Linda Tuloup,
Les chimères désirables.
“Écoutez le désir comme vous écoutez un chant, comme vous écoutez le vent dans les arbres…” Krishnamurti
Trois séries d’images se rencontrent dans le livre de Linda Tuloup, entament une conversation à voix basse, semblent concourir au bonheur d’une intimité élective, mais comme dans un aparté, sans vouloir solliciter plus avant ce lecteur, convoqué lui aussi à pas de loup, carnassier de prime abord, complice ensuite, car conquis par le déploiement du secret qui habite l’ombre, la nuit, qui s’enflamme dans sa course.
Que l’on ait à voir la beauté plastique de ce corps au sommet de la nuit, dans une forêt, que ce soit celui plus voilé de la photographe elle-même, derrière son 6×6, dans un réflexe littéraire à la Modiano, urbaine, ou les paysages qui sommeillent sous la brume, qui habillent la couverture, entre chien et loup, couverture bleutée, il semblerait qu’un miroir brisé distribue pas à pas le roman d’un rêve impossible, repris par le texte de Yannick Haenel, éclats de voix, de mots, de fantasmes…pour répondre du titre en forme de question: Vénus, où nous mènent les étreintes…
Yannick Haenel y répond ainsi :”A quoi nous ouvrent les étreintes? Les lisières tremblent un peu, nos corps oublient leur poids, la nudité les délivre. Quand on fait l’amour, une forêt respire à notre place: on se faufile dans la métamorphose, on n’a plus seulement un corps, mais deux, trois, mille corps qui dispersent les atomes.” Cette superbe assertion donne ainsi une légitimité à la succession et au mix des trois séries d’images, par inflammation systémique.
C’est que la réponse de l’équilibre de ce livre charmant est donnée en secret par le trouble qu’il s’est sans doute produit, aux références lointaines à Bataille, à Pan, à Éros, aux forces même du désir et au spectacle de l’intime et de ses nudités, de corps et d’âme, d’esprit. C’est par ce référent un le tout que Linda Tuloup chevauche sa photographie, et porte une parenthèse à l’abyssale tartuferie de l’époque. En revenant aux citations du rêve et du Nu féminin, ne cherche-t-elle pas à resituer sa photographie en N&B du côté d’un certain surréalisme, dont on sent ici toute la séduction, qu’elle cite ou non directement, l’Histoire de l’Oeil, Justine et anti-Justine, Vénus à la fourrure.
Mais loin de ces citations parait le livre à parcourir, on pourrait y sentir toute la portée de la nuit, s’y laisser tomber, s’y laisser surprendre, en romantique sincère, en romancière aussi…
Voilà que commence un recueil de photographies en noir et blanc, noires et blanches notes qui fuyez sous la main, image d’un piano entre noires et blanches touches, musicalités caressées par l’œil, précises à l’écoute des silences, quand le souffle se suspend et qu’il faut écouter au plus profond le chant nocturne de la forêt sonore, nuit caressée, nuit talismanique, nuit des enchantements, mozartienne, nuit des rêves quand le songe ploie l’onde nacrée du chant discret et secret et que l’appel d’Éros est encore cette fête espérée, heureux et joueur, tout un espace se révèle à la profondeur de l’écoute et du chant.
Les photographies de Linda Tuloup révèlent dans un processus secret le texte qui l’accompagne, fidèlement, plume déliant la substance nacrée du rêve imprescriptible où se noient les regards, beautés aventureuses de ce corps vénusien qui parait ici et là, plein, aux formes exquises, lisse, peau nacrée de pêche, seins offerts à leur plénitude comme un Eden, longues jambes iambiques, poétique scansion de la marche en dix temps, comme un battement de cœur… à son apparition, le corps délié du “pêché” s’accorde au vol nocturne de ce pouls qui s’emballe à sa vue, vaste déploiement d’espaces, Vénus s’est faite chair, dans ces images, comme à travers l’ onde où versent les jeux de la nuit à leurs ivresses, fêtes galantes, âcrement prises d’humidités.
Il sera question ici du désir, des désirs dans un hymne voilé, en pleine forêt, immergée du vaste songe qui s’enfle dans une respiration marmoréenne pour fuir du jour vers la nuit, augures des plaisirs qui se lisent sur les lèvres, du bout des doigts, dans l’amer austérité du rêve princier de l’heure bleue.
Linda Tuloup, dont le nom enchante, un plaisir qui s’enroule sur lui-même, glisse de la bouche à la main, s’éprend des beaux seins gonflés qui se donnent ici sans retenue, dans la jovialité de l’instant, dans toute la Nature traversée, habillée puis nue, chant, hymne au doux visage, temps choyé, temps ployé aux rimes de ce curieux ouvrage qui s’ouvre si naturellement aux propositions d’un rêve des sens.
Un beau chien loup aimé, à la fourrure blanche, accompagne fidèlement ces nudités où se respiraient hier les fêtes galantes, paroles écrites, dictées de l’heure, mouvement de la main qui ne cesse d’aller et venir au plis du recueil, caressant, signe de l’infini, boucle sans fin de la nuit où se perdent les songes, où s’illumine le désir, embrassant cette nudité étoilée, va et vient des pages du livre, comme un ressac où pulse dans un mouvement continu, toujours neuf, la puissance vivante du souffle; le corps s’est fait plage et sable, écriture, espace, c’est, au creux de ces nuits, la puissance enivrée de la peau , masques et bergamasques, mains caressantes, pulpe de la chair, peau nacrée, sexe glabre, dévoilé dans la forêt profonde. Appel des géants.
La forêt aime ces jeux de cache, se pleurent enfin les faux jours endeuillés, loin de la mort, aux confidences closes. Yannick Haenel, écrivain, livre un texte en regard des photographies, recueille ces perles de rosées, se souvient de Dionysos qui enfiévrait ces bacchantes, il écrit” je vais me jeter dans ces taillis où dorment de belles louves ; je vais empoigner ce pelage, mordre ces épaules, je vais manger ton cul…. La nudité se donne à la place du néant…”
Rêves de fleurs de chair au bois sidéral déployés, vertiges, langueurs ultra-marines, parfums sains, pubescences d’or….quand l’astre du soir est encore un rêve de chute au pouvoir délivrant, étoile fixe ordonnant tout son ciel, crieur émérite du devoir….ce libertinage accuse une liberté qui se prend de jouissances, là où nos étreintes cueillent la respiration profonde du temps et que s’écrivent les stances d’un poème lacté, si près du ciel, si posément charnel, si incantatoire, si puissant dans ses aspirations, si vivant de sa chair et de son esprit.
Pascal Therme le 25/02/2020
Linda Tuloup, Vénus, Où nous mènent les étreintes, texte de Yannick Haenel, conception Olivier Marchesi, Bergger éditions, 2019 (500 exemplaires numérotés)
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