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CHAUMONT PHOTO SUR LOIRE, le château avec la Loire.

CHAUMONT-PHOTO- SUR LOIRE.

CHAUMONT-PHOTO- SUR LOIRE du 16 Novembre 2019 au 28 Février 2020.

Le domaine de Chaumont sur Loire, Centre d’arts et de Nature, présente Chaumont Photo sur Loire 2019 sous le commissariat de Chantal Colleu-Dumond.

CHAUMONT-PHOTO- SUR LOIRE, Chantal Colleu-Dumond  écrit :”Toutes ces images sont inédites ou jamais vues en France. Trois artistes expriment, de manière très originale et très différente leur relation particulière à la Loire. C’est le cas de l’Américain Jeffrey Blondes, dont l’objectif est de nous faire saisir, à l’issue d’un travail d’une année entière, l’essence du temps et des infinie Chantal s variations de lumière et de couleur de paysages intemporels, Manolo Chrétien nous plongeant, quant à lui, dans les remous insaisissables et envoûtants du fleuve. Henri Roy, également fasciné par la Loire, a fait, dans le cadre d’une résidence, le portrait photographique du Domaine et restitué son immersion dans le site par le texte, autant que par l’image. Le grand photographe coréen Bar Bien-U nous entraîne, quant à lui, dans la contemplation des Orums, d’hypnotisantes collines volcaniques de l’île de Jeju, aux formes abstraites et picturales, tandis que Juliette Agnel a rapporté d’un voyage au Soudan du Nord des images d’une intensité et d’une intemporalité exceptionnelles. Le photographe mexicain Juan San Juan Rebollar nous fait, enfin, partager sa passion pour la poésie graphique des végétaux.”

Chantal Colleu-Dumond a réuni pour cette troisième édition deux types de travaux, ceux qui prennent la Loire comme source d’inspiration majeure dans trois types de voyages, immobile et cinématographique avec l’artiste américain Jeffrey Blondes, photographique, plastique et formel avec Manolo Chrétien, (écouter les itv) photographique et animiste avec Henry Roy.

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Chaumont-photo_sur_Loire- La loire, aube et crépuscule©Jeffrey Blondes

Trois autres expositions s’ouvrent sur d’autres voyages plus lointains, mais est-ce si sur, tant la permanence de leur écriture propre procède de la même énonciation curieuse et envoutante, là où se découvrent les pans du réel et s’approche la création. Ces Voyages en Corée, au Soudan, au Mexique, ne sont ils pas aussi un flux d’espace-temps dans un écoulement maitrisé du monde comme une pénétration de l’oeil ouvert sur cette photographie qui rend compte et qui énonce. Un même esprit s’empare du monde et fait voyage, c’est à dire raconte…c’est à dire discerne, s’éprend, met en images.

Bar Bien-U, photographe coréen, présente Orums, dans une photographie faite de noirs et de blancs, essentielle, ascétique, où le noir des collines de l’ île coréenne évoque une géante. Baudelaire déclare dans le salon de 1859 “ « Dans la nature, dans l’art, je préfère, en supposant l’égalité de mérite, les grandes choses à toutes les autres, les grands paysages, les grandes femmes…., et, transformant comme tant d’autres, mes goûts en principes, je crois que la dimension n’est pas une considération sans importance aux yeux de la beauté. »

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Chaumont-photo_sur_Loire, triptyque Orums © Bae Bien U

Ceci n’est pas sans rapport avec l’île aux courbes féminines traitées en silhouettes quand la lumière sommeillante fait les contrastes sonores et calmes, immensité des solitudes où se réfracte le propre silence intérieur du photographe, écrits de lumière et d’ombre, jour et nuit, dans une poétique de l’épure et du dessin, afin que l’entièreté de son regard puisse engouffrer tout le paysage, tout de ses points de vue monumentaux. Un noir s’éprend de la terre, un blanc peint l’air, le ciel immense. Cette vision photographique se source ici en occident dans l’évocation du peintre du noir, Soulages, au cinéma chez Bergman, chez Kurosawa.

Le noir ne masque pas ici le paysage, bien qu’aucun détail ne puisse vraiment se lire, il devient couleur à part entière dans ce qu’il exprime la substance matérielle de la terre, de l’ile volcanique, dont la séduction ne peut plus être à ce moment que purement essentielle. L’ascétisme du photographe dans cette approche, traverse nettement les lignes, les courbes de l’île, vision où la nuit complice recouvre les espaces et les essentialise dans une étendue devenue sans limite, chemins ouverts à l’ascension puis à la conquête du ciel; un regard part de sa nuit dans l’éblouissement métaphysique du premier jour, s’adresse à la première lumière, celle plus transcendantale, plus mystique dont le soleil de minuit est enfant. Le voyage que propose Bar Bien-U est le voyage des origines, celui de la naissance du monde hors du Chaos et ce voyage de la transcendance par la matière découpe les formes sensuelles des collines sur le blanc de l’infini du jour, dans un geste qui accumule les références au cinéma et à la peinture.

Il situe de plus l’immanence de sa pratique photographique vers un retour à la sensualité du monde, des formes, du corps féminin, et tout cela est maintenant partie intégrante de sa photographie.

Cette épure formelle s’appuie sur un non-transfert de polarités, elle contient en soi un refus confirmé de ne pas exposer le négatif où les valeurs s’inverseraient, nuit noire, terre blanche; non, il convient d’affirmer l’immense  voyage de la sensibilité qui s’individualise à ce moment, se réfugie dans le tirage comme une oeuvre au chant pictural et photographique pour saisir l’image native et secrète de cette grâce du premier jour et de son accomplissement, au sein de la création, attitude que partagent un Orient Zen et un Occident chrétien, dans la situation d’une genèse, l’une provenant du Non Agir, l’autre d’une apocalypse (sens étymologique, révélation), ou d’une épiphanie.

Ici l’ascétisme a permis de discerner cette nuit au delà de la nuit dans son étonnante blancheur, (il faut passer par l’inversion des polarités que propose la photographie argentique, sur film sensible  pour obtenir un positif)  ce visage rieur et sensible du Buddha, malicieux, faisant écho dans sa liberté à cet autre chat, démiurgique, du Maître et Marguerite…ou à celui pré-cité de la Géante. Le photographe reçoit ces vers baudelairiens qui s’imposent, comme un retour de la sensualité enchanteresse du monde, traduisant un désir inavoué…

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Chaumont-photo_sur_Loire, triptyque Orums © Bae Bien U

« J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante

 comme au pied d’une reine un chat voluptueux….

Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne”.

La Géante, Les Fleurs du Mal, Baudelaire

 

 

Et c’est donc en chat persan, que nous continuons cette visite heureuse, active, quelque chose a profondément dénoué les tensions du monde extérieur, est-ce cette vision de l’île aux photographies monumentales, ces triptyques faits de noir et de blanc, ce retour à un espace scandé, pur, essentiel, aux confins du jour, ce chat voluptueux? Il semblerait qu’un philtre magique se soit répandu dans nos veines, que ce château abrite un esprit malicieux et doux, un de ces bons génies qui ouvrent les portes, toutes les portes…

Un  double voyage a commencé, celui de notre déambulation et celui de notre regard qui entre maintenant dans la nuit talismanique de Juliette Agnel.  Nuit magnifiée et féerique de ses étoiles, cosmique, présences magiques avérée du chant de la nuit dans le berceau céleste, sous la voûte essentielle, comme au commencement des temps.

Car qu’est au fond Taharqa, sinon la réminiscence profonde d’une terre sous la nuit du désert dans un peuplement d’étoiles, sous la lumière augurale de la lune, argent et sable, où d’antiques colonnes défient le temps de leur force pétrifiée au chant su et oublié. Approche de la nuit en ces lieux reculés et hors du monde, hors des réalités politiques de ce temps, comme un avant d’avant ancestral par une souvenance qui fait mystère…Méroé fut la capitale d’un empire puissant pendant 7sept siècles, aux confins du désert de Nubie et de la sixième cataracte du Nil, alors route du commerce. Olivier Rolin lui a consacré un fameux ouvrage. Est-ce suffisant pour entrer dans ce monde, sous la puissance magique de la lumière d’argent, féérie promise, sable sous la main qui file entre les doigts, paix profonde du coeur apaisé, où est passé ce temps mémorable et cosmique, si présent, si beau, si impérissable.

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Chaumont-photo_sur_Loire-Taharqua et la Nuit, ©Juliette Agnel

Est ce là l’Egypte en son souvenir, les mystères d’une terre joyeuse, dans l’inaugurale présence de son don, est ce là encore le départ d’un nouvelle énigme embrassant les origines, un voyage aux sources de notre temps, mémoire inconsciente de cet immémorial qui précède ces milliers d’années qui nous verront naître et dont la pierre porte encore un témoignage indéchiffrable mais curieusement connu d’une part de notre psyché? Où sommes nous donc, les grandes photographies distribuées en plusieurs salles offrent un parcours où le regard ne cesse de se rassasier de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il boit. Une sorte de songe magique peuple la nuit primaire, hante les manifestations d’un divin invisible mais sensible.  Et c’est bien là, le songe majeur de Juliette tout en son art?

Le voyage de Juliette Agnel aux pays des pharaons noirs, dans la ville de Méroé, au Soudan, en plein bouleversement, semble avoir été  un voyage initiatique et une aventure au sens où adviennent des évènements qui se relient entre eux comme s’ils comportaient un sens à déchiffrer. Hiéroglyphiques…. Coïncidences entre ces signes inscrits dans la pierre, qui rêvent sur les colonnes en plein désert et la nuit qui s’accorde aux mystères, dont l’énergie vibratoire se communique par l’infini de la nuit stellaire. Ces pyramidions, ces ruines, ces colonnes sont le sujet équivoque d’une photographie qui s’est constituée à travers plusieurs opérations que raconte Juliette dans l’Interview, plusieurs prises de vues sont assemblées pour constituer une seule image, elles sont aussi le signe d’une marque qui a parcouru le temps, dans la grande tradition romantique, afin de renouer les liens distendus entre l’homme “moderne” et le Sacré, par les révélations apportées par les rêves, mères initiatique depuis l’aube des temps.

Juliette Agnel, interview sur Taharqa

Ainsi ce qui parcourt le temps comme signe indéchiffrable en ce point précis des ruines archéologiques de Méroé, dans le désert, renoue avec les signes indéchiffrables que furent les hiéroglyphes pendant tout le XIX ème siècle. Une même recherche occupe l’imaginaire, le pousse vers l’ésotérisme et l’écriture.La photographie de Juliette est à ce point un moment où s’établit le spectacle poétique de ces ruines en proposant un fantastique voyage aux sources du temps. Puissance de l’imagination rêvée. Elle instruit donc un parallèle avec ce que fut l’égyptologie, ici, du lien avec l’imaginaire des romantiques. Chateaubriand écrira à propos des hiéroglyphes : “ ces monuments muets séculaires qui viennent de reprendre la parole dans leur désert”

Juliette Agnel n’est plus ici seulement une photographe qui fait photographie sous la complicité et la protection de Chantal Colleu-Dumond, plus seulement car elle fait état par ce travail nucléé, d’un lien littéraire aux Romantiques français dans leur rêverie ésotérique et dans leurs liens au Merveilleux.  Car du point de vue archéologique les textes issus de Meroé qui nous sont parvenus, notamment à travers l’exposition u Musée du Louvre, il n’y a pas dix ans, ne sont pas déchiffrés. “Sur les quelque mille textes actuellement connus, issus de Méroé, seules les inscriptions funéraires ont un sens pour nous. Les textes littéraires nous échappent complètement. Aucun document bilingue, comparable à la pierre de Rosette pour les hiéroglyphes, n’a encore été mis au jour…” écrit Le Figaro à l’époque. Il ya donc Mystères et c’est devant ces mystères que la photographie de Juliette Agnel prononce cet aveu d’un autre lien plus irrationnel, plus prégnant, il s’agit du songe majeur qui hante les hommes depuis les commencements….l’immémorial

Sans vouloir nommer cet illuminisme magique du dévoilement dont on ne peut faire abstraction quand sa photographie énonce un au delà du temps, un lien au déchiffrement, ce surgissement d’une terre des origines, au présent de ses ruines, énigmatiques beautés d’une terre enlunée, peuplée de songes antérieurs, son sec des pierres au roulis de la marche, poussière des jours enfuis, défis du temps ancien et inconnu, plis du songe et du rêve qui font photographie, par ces soleils  révolus d’un autre temps, pétris par le mystère, revenu  enfin à lui même. Plus que photographies, ces objets magiques du voir précisent la pierre du désert et la brique nubienne. Là est le commencement de la mémoire qui finit par disparaitre et le chemin de Juliette Agnel celui de percevoir, de faire entrer l’Immémorial dans le champ de la photographie, du côté de l’invisible, de la numineuse présence qui habite encore ces lieux.

Toute une activité intellectuelle, scientifique, ethnologique, ethnographique, archéologique double le principe même du merveilleux et de l’imaginaire, dans une tentative rationnelle de vouloir comprendre afin de savoir. Il m’est apparu que cette connaissance pouvait être de l’ordre d’une poétique liée à la nuit ancestrale et talismanique, qui brillait dans son cercle -René Char, c’est elle qui configure nos origines dans un rapport au Sacré et à l’Immémorial, ce dont la photographie habitée de Juliette Agnel témoigne si justement. , dans un souffle adressé aux étoiles.

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Chaumont-photo_sur_Loire- pyramides de jour, diptyque assemblant un positif et son négatif..

L’exposition présente aussi des dytiques noir et blanc de ces pyramides photographiées en journée, où sont assemblés le positif et le négatif, peu dissociables au premier coup d’oeil, car l’inversion des gris connait a peu près les mêmes valeurs, sauf qu’au contact du négatif, d’autres lignes de force internes semblent se dessiner. Juliette en donne l’explication, c’est pour mieux rendre compte de ces énergies intérieures qui les parcourent.  et en font plus qu’une archéologie, un bâtiment organique dans son rapport aux énérgies telluriques, aux forces qui gouvernent le monde.

Voyage improbable et pourtant réel, avec ces photographies, les nuits d’ici deviennent plus claires et plus profondes; le sentiment d’appartenir à une humanité plus lointaine et plus reliée enchante et promeut ce rêve d’altérité royale. Ne fallait-il pas ré-enchanter cette période par ces éternités où le symbole et les signes n’étaient pas muets. Sans doute est ce ce chiffrage qui honore la fonction heuristique des langues disparues et dont on ne perçoit plus, comme ces ruines en plein désert, que le chant habité encore présent dans sa puissance vibratoire, sensible, toujours actif, pour qui sait recevoir et écouter… happy fiew ceux qui savent entendre et lire.

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Chaumont-photo_sur_Loire- © Juan San Juann Rebollar

Et puis on accède à l’exposition silencieuse de Juan San Juan Rebollar. Le photographe mexicain s’intéresse aux fleurs, à la flore dans ses efflorescences,  au coeur des plantes exotiques. Ses tirages grand format noir et blanc et couleur, sont d’une prodigieuse beauté, attentive, ouverte, exposés aux regards dans ce don direct de la Nature, sans maniérisme aucun. On vit de très près le coeur de ces corolles pétrifiées par le gel, desséchées par la chaleur, dégénérescences sans qu’aucune idée préconçue et conceptuelle n’intervienne dans le don de ce qui est produit au regard, exposé. Un travail très attentif montre cette beauté graphique. Photographe de la surface et de l’instant, Juan San Juan Rebollar peint ce monde floral avec cette sensualité descriptive directe pleine d’amour sensible, portraits de ces êtres vivants, végétaux qui s’épanouissent puis décroissent. Tout un mouvement interne du vivant se trouve donné dans une simplicité sincère. et descriptive.

 

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Chaumont-photo_sur_Loire-©Jeffrey Blondes, Aube et crépuscule

Jeffrey Blondes a réalisé plusieurs films, dont le plus long est de 74 heures, ici de plus courts, 12 minutes, qui  sont l’aboutissement d’une observation systématique, régulière de la Loire d’un même paysage, deux heures par mois pendant un an, six mois pour l’aube et six autres pour le crépuscule. Il décrit cette intention comme suit:”

“Je veux transmettre une certaine sensation de temps…la lenteur que nous sentons quand nous nous asseyons dans l’herbe et prenons le temps de regarder le soleil se lever ou se coucher. Le temps de la nature.Dans tout mon travail, il y a ce besoin du ralenti ; prendre le temps de passer de l’acte . ‘regarder’ . la sensation de ‘voir’. Le but ici c’est d’arrêter l’observateur juste assez longtemps pour qu’il se rende compte que l’image n’est pas statique, que cela .voulue et que si on s’arrête pour un moment, on peut entrer dans un autre espace-temps qui n’est pas . la même échelle de nos vies quotidiennes où nous sommes saturés d’images sans fin… ce monde où on regarde beaucoup sans rien voir… J’offre l’inverse… J’invite les gens . regarder très peu pour qu’ils puissent enfin voir tous les détails.” Jeffrey Blondes

Jeffrey Blondes propose dans ses films et ses grands formats photographiques qui les accompagnent, un mouvement fixe qui se nourrit du mouvement de la lumière dans le cycle du jour et celui de l’eau en reflets d’un paysage façonné par la Loire, un paysage français bien connu pour ces mouvements essentiels de l’eau et du ciel dans ces lumières qui circulent de haut en bas et reviennent de bas en haut, cercles invisibles à l’immatérialité essentielle où celle ci, est devenue principe actif des films, sujet/objet de l’observation du peintre cinéaste,  substance, matière rêvée autant qu’objet d’études, évoquant cette Renaissance italienne d’il y a cinq siècles en Leonardo da Vinci.

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Chaumont-photo_sur_Loire-©Jeffrey Blondes, Aube et crépuscule

C’est un voyage immobile sur la Loire, un pur objet du voir, plastique et contemplatif, accompagné d’une réflexion profonde sur le temps, dans un parallèle entre l’écoulement de l’eau et celui du temps.  les registres colorés de la lumière, étoffé de la gamme des couleurs que traversent les couchants et les aubes aux quatre saisons, sous la forme de bandes de films alignées minutieusement dans de très grands formats photographiques et dont la perception à quelques mètres ressemble à un échéancier de couleur. Le cinéaste en tout point est ici le peintre coloriste qui a relevé, mis en relations ces passages de la couleur aux différents temps du film, si bien qu’il livre ici un relevé de l’immatériel, dans les spectres et les gammes colorées, les températures de couleur qui, rapprochées, en donne toutes les valeurs.

Plus que cela encore, ce travail inclut cet Ouroboros difficile à approcher en photographie, une figure du cercle de l’éternel retour dans sa beauté magique parce qu’elle ramène le spectateur, cet autre soi, au plan du cercle et du cycle, donnant en échange un point de vue sur une période d’une année, dans une concentration d’éléments universels.

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Chaumont-photo_sur_Loire- la Loire ©Manolo Chrétien, détail

Manolo Chrétien présente Fusions dans les galeries de la cour des jardiniers, de grands formats photographiques, couleurs cuivrées, argentées, sable, grises et noires, d’argents sur les mouvements rapides de la Loire, Aqua Forte, Eau Forte.

Un regard amoureux s’éprend de l’or des soleils en réflection sur les eaux vives du fleuve. Et cette promenade amène le spectateur à un paysage autrement plus près de cette intimité créatrice qui fait cette photographie précisément picturale,  vitesse lente de l’obturation,  chemin de l’eau qui court  ainsi dans le temps sur le grain du film, en composant des lignes, nervures de feuilles, pinceaux de lumière,  mouvement des flots rapides,  dessins d’une une précision qui enchante le trait, le destine à toute la présence, l’attention du regard. On se croirait à ‘intérieur d’une toile de Maître tellement la précision de la lenteur du trait accuse la fertilité de l’oeil qui accorde à cette photographie, la précision du point, du jeu, du mouvement. Un oeil devient main gravant par la taille la douceur angevine du remords, la surface de l’onde devient peau de loutre, fourrure, dans une mutation pérenne qui surprend et enchante.

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Chaumont-photo_sur_Loire- la Loir ©Manolo Chrétien

Un regard « pensif » s’éprend des reflets du soleil sur la Loire dans un traitement assez plastique pour en faire naître une instantanéité picturale. Celui ci, azuréen plonge au coeur de la matière, et navigue aux points où ses effets optiques en font tout autre chose. Les tirages légèrement contrastés accusent le roulis de ce regard ailé et accompagnent comme une main de tailleur ce mouvement de transformation qui glisse sur la surface de métal, le brosse, le tire, le plonge vers une sorte de transmutation. La Loire devient étuve, forge, on y entend se froisser discrètement ce bonheur des matières qui glissent et se résorbent au regard. Un double effet interroge cette poétique profonde des alliages dans une dimension où l’imagination créatrice opère ses transformations en profondeur de l’intimité rêvée du photographe. Manolo est happé par ces mouvements de l’eau en ces remous de vague immobile et par ce chant de l’invisible, un regard glisse sur l’eau en fusion, y relève cet effet peau de sardine, cet aluminium cher au photographe parce qu’il sature les gris et polarise les blancs dans une séduction des sels d’argents insolés, tirant du medium un effet de polarisation si photographique – ces noirs légèrement sépia -, où se dédouble et se couche simultanément l’ effet d’image, comme un corps transparent à son âme.

C’est dire que le regard emporte au delà du visible et en son centre (un regard circulaire?) la profondeur de la matière, vécue ici comme une épouse de la lumière et et de l’eau mouvante, vivante, puissante, de l’onde plus poétique qui offre sa mutante chaleur à la percée du regard. Un effet  peau de sardine, effet de soies, disent alors ces transmutations, l’eau est devenue animale au delà de ce premier magma du à l’or des soleils somptueux, se divinise  en quelques sortes. Tout cela est possible parce que Manolo se rêve en ce processus de traversée de la matière en fusion  et assiste dynamiquement dans ses possibilités créatives cette genèse enchantée, vastes amours entre le ciel, l’eau, la lumière, dynamiques des fusions où tout un art poétique s’établit inconsciemment pour offrir au photographe ces noces élémentaires. Là s’éprouve l’indicible  hiérogamos, ce mariage entre la Nature et le regard de Manolo Chrétien, accomplissant les joies d’un ciel inversé, champagne solaire d’une Loire nerveuse, toute versée au destin de ces mutations profondes.

Regis Durand ans le regard pensif écrit: » L’aura d’une oeuvre c’est cette distance (spatiale et temporelle) qui donne à l’oeuvre son caractère « sacré »… Or l' »aura » d’un objet c’est aussi « l’ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire tendent à se grouper autour de lui.C’est ce qui assure la circulation des regards, de l’observateur à la chose, de la chose à l’observateur: » Sentir l’aura d’une chose, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux ». Nous sommes toujours dans le droit fil d’une psychologie de la jouissance artistique, celle là même que Worringer appelait « la jouissance objectivée de soi. »

Une lecture optique linéaire sautillante, métaphorique se conjugue à une lecture haptique, ce toucher du regard dans sa dimension corporelle, organique se lie à cet autre touché, parfois s’éprend de telle partie de l’image et s’y enfonce, tandis que cette lecture optique précipite vitesse, intellect, légèreté, dans une jouissance de langage et de corps. Alors nul doute que la Loire, ce fleuve indomptable et sauvage ne rêve lui aussi de se voir plus fluent dans les grandes photographies de Manolo Chrétien et de rire de ces tendresses profondes que l’oeil et la main du photographe ont su faire joué dans cette part indivise pour offrir au dieu fluvial, la présence de ces contes, de ces transmutations orphiques.

 

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Chaumont-photo_sur_Loire- ©Henry Roy

Ce tour de Chaumont-photo sur Loire serait incomplet sans évoquer le travail d’Henry Roy, auteur et photographe, où une voix décrit  par un long texte habité, réflexif, toute l’intimité de ses présences aux jours passés en résidence dans le château et le parc, aux quatre saisons. S’en suit un portrait animiste d’un château, ses dépendances et son parc, publié dans un beau format sur papier grège dans un grammage qui densifie le texte aérien, presque pulmonaire, ce recueil à la déambulation intérieure descriptive, interrogative. Henry Roy relève par l’écriture la source même de ses photographies venues en renfort pour rendre au visible la prégnance poétique de cette voix intérieure, tout au dé-paysement de sa situation bi-culturelle. La lecture animiste du château, de ses dépendances et de ses alentours, fait surgir à la butée de son regard , le Haîti lointain et proche, formations perceptives, dé-ambulation enchantée, retour aux sources de cette voix intérieure qui s’est éprise de Chaumont, et qui traverse le temps. Henry Roy s’est accordé le  » luxe ultime » de ne se fier qu’au « radar de son intuition pendant toute la durée de ce voyage intérieur.  » et pour ce faire, il « se livre aux rituels d’un culte inventé, à un cérémonial, un acte psycho-magique, comme une force d’incarnation adressée aux forces de guérison de notre planète dévastée. » écrit-il.

Le château et son parc deviennent alors un sanctuaire , un point central à travers le temps. La résidence dans son apport au texte commence en hiver, un 22 Novembre 2018 et se clôt le 10 Septembre 2019. Le photographe écrivain parcourt le temps sur les ailes des mots et sur l’écheveau de sa photographie. Il relève ainsi le fondement de ce qui fait voies et voix, parcourant les soleils de percale, s’adressant aux nuages, » aux merveilleux nuages », écoutant le bruissement intérieur de la terre, l’hiver, le printemps vert dans le concert des oiseaux et des fleurs aux insectes virevoltants, aux joies joviennes et sonores des jardins parés d’enfants, la lente plainte de la terre assoiffée, puis le retour mélancolique des brumes apaisantes de l’automne.

Les quatre éléments sont aux sources de cette rêverie poétique tout en délicatesse des rêves qui traversent les mots et qui font la langue fleurie, délicate, précise, broderies, souffles, le langage est ici le vecteur de l’énonciation, première instance active au propos afin de saisir le voir et son objet par une photographie  qui s’émerveille, éveille la  lumière, corolle solaire d’une fleur aux roses de ses pétales, arbre pluri centenaires qui lance ses bras au devant des brumes automnales, feu de la lumière projetée sur un mur de pierre, dansante, flamme intérieure des vitraux qui colorent et qui chauffent la pierre tendre, explosion des verts qui ont mangé la cabane comme une forêt luxuriante, retour d’Haïti, palmes qui se consument sous la lumière rouge de la nuit bleue estivale, banc de sable où rit l’onde azuréenne , nervures vertes des feuilles évoquant cette forêt primaire, parcourue de rivières, comme vue du ciel et de très haut….

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Chaumont-photo_sur_Loire- ©Henry Roy

La photographie ramène Henri Roy au souvenir de son île, à lui, dans le sommeil perdu du texte où se lit  cette présence occultée du souvenir; cela sonne très juste comme une promesse à l’insatisfaction dérangeante, Parfois il note qu’il « passe et repasse, suivant ma ronde obstinée, toujours aux mêmes endroits. Cette besogneuse répétition n’a décidément rien de monotone. Elle manifeste une insatisfaction chronique, doublée de l’espoir inébranlable d’être surpris, enthousiasmé. Jamais un lieu ne respecte tout à fait le souvenir que l’on en garde. La stabilité des êtres et des choses n’est qu’apparence trompeuse. Et il me plait de naviguer aveugle sur l’océan du perpétuel changement. »

Il faut lire ce beau texte, compagne de cette photographie, la voix d’Henri Roy y fait moisson de sensations dans l’éligible attention qui fut la sienne, comme l’écrit Aimé Césaire dans Nouvelle bonté : » Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube. » Ce qui fait résolution de l’écrivain engagé en lui même par l’écriture, cette lente approche de soi même plus lucide qu’il n’y parait et sans complaisance; il est question d’approcher par couches, les traces de ses pérégrinations, ce qui fait  oeuvre et sens, au delà des apparences comme il faut savoir naviguer aveugle c’est à dire voyant sur l’océan du perpétuel changement.

Reste à parler de Madame Chantal Colleu-Dumond dans la portée de ce festival. Ambassadrice complice des artistes et des oeuvres, Chantal Colleu-Dumond  sait assembler les artistes et rassembler les oeuvres dans une direction artistique riche et profonde,  avec cet esprit électif moralement, eu égard à l’importance artistique  des propos exposés. Ne s’est-elle pas montrée exemplaire dans l’échappée et le montage du voyage de Juliette Agnel au Soudan, alors en proie aux troubles, utilisant tous les rouages de la diplomatie pour que ce travail puisse exister. Chantal Colleu-Dumond fait oeuvre également dans cette cordialité qui touche et qui porte le festival depuis trois ans.

Pascal Therme, le 23 Novembre 2019

 

 

 

 

 

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