PHILIPPE CIAPARRA, ALTAÏR*
Les femmes savent sans aucun doute la puissance d’appel, de fascination, de leur corps dans l’œil masculin, comme un trait de lumière et d’assomption, au percement de la flèche qui traverse le désir physique des mains du sculpteur, des yeux du peintre, de cette bouche aux eaux de feu, d’alcools, à l’ivresse de printemps, au désir d’ambroisie….aux yeux qui en dessinent finement toute la présence, tout la puissance et la séduction, pour les rendre à elle même, dans ce qui leur échappe et dont elles savent si bien la destination. Sans Léonard de Vinci, que saurions nous de Mona Lisa, Florentine Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, devenue mythe, Joconde?
… car nul ne peut résister, au prix de cette liberté de soi, à ce qui fait le voyage des corps, épanouis par la main qui voyage et qui chante….par le regard qui reçoit le don d’une présence supérieure, liée à Vénus/Aphrodite, et dont certaines femmes, par leur présence, en sont l’écho.
Il faut alors, au peintre, au sculpteur, au photographe, ici, à Philippe Ciaparra, toute la distance intérieure pour s’en saisir, extraire de la complicité naissante, de la fascination probable, la lumière de son modèle, de son énergie, pour travailler à une sorte d’extinction des contingences, des défauts, pour essentialiser, à travers son esthétique, la puissance de séduction du trait par la lumière dans une présence, désormais, devenue pure.
Il y a là, comme un rite où se fabrique un Sacré, par le sacre de celle qui vient, à travers sa fonction de modèle, et que Philippe Ciaparra consacre comme telle. On pensera à l’image de Rohmer, quelque chose des contes moraux s’y réfracte, dans cette écriture, qui échappe par ses références à toute contingence, qui devient cette autre figure, cet autre corps, idéal, à la beauté de marbre, vivante sculpture qui bouge et se meut au contact de l’ œil du photographe, de son regard, prenant, dans son champ, toute la beauté résiliante, au faîte de son don, sensible au mouvement de bascule des hanches et à la rotation du mouvement des fesses et des jambes, venues à la rencontre de la beauté qui survient, imparable conte philosophique évoquant cette marquise d’O, de Kleist, comme vue à travers le miroir des passions et du drame, ou, cette sensualité distante du Genou de Claire, dont les répliques résonnent curieusement au lieu des séductions.
Quoiqu’il en soit des prétextes qui se sont mis en mouvement dans la scène où le modèle livre un corps flamboyant et plein, il semble que les notations du mouvement soient aussi, au cœur de l’attention du photographe, surpris à l’éveil de son modèle, dans une pure séduction des formes et des attitudes, une sorte de partition musicale se met en place, afin de surprendre la grâce, venue dans ces échanges et tout le travail du trait, enveloppé, roulé, à la signature des lignes sculpturales. Voilà, l’enchantement qui survient, le reliquat d’un doux flamboiement, aussi doux que la pensée en fête, au sculpteur épris du travail du ciseau dans le flamboiement solaire de sa nuit, dans la percée heureuse du songe à la continuité idéale du corps glissant de sa nuque à ses reins. Le geste photographique s’est enrichi de toute sa dimension plastique, faisant retour sur un classicisme traversé par toute l’histoire de l’Art, de la Renaissance à l’époque moderne, de Michel Ange à Rodin, de Kleist à Baudelaire, d’Antiononi à Rohmer.
Il est certain photographes qui savent ces choses, écoutent ces murmures, chassent l’ombre intérieure vers plus d’assomptions et de présences, qui se rendent à cette écoute du chant des sirènes, dont l’écho ulysséen en fait un chant d’avant le monde, d’avant la langue et ses pulsations sonores, ulysséen et pré-monitoire, chant qui innerve tout le corps, le prépare à ce long voyage de l’instant, où il apparait, chez son modèle, en faisant échos, résonances avec la Beauté dont il est devenu, immédiatement, en chasseur céleste, ce captif amoureux, aux yeux d’or….celui qui éternise, ce qui relève, même dans la distance racinienne de son expression, la pureté de l’inscription sensuelle, amoureuse, élective, romanesque, voire romantique, dans un aveu qui fait ici photographie, déploiements de l’ombre rêvée du rêve dans l’inscription d’un trait, d’une couleur (même en noir et blanc), d’une lumière, des formes qui en notent l’intention, l’intensité: mobilité des yeux, morphologie des lèvres, du visage, tête relevée à l’arrière, épaules rondes, buste antique, à l’harmonie nette, chant marmoréen de ce qui dessine par la lumière et l’impression, la présence qui ‘échappe à la complicité du silence, pour en fonder le don quasi sensible, avec cette retenue pensive, que l’on prêtait, hier, aux poètes et qui, ici, fonde le geste du photographe, habile des yeux et des mains, à parfaire son enchantement, par une ascèse métaphysique de sa photographie, joie racinienne toute distante et pourtant si active, débordante, feu stellaire, étoile, AltaÏr.
Il est certain photographes qui savent ces choses, écoutent ces murmures, qui entendent le long mouvement de ces « dépôts » vers le fondement de toute mort, comme un témoignage d’une perfection, à la floraison passagère, à l’immanence explosive, à l’irrémédiabilité de ce qui s’inscrit, vents et souffles de la voile au vaisseau sur la mer vineuse, et dont s’élargit la présence dilatée, au moment de ce qui est saisi, par éclair jovien du désir à la flèche couronnante. Cet Ici, résulte d’un Maintenant, où tout va comme en peinture à l’Aventure d’un temps qui se dé-robe, pour accomplir…ce qui ne peut se dénouer que dans l’instant qui occupe tout ce temps, dilaté, inscrit en lui même, plein, comme une stance immémoriale, car dialectisée, par la vie jointe à l’impossibilité d’interrompre le désir. Diane chasseresse décoche ses flèches…
Philippe Ciaparra situe son travail dans un espace mental qui évoque les Maîtres de la Renaissance dont, ci dessous, le retour à la chapelle Sixtine et à la main divine, créatrice du monde, (détails de la création d’Adam, par Michel Ange). Cette main féminine rappelle le doigt divin tendu, Dieu accorde le don de la vie à Adam dans sa fresque « Création ». Cette situation de la main féminine conforte l’idée que toute inspiration, toute création s’inscrit dans une histoire de l’Art et que, le photographe, comme son public en sont les héritiers, puis les continuateurs inspirés, afin d’établir, au sein d’un temps composé de références et d’interprétations, ces dialogues, à la suite de Rohmer, d’une modernité plus contemporaine, faisant actualité, dans une continuité.
Il fallait inscrire ce geste aux couronnes de ce nu de dos, pour que cette interprétation s’impose et que Philippe Ciaparra l’adresse à ce qui fait encore monde, que cette main mythique continue à rayonner dans l’époque, pour, sans doute en éclairer l’humanisme medicéen, fortement agressé par l’actualité d’une campagne présidentielle régressive, nauséeuse.
Et pour déjouer cet impossible amour entre les Parques et Vénus, il ya les Muses, quand l’improbable au précis se joint, la nuance devient notations des variations de ce Nu, aux jambes repliées vers soi, offrant ses fesses magnifiques au roulement de son pas. On pense alors à Baudelaire et à sa Malabaraise, faisant danser le temps au roulis de ses hanches, à la percussion de ses pieds, ici, plus éteinte, dans un mouvement tendu et souple, imperceptiblement dansé, reposant, comme un chant dédié au secret qui habille et déshabille le temps…
« Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est Large à faire envie à la plus belle blanche ;
A l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair…
Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris. »
Charles Baudelaire
Pascal Therme, le 10 Mai 2022
https://philippeciaparra.com/nus/
*: Altaïr (α Aquilae / α Aql) est l’étoile la plus brillante de la constellation de l’Aigle. De magnitude apparente 0,762, elle est la douzième étoile la plus brillante de la voûte céleste. Située à environ 17 années-lumière de la Terre1, elle est aussi l’une des étoiles les plus proches visibles à l’œil nu. source wikipedia.
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