AFRICAN MEMORIES DE JEAN CHRISTOPHE BÉCHET

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AFRICAN MEMORIES
DJENNÉ, MALI, 1990,
©JC BÉCHET

AFRICAN MEMORIES est, en ce début Avril, à la fois une belle exposition couleur et noir et blanc et un livre de bonne facture publié aux éditions LOCO, le tout signé Jean Christophe Béchet.

 » Cameroun, Mali, Niger, Burkina Faso, Nigéria, Algérie… Dans cette œuvre intimement personnelle, je revisite, trente-cinq ans plus tard, mes premiers pas de jeune photographe. Cette période intense de trois ans, que j’ai surnommée « mes années africaines », aurait pu se concrétiser dans un premier livre, il y a 25 ans… mais finalement la plupart de ces photographies sont demeurées inédites. Quelques tirages ont circulé dans des expositions,  mais la majorité est restée enfouie dans des boîtes d’archives. « Mes années africaines »   représentent 79 planches contacts et environ 2220 vues argentiques,24×36 et 6×6. Un nombre conséquent, mais finalement assez faible si on le ramène à la production actuelle en numérique où l’on réalise facilement plusieurs centaines d’images par jour.  » écrit Jean Christophe Béchet dans l’introduction de ses African Memories.

A feuilleter African Memories on se prend à rêver aux rives du voyage de ce jeune photographe alors parti à la découverte de l’ Afrique, à la fin des années 90, recherchant cette aventure humaine avec ces rencontres avec ces paysages désertiques ou semi-désertiques du Sahara jusqu’aux rives du fleuve Niger, entre 1988 et 1990, aux visites de villes mythiques, Mopti, Gao, Djenné, ou celle plus connue  dont le nom résonne toujours ici comme l’appel d’un ailleurs, Tombouctou, dont Paul AUSTER fera le titre d’un de ses romans et qui représentait cet Eden pour les occidentaux, qu’ils fussent new-yorkais ou parisiens, ce paradis lointain, sonnait haut dans l’imaginaire, au delà de ce monde; Pour Mr Bones, le personnage central de Tombouctou, un chien, il est une évidence, Willy, qui a disparu, est désormais à Tombouctou, l‘au-delà des bienheureux. C’est à n’en pas douter une vertu et un appel.

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AFRICAN MEMORIES
Assamaka, Niger, 1990,
©JC BÉCHET

Si le pays est présent, hante la photographie de Jean Christophe Béchet à travers les berges du fleuve Niger, les images du désert sous un vent de sable, le photographe est aimanté plus précisément par cette vie qui flue, qui bouge; il s’éprend à travers de nombreux portraits en noir et blanc et au Rolleiflex 6×6 des corps et des visages, de ces africains dont il partage les quotidiens, de ce peuple des villes, urbains avant tout, dans cette humanité généreuse de la vie légère, sans attache durable, qui s’invente au fur et à mesure de ses déplacements. « Jean-Christophe Béchet est un photographe qui arpente les grandes villes du monde depuis plusieurs décennies pour y saisir des moments d’urbanité où l’esprit documentaire cohabite avec une poésie de l’étrange et de l’énigme », écrivait Sylvie Hugues, à l’occasion de la sortie du livre Macadam Color Street Photo, en Juin 2022.

Je retrouve cette première expérience du jeune photographe, embarqué dans un voyage de trois ans qui photographie par passion, par nécessité, par gout, cherchant son expression et la trouvant multipliée par les sujets qu’elle inventorie, des vues urbaines , à celles des panneaux annonçant un guérisseur traditionnel qui soigne tout, à lire le panneau photographié, le sourire vient immédiatement, parce que cet humour décolle le sérieux de cette société occidentale pressée en tous points, oublieuse du rire et des temps morts, du temps, du farniente, du s’entropenfaire;  c’est ce qui sourd de ces visages, un à propos nonchalant et une attention particulière aux choses de la vie, un tropisme bien utile à tout photographe qui a choisi de pérégriner et de suivre ce mouvement le plus longtemps possible.  Jean Christophe Béchet photographie jeunes et moins jeunes, plutôt des garçons et des hommes au travail, quelques paysages, in the middle of the word, au centre du monde, comme on disait alors, loin, bien loin des berges de la Seine et du boulevard Saint Germain.

 

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Douala, Cameroun, 1989
©JC BÉCHET

Jean Christophe Béchet croit au plus profond de lui en sa photographie, la teste, s’éprouve à nourrir ce regard dont il attend intuitivement beaucoup,  trouve le plus souvent dans cette approche presque tactile une certaine satisfaction à photographier;  une proximité de partage et de voyage se crée avec ceux qui sont les sujets d’un moment, ces compagnons africains avec qui, il tisse des liens amicaux. Ce qui fait image en lui, texte, son, mouvements, références, dans cette fraicheur séduisante est sans doute le résultat de son éblouissement chronique, du charme qu’il tire d’être en situation de création, de témoin; regarder à travers l’oeilleton de l’appareil photo en situation est une expérience séduisante et précieuse pour le jeune photographe, dont l’image s’est curieusement creusée dans la confrontation d’un monde qui a aujourd’hui disparu et dont la réalité passée est venue s’inscrire en dévers de la disparition de toute une Afrique ouverte au monde, hospitalière, généreuse, cette Mama Africa, chère à Archie Shepp, à Pharoa Sanders, et à tous ces musiciens noirs américains venus vivre un peu plus à Paris et en France, pour le plus grand plaisir d’un métissage culturel vibrant.

On retrouve aussi ce qu’était encore pour toute une génération le voyage et ce qu’il représentait comme expérience personnelle à la Plossu, dans cette poésie du dialogue qui se noue, ou pas, immédiatement ou plus lentement, dans l’immersion, avec un territoire, un pays, le Mexique, puis ces iles éoliennes pour Bernard Plossu, qui ont fait références pour toute une génération de photographes voyageurs et bien au delà, marcher dans les pas de celui qui a ouvert un chemin, reproduire une expérience topique où le regard s’ouvre avec le coeur et l’esprit, passe par la peau, la sensation, ne s’abstrait pas si intensément qu’il ne se transmette directement à son lecteur, dans un passage de relais.  La question du destin s’y attache inévitablement, dans une réponse à une question rémanente: qu’ai-je à y faire , à y vivre, qu’ais-je à en dire, par quelle intensité poétique ces dialogues réservés entre soi et le pays donnent-ils la bonne approche, la distance souhaitée, le bon angle, afin qu’apparaissent les signes qui encoderont positivement cette photographie, au delà du document, dans l’inscription d’un regard qui fait oeuvre  en se donnant à cet autre spectateur, récepteur de ces voyages, qualités du regard qui est en même temps rencontres, auto-biographie, si singuliers qu’il appartient de fait à tous.? Tout ceci est voyage, véritablement. Ces dialogues amoureux font rencontres dans un retour du sujet sur lui même.

Comme l’avoue Jean Christophe Béchet, il fallait sans doute que le temps vienne et que cette première expérience s’oublie pendant plus de 35 ans afin qu’elle puisse revivre en s’intégrant rétrospectivement à la production du photographe par la suite, ou, jeune bien sur, le monde était ouvert, sujet passionnant parce qu’impliquant une poétique de l’instant plus ou moins décisif ouvert par le changement d habitus, la séduction et le plaisir de la différence, du climat, des langues, des déplacements, d’une vie à l’africaine qui sait séduire, dépossédant le photographe de ses repères parisiens afin d’ouvrir sa sensibilité à ces différences et à le rendre apte à s’éprendre de la nouveauté, dès lors que les rencontres se multiplient et que ce temps d’immersion reste un levain du regard, l’occasion de photographier juste, en auteur de cette écriture . S’élabore alors une chronique de l’instant, un cinema à la Jean Rouch, assez etnographique s’y est glissé paradoxalement, même si ce n’est pas le but atteint,recherché par ces african memories, un regard poétique aimanté s’immerge dans la foule, s’attache à voir juste.

 

AFRICAN MEMORIES,

Jean Christophe Béchet dira qu’il a de fait peu photographié, dans  une attention plutôt littérale comme les pages d’un roman qui s’écrit au jour le jour, journalier de ce qui s’est écrit sur le vif et dans le temps….et dont le propos, dès que refermé, devient ce livre d’abord improbable, puis abandonné, enfin prêt et publié, dans une sorte de simplicité assez touchante.  Quelques unes de ces photographies resteront en mémoire, actives de ce qui échappait en partie au photographe et qui lui revient au delà des pages pour alimenter ces souvenirs, non pas passivement, mais électivement, quelques trois décennies et demi après leur prise de vues.

 » Aujourd’hui, j’ai revisité et réorganisé ces photos. Je remarque néanmoins qu’avec le temps, le statut des images évolue : certains souvenirs s’effacent tandis que d’autres s’affirment  »  écrit Jean Christophe Béchet dans la préface. C‘est d’ailleurs tout ce qu’il mentionne comme problématique en ouverture de cette expérience africaine, de cette mémoire, qui a mon sens, trouve sa juste réponse, à la fois dans ces pages et sans doute plus ouvertement, plus secrètement en son for intérieur, en cette rêverie qui perdure à l’ombre du  Léthé, dans ces anamnèses épiphaniques qui nous surprennent toujours et nous illuminent, issues d’odeurs, de situations, venues de cet infra- temps, toujours contigües à ce que nous sommes devenus, enfouies en nos mémoires plurielles, non pas si différent comme l’écrit Jean Christophe, ni loin, ni proche, mais dans cette épaisseur mémorielle, qui parfois, comme dans le film intérieur de sa vie, répond aux stimuli de cet inconscient qui nous dévoile alors ce cadeau précieux  de l’étant, essence d’un monde parallèle, comparable à cette eau de vie en nos veines qui continue, en sa magique ferveur, à ravir ce coeur qui , hier, n’avait pas trente ans.

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African Memories, planches contact

« Certaines prises de vue gagnent en puissance quand d’autres tombent dans la répétition ou le cliché. Il est essentiel de trouver le juste milieu entre le souvenir de ce passé et le désir de créer une œuvre contemporaine à partir de photos qui ont plus de 35 ans. Le défi d’African Memories est là !  » , s’inscrivant objectivement dans cette semaine de la grande exposition Paris Noir du Centre Pompidou qui a électrisé tout Paris, remettant à l’honneur les complicités dont l’éclairage, en cette période chahutée, fait un bien de fou… 

Pascal Therme, le 25 Mars 2025.

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ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

Né en 1964 à Marseille, Jean-Christophe Béchet vit et travaille depuis 1990 à Paris.

Mêlant noir et blanc et couleur, argentique et numérique, 24x 36 et moyen format, polaroids et “accidents” photographiques, Jean-Christophe Béchet cherche pour chaque projet le “bon outil”, celui qui lui permettra de faire dialoguer de façon pertinente une interprétation du réel et une matière photographique.

Son travail photographique se développe dans deux directions qui se croisent et se répondent en permanence. Ainsi d’un côté son approche du réel le rend proche d’une forme de « documentaire poétique » avec un intérêt permanent pour la “photo de rue” et les architectures urbaines.  Il parle alors de ses photographies comme de PAYSAGES HABITÉS.

En parallèle, il développe depuis plus de quinze ans une recherche sur la matière photographique et la spécificité du médium, en argentique comme en numérique.  Pour cela, il s’attache aux « accidents » techniques, et revisite ses photographies du réel en les confrontant à plusieurs techniques de tirage. Il restitue ainsi, au-delà de la prise de vue, ce travail sur la lumière, le temps et le hasard qui sont, selon lui, les trois piliers de l’acte photographique.

Depuis 20 ans, ce double regard sur le monde se construit livre par livre, l’espace de la page imprimée étant son terrain d’expression “naturel”. Il est ainsi l’auteur de plus de 20 livres monographiques.

Ses photographies sont présentes dans plusieurs collections privées (HSBC, FNAC…) et publiques (Bnf, Maison Européenne de la Photogaphie, …). Elles ont été montrées dans plus de soixante expositions, notamment aux Rencontres d’Arles en 2006 (série « Politiques Urbaines ») en 2012 (série « Accidents ») et exposées plusieurs fois à la MEP (Maison Européenne de la Photographie, Paris) ou à la BNF («L’épreuve de la Matière », « Noir et Blanc : une esthétique de la photographie»).

Après avoir été longtemps représenté à Paris par « Les Douches la Galerie » (2005/2020), il travaille aujourd’hui avec « La galerie des Photographes » et la « Galerie ART-Z » à Paris.

Jean-Christophe Béchet, African Memories, édition Eric Cez, Editions Loco, 2024, 152 pages

African Memories

https://www.jcbechet.com/?page_id=6400

https://www.editionsloco.com/livre/african-memories/

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