THIBAULT LÉVÊQUE EXPOSE
A LA GALERIE LENEUF/SINIBALDI / PARIS
OBSESSIONS, un dialogue entre ses photographies et les poèmes d’Eva Bottega,
sous la Direction Artistique d’Ilaria Crosta.
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l’ai trouvée amère. -Et je l’ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. » Une saison en enfer, Arthur Rimbaud
L’exposition des photographie de Thibault Lévêque et des poèmes d’Eva Bottega, donne à voir et à écouter le déploiement des corps dans l’espace, la présence de flammes où poudroient ces lumières appelées mots, photos, en leurs décors (dé-corps), lieux mobiles et immobiles dans une topographie du sensible par le voyage américain qui appartient autant au voyage intérieur qu’à la plume qui en établit les correspondances, à travers une photographie, elle aussi, nue, sans artifice, presque fraiche, bientôt brûlante.
Nous sommes ici en présence d’un écho enchanté, enchanteur, d’un film à voir intérieurement, à écouter comme une proposition poétique profonde, en lieu des déshérences américaines, aux points de rupture du réel et de cet imaginaire des années 60/70, qui encense encore à travers le voyage des sens, le lien à la nuit étoilée et à la route, dévidant le paysage. Fil d’Ariane. Le Minotaure est partout, dans son aporie obsessionnelle. Obsessions du vide et de sa contamination de l être, déréalisations offertes aux portes de la perception: la proposition des amours libres prend corps en inversant le temps, en conjuguant ce que l’un voit et ce que l’autre écrit secrètement.
Il y a ces amoureux voyageurs, jeunes, à l’âme diligente, aux rêves océaniens, qui sont en eux mêmes, la disposition créative du rêve de cette Europe libre et inspirée; il y a, dehors le mythe de l’Amérique de la Beat Generation et des étoiles qui ont traversé son ciel, ivres de libertés, d’expériences sensorielles, de sexualité libre, de poèmes et de rock, de dialogues avec l’infini, reprenant la trajectoire rimbaldienne, Kerouac, Ginsberg, Dylan, Morison, Hendrix, Joplin, Miller, Bukowsky, Bowles, Anne Waldman et bien d’autres….comme un souffle traversant le poème lactescent des jours et es nuits.
Retour donc en acte par le miroir de la galerie d’un refoulé et de sa résurgence en ces années 2020/22, par le rideau du théâtre ouvert, en transparence, en ombres et en silhouettes où nos personnages, acteurs des quotidiens, s’éprouvent, sur le divan à la guitare, dans la salle de bains, dans la chambre devenue Camera Clara, théâtre de situations, sur la route… Eva est au centre du regard, présences en corps et en actes, juste en elle même…
Eva Bottega et Thibault Lévêque voyagent en train, en voiture, traversent les espaces libres et sauvages, les solitudes du rêve américain, avenues désertes et lentes, bruissantes, routes qui filent sinueuses, à l’infini du désert, aux carrefours des highways et des motels. La lumière irrigue tous ces plans, sculpte et caresse l’immédiateté de l’instant; il est question de corps et de dé-cor(p)s, de temps libre, d’un temps où tout se dépose, émotions, actions, mouvements, repos, rythmes, comme les notes d’un carnet de voyages, simples et détachées ou d’un récit qui se construit au fil du temps, dans l’accumulation des vertiges et des suspens. Thibault Lévêque voyage en son regard, sous ces soleils de l’intimité, en établit le chant, ombres giboyeuses, ciel éclatant, poème infusé, irradié, opalescent, radiant, pour constituer le souvenir qui danse et qui s’éprend…confessions étoilées, creuset panique de l’intime.
Tout ce qui entre dans le regard de l’infra-ordinaire est ici sujet du voir. Les notations presque objectives en sont organiques, consubstantielles au voyage, notes de musique aussi. Eva écrit textes et poèmes, sans rien communiquer de ses mots, à son compagnon, dit-elle dans l’interview; Elle ne sait rien des photographies dont l’image latente viendra plus tard, après les développements. Le support est argentique, à l’ancienne. Thibault Lévêque écrit: « De mon côté je la photographiais. Quelques semaines plus tard notre route s’arrêtait, net ». Le premier voyage s’interrompt. Y aura t-il une suite, tout s’est passé si vite….
Le temps passe…Puis le voyage reprend, Thibaut décidant de rejoindre Eva dans l’Utah. : »Ainsi nous finirions ce que nous avions commencé à deux, et ce qu’Eva était entrain de traverser seule. «
Et c’est ici, à Paris, que se retrouvent et que s’associent les deux partitions, donnant lieu à cette exposition. Tout un temps a permis de faire œuvre et de prendre en main le destin de ces voyages.
Le spectateur est donc en présence de la haute intimité de ce couple en quête des valeurs qui firent la Beat Generation, la Liberté, l ‘Amour, le corps, les portes de la perception, l’écriture, le voyage, la musique, le film et de leurs hors champs.
Nous assistons par l’exposition à la distribution juste des éléments du Rêve majeur, c’est à dire de l’Œuvre au travail, parturiente d’elle même, pour que s’associent, dans sa propagation, l’essentiel des relevés qui ont maintenant valeur d’œuvres, repos des traces des quotidiens et des vents qui ont soufflé…. dans la Réverbération de ces dialogues, de ces moments de vie, de ces lumières, de leur percussions à l’issue d’un rêve immensément voyagé, l’ombre a fécondé la lumière par l’esprit retrouvé du grand rêve américain de la Beat Génération.
Prose d’une évidence organique où se joue le somptueux de la présence, partages de minuit, effets compensatoires du rêve décompressé et mis en tonalités, à portée d’œil, déflagrations invisibles, audacieuses du chant intérieur et propitiatoire.
Eva Bottega et Thibault Lévêque forment un couple d’artistes dont les voix se cumulent et s’articulent pour faire advenir la Raison majeure de ce déplacement à l’Autre continent, dans cette culture retrouvée de la proposition libertaire et poétique, rimbaldienne, romantique, brûler, brûler tout, jusqu’au bout de la route, jusqu’en soi même, pour renaître.
Eva Bottega et Thibault Lévêque s’embarquent pour un rêve qui habite, heureusement, encore ce temps de la jeunesse, en nos noms et en le leur, héritiers de l’Esprit en voyage, incandescences des passeurs, qui continuent, au dessus de l’abîme, de crier « Liberté, j’écris ton nom. » . Il est surtout question de Vivre plus haut, d’en faire l’expérience sensible et sensorielle, retrouver le Nord au Septentrion et le midi au minuit plein, assurances des étoiles qui habillent la nuit et des soleils qui éclatent en plein jour.
Écritures actives dans la fraicheur de l’aube, hors des sentiers battus et des conventions, dans la seule pulsation de ce qui est déjà matériaux aimables et sélectifs de la vie, épiphanies, pierres brutes, sensations pures, cœurs absolus, vols aux confins du ciel, mains négatives, pulsation du sang, ouverture du temps, longs baisers ardents, éclatante présence du Seuil…en leurs alchimies incorruptibles, voilà les matières des poèmes et de cette photographie qui cherchent, dans l’instant, l’essentiel de ce qu’elle peut dire, sans discours, presqu’objectivement, tant elle est subjective et personnelle, indivise, même si, parfois elle déçoit, elle chute, elle ne se prononce pas, mais elle tend à être sans enjeux, pure, faisant table rase des conventions, pour établir une poétique à l’organicité sensorielle du Vivant…
La Direction Artistique a construit une cohérence visuelle et filmique accessible à tous, sans rien dévaluer du processus créatif et des opérations magiques du secret, du geste et de la quête d’Amour, investie comme une Geste à la simplicité fraiche et inspirée. Nous sommes, à ce moment le regard et l’objet de l’ Issue chamanique du retour du récit visuel et de ses prolongements habités. La Liberté est de retour. Une caravane de souvenirs actifs, d’illuminations, de lumières vives et sombres ensemence le présent… et tout cela reste si tactile, si coloré, si tangible, que les yeux intérieurs pépient et approuvent…
Thibault Lévêque écrit ce texte en introduction de l’exposition:
» Le 27 décembre 2021 nous quittons Paris pour Le Nevada.
J’y avais tourné un film en février 2019. C’était le désert sous la neige qui m’avait appelé. J’étais très heureux d’y retourner cette fois-ci avec Eva, pendant la saison d’hiver. Nous y avons occupé de nombreux motels, et quand dehors il faisait -15 degrés, nous y restions plusieurs nuits de suite. Eva écrivait beaucoup. Elle commençait un nouveau roman. De mon côté je la photographiais. Quelques semaines plus tard notre route s’arrêtait, net. C’était un soir dans le quartier d’Inglewood, les rues étaient remplies de supporter de Baseball, et nous, vides de devoir rentrer prématurément sans vraie raison. Quelques jours après notre retour, nous nous séparions à Paris. Une chose de nous était restée aux États-Unis, comme abandonnée. Ces photos que j’avais prises, ces mots qu’Eva avait assemblé, tout était là-bas. Je ne savais plus quoi faire de cela. Il me semble qu’Eva non plus. Des mois passent. Nous nous revoyons à Barbès. Eva m’annonce qu’elle part pour Chicago en septembre, seule avec son sac à dos. Un peu plus tard nous décidons de nous retrouver à Salt Lake City. En octobre. Je la rejoindrai dans l’Utah. Ainsi nous finirions ce que nous avions commencé à deux, et ce qu’Eva était entrain de traverser seule. «
Aucune ombre n’habille ce temps des amants voyageurs, parce que tout est devenu organique, métaphysique, que ce récit est un rêve issu de la présence, agissant ouvertement contre l’angoisse, c’est à dire dans un état de conscience voilé, versé au temps, objectivement, au delà de toute psychologie, dans cet Ici et Maintenant, à travers une énonciation qui se cherche et se nourrit des évènements, croit au travers des interstices, devient asymptotique, cherche son but, s’en approche, sans jamais vraiment s’en délivrer et continue à travailler obsessionnellement la partition qui la porte; fuite en avant, recherche des pôles, hors des abîmes.
En tant que récepteurs, nous sommes conviés à poursuivre le rêve, à l’imager, l’imaginer; entendre les froissements du temps, le chuchotement des soupirs, les larmes et la joie, les cris et le silence, vivre l’ambiance des motels comme celle des carrefours désolés de l’Ouest américain ou ceux, plus brûlants de San Francisco, de Chicago, Salt Lake City, malgré le froid sibérien, ou à cause de lui, hantés du son dylanien des ballades, des pages de Sur la Route, des rêves du Morrison Hôtel, ou de la poésie libre et étrange de Burroughs.
Quoi de meilleur, nous sommes nous aussi en voyage… et nous croisons à proximité de ce beau chant, dans l’inaccompli et la résurgence de l’esprit qui fait toujours actualités en ce Paris de Janvier 23, « Liberté j’écris ton nom. « …
Bonus Track: une interview, un document sonore in vivo, d’ Eva Bottega sur ses poèmes.
Pascal Therme 21 Janvier 2023
L’exposition du 20 Janvier au 20 Février à la galerie LENEUF SINIBALDI / PARIS, 9 rue Henner, 75009 Paris
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