
ISBN : 978-2-35046-476-3
25,00 €
https://www.filigranes.com
https://www.ambroisetezenas.com/
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