Capture-d’écran-2019-09-12-à-12.40.54 DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, sans titre CUBA©PIERRE ÉLIE DE PIBRAC,

DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac

 DESMEMORIA Pierre Elie De Pibrac à l’espace Dupon-Phidap,  jusqu’à mi Janvier….

 DESMEMORIA Pierre Elie De Pibrac  LIVRE ÉDITÉ CHEZ EXB

pagecouvlivre DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA , couverture intérieure du livre

DESMEMORIA, Les coupeurs de cannes à sucre à Cuba.

Pierre Élie de Pibrac est parti vivre plus de huit mois à Cuba avec femme et enfants et s’est intéressé à ces coupeurs de Cannes à sucres, autrefois âmes de la nation quand le régime sortait de la Révolution, aujourd’hui, petit peuple appauvri et surveillé. Cette exposition sur ce plan est une véritable révélation et une prise de position in fine sur cette réalité des quotidiens où l’ombre grise a gangréné les soleils prometteurs d’autrefois.

Pierre-Élie de Pibrac construit une sorte de voyage de l’ombre, disparition des cubaines et cubains, réduits à une forme d’esclavage et d’asservissement, car contraints au travail, ces coupeurs de cannes n’ont plus la place que leur accordait Fidel Castro, aux temps de fondation de la Révolution cubaine. Âme de la Révolution, ils en sont aujourd’hui, les oubliés, voire les parias, en tout cas ils en sont devenus  les Invisibles. Pierre-Élie de Pibrac photographie ce Cuba tombé en désuétude, usines et champs de cannes, villages, habitations, routes, décors, versés à l’oubli, où s’exercent toujours surveillances et délations. Cette photographie ouverte à l’espace est une instantanéité voulue et choisie, afin de libérer ce regard qui raconte l’impasse existentielle de ces condamnés à vivre et y note scrupuleusement les gestes de la vie dans son reflux.

coupeur DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, Coupeur de cannes à sucre masquant son visage par peur d’être reconnu
©PierreÉlieDe Pibrac

Un travail particulier s’expose ici, dans une plénitude attentive. Ce travail est le fruit d’une complicité tout autant d’une amitié entre Thomas Consani, orfèvre en tirage et Pierre-Elie de Pibrac, Photographe.

Tous deux ont cherché la traduction la plus exacte en matière de tirages,  afin que ces noirs et blancs ne soient ni trop contrastes, ni trop doux, et que les gris aient cette capacité de retenir une lumière « atemporelle », rendant plus difficile à situer dans le temps historique la période dont ces photographies témoignent, afin de donner cet éclairage particulier aux propos vécus du photographe dans Desmemoria: une dé-mémoire officie un reflux de l’identité de ces derniers coupeurs de cannes à sucre totalement oubliés.

Les tirages de Thomas Consani sont le fruit d’ une recherche d’a-tonalié prégnante afin de doubler conséquemment ce que disent et montrent ces images, la pauvreté et l’indigence de ces ouvriers très surveillés, tout un panorama de l’absence s’y lit, d’autant que Pierre Élie de Pibrac suit, avec la distance appropriée de ces cadrages, de son cadre pourrait-on écrire cinématographique, l’assourdissement et le désenchantement de ce monde, gagné par la peur, dans l’oubli des feux de la révolution, cette lente disparition d’un peuple qui fut alors conquis au castrisme et dont le sourire s’est irrémédiablement figé….ce présent est amer, insoluble dans l’Histoire, versé aux efforts sur-humains imposés à tous, jusqu’à l’épuisement, l’esclavage, afin de satisfaire aux promesses de Castro de livrer à l’URSS ces millions de tonne de sucre.

Ce fut également un sacrifice en soi, ce qui a fallu alors consacrer à cette ferveur d’autrefois quand Castro avait promis au grand frère soviétique dix millions de tonnes de sucre. Tout un pays fut , homme, femme, enfant, contraint au travail forcé plus de 12 H par jour…

 

 Pierre Elie De Pibrac et Thomas Consani, interview.

 

Ainsi naissent ces images dans ces gris choisis, un présent permanent s’est installé répondant au concept du titre Desmemoria, l’impossibilité du souvenir; une dé-mémoire les place ainsi dans un hors-temps figé sur lui même, un hors temps qui a paradoxalement vieilli alors qu’ils marchent contre le jour, dans la nuit lente, comme avalés par les bâtiments dont les carcasses reposent sous un soleil incertain, un pays de désolation profonde, en proie à la dépression s’étend dorénavant sous l’Histoire.

L’air, la lumière, sont contaminés,les rues semblent elles-mêmes atteintes du Mal, rongées par l’angoisse, se délitant dans cette pauvreté grise, si bien que les bâtiments photographiés, la grande usine elle même, ne semble plus traversée que de fantômes et d’ombres, lieu improbable d’un théâtre de la déchéance. Dans ce contexte des images naissent , compagnes endeuillées à la notation précise. La vie en ces lieux, est une disparition; les objets et les corps, les situations, diluent le soleil comme dans un brouillard. Tout est suspendu à ce regard qui évoque mélancolies profondes, refus, là où fuient les toits et les murs gris au delà de leurs lignes.

chevalnoir DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, sans titre CUBA©PIERRE ÉLIE DE PIBRAC

Tout une part de cette exposition se nourrit de ces scènes de la vie ordinaire, sans  extravagances, que le photographe note dans des carnets de mémoire, avec infiniment de délicatesse, sans jugement, cherchant à rencontrer ce peuple là, disparu d’aujourd’hui, au delà comme au dedans de ses ombres.

Pierre Élie de Pibrac ne cesse de cueillir ces images qui naissent à portée de mains, de regards, dans une distance juste, son cadre donne beaucoup de présence aux décors, en naissent des images sur-réelles et symboliques, telles ce  jeune cheval noir qui file au galop, évoquant une fuite apeurée dans un chaos. C’est là sans doute aussi ce qui fait métaphore et photographie chez Pierre Élie de Pibrac.

 

hlm-cuba DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, cité en ville, ©P.E.de Pibrac,

Cette photographie ne cesse de courir sur le temps, de faire de ce constat, le partage d’autre chose, grâce aussi à ses références à la grande tradition américaine de la photographie sociale de la FSA, Dorotea lange, Walker Evans, situant l’action dans un champ de conscience où les corps et l’espace sont les tout premiers signifiants. Il est question de trouver la juste expression photographique entre le sentiment profond du témoignage humain (ici plus qu’un constat) et l’emprise politique d’un système qui contraint la vie à refluer dans la pauvreté, au secret des partages de l’aveu de la visible et invisible humiliation de l’esclavage subi sous la contrainte, jusqu’au renoncement sacrificiel de soi par le constat des effets de la dictature sur la vie.

Pierre Élie de Pibrac photographie ce rapport sacrificiel, pour témoigner de cette simplicité fruste, dépressive, quand la vie reflue dans la survie et se signale comme une sorte de butée du regard. Une femme dort avec son enfant sur un matelas à même le sol, il n’y a rien à dire, juste à saisir au vol ce moment de repos qui fait encore vie et grâce, ici et maintenant. Voilà ce qui touche, cette justesse de ton dans l’à propos du champ que cette photographie note, la vie telle qu’elle est encore, là où elle se réfugie, gestes simples, en retenant son souffle, en dehors de tout propos idéologique ou même politique.

Une magie improbable se dégage de la situation de ce constat traversé par toute la poésie du photographe, pensant une écriture de la découverte et du témoignage à travers cette sensibilité humaniste et la proposition que le rêve établit malgré tout, dont le pouls bat lentement, doucement entre lumière et pénombre. Quelque chose d’une rêverie à l’épreuve de Cuba donne à re-sentir, ce qu’il se passe ici, dans cette lassitude des corps, cette errance du pays; cette rêverie reste un lent « cauchemar » qui ne dit pas son nom, déréalisant, qui ne cesse de s’établir dans un silence redoutable au delà de la plainte d’un peuple broyé par  et sacrifié à son inhumaine grandeur.

Desmemoria est photographiée dans une sensibilité qui perçoit à la fois les signes de ces disparitions, pour en même temps les inscrire dans la mémoire de la peau de Cuba, sans pathos.  Cette photographie ne connait pas d’effets de dramatisation, se situe au bord du témoignage  dans une tradition où la propre humanité du photographe trouve à noter les travers de ces vies qui croisent son regard attentif. Celui-ci, symboliquement « accroche » magnétiquement ce qui témoigne dans le champ du visible d’une aspiration à la liberté, vivante encore malgré tout, dont les coupeurs de canne ne se soucient plus si vertement; une fatigue de toujours, décrite par le texte de Zoé Valdès, 11 ans en 1970, dans Mémoire de l’oubli donne tout un contexte et une compréhension de ce que cet effort de « guerre » fut, laissant nombre de cubaines et cubains exengues…à moitié-morts. ( Le texte est publié en réserve des photographies. )

Femme-et-enfant DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, sans titre CUBA©PIERRE ÉLIE DE PIBRAC,

Un système de tensions entre ce qui s’affirme et se perd, est vu par cette photographie qui ne cesse d’être appelée à appréhender l’ invisibilité  du drame, reflux des mémoires vers l’impossibilité du souvenir, et qui, poétiquement s’éprend de celles ci dans leur indéfectible aptitude à espérer comme à renoncer.

Il n’est plus ici question d’une pauvreté mais d’une simplicité assez sobre qui fait photographie. S’en suit une photographie intime qui note le lent constat qui vient à naître et dont l’ombre s’insinue au coeur.

Ici le cheval noir qui file devant le photographe, là le geste du coupeur de cannes en plein champ qui se masque le visage avec sa casquette afin qu’on ne puisse l’identifier ou qui essuie sa sueur, on ne peut savoir,…. réflexe protecteur et négation de soi, plus tard une femme aperçue par la fenêtre, couchée sur un matelas jeté au sol, son enfant à ses côtés, semblant dormir « tranquillement », là, un homme assis au bout de sa chambre, de dos regardant dehors, ailleurs, là où le regard du photographe ne saurait aller…  comme si un monde était réservé à la butée du regard de ces êtres là, impossible à suivre, impossible à comprendre, se réservant aussi le silence pour eux mêmes, dans une appropriation singulière, comme pour pousser la vie un peu plus loin au delà de ses manquements, à la joie devenue incertaine. de vivre même, car est ce bien la vie vécue et valant d’être vécue qui ne résume plus ni au courage, ni à la fierté, mais à ne plus inéluctablement disparaître.

Tout le vivant n’est-il plus à Cuba que l’indignité d’un castrisme déchu?   

 

inthabit DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA, sans titre CUBA©PIERRE ÉLIE DE PIBRAC

Toutes ces images ont l’intensité de la présence ajournée d’une autre vie, celle qui semble avoir fui au delà des apparences, de cette réalité de la vie ici à Cuba, en ces instants, ce repli d’une mémoire ajournée, dans l’impossibilité d’une autre réalité.

Dans l’exposition sont exposées deux séries, l’une majeur issue de cette tradition du reportage social FSA, en noir et blanc et l’autre en couleur, plus « art contemporain, » à la chambre, comptant de grands portraits qui font fleurir ces présences à l’oeil, portraits de ces cubains devant leur maison, obligés ces jours là d’en repeindre la façade, parce que c’est l’anniversaire de la révolution. Pierre Élie de Pibrac leur a demandé de faire enfin face à la chambre photographique  et de regarder dans les yeux, de faire face.

Dignes bien que saisis, on peut y lire beaucoup de tristesse, d’abattements, de silences, de tendresses profondes et de fierté, de résistances, d’esprit, même si tous témoignent de violences subies…qui resteront secrètes, on peut en lire la charge et la portée, dans ces regards se loge tout le poids du castrisme.

pagelivre DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE

DESMEMORIA , pages de gauche slogan castriste, de droite portrait

Le Livre Desmemoria publié aux éditions Xavier Barral, alterne avec les photographies Noir et Blanc, ces portraits dont le filigrane porte les slogans castristes cités dans le livre et relativement invisibles au regard, dans l’exposition, si on ne s’approche pas très près du tirage. Ce filigrane couvre toute la surface de l’image, si bien qu’il s’inscrit dans la peau même du peuple des coupeurs de cannes à sucre, de ces travailleurs de l’ombre, comme marqués au fer rouge de l’invisible invasion de la dictature castriste et de ses litanies. Condamnés à Vivre, mais pas seulement. Le texte magnifique de Zoé Valdès  évoque la petite fille de l’année 1970, quand Castro avait promis au grand frère soviétique  dix millions de tonnes de sucre, efforts incommensurables de la réquisition de tous,  fillette de onze ans, femmes et hommes de tous âges, de toutes conditions devant travailler tous les jours 18 heures pendant 40 jours….  ce  in MEMORIAM donne une couleur si particulière au défi d’une nation que celle ci habite tout le livre et continue à parler comme un rêve, à rouler comme un fleuve lent, les tourbillons de cette vie épique  et militante, fierté des nationaux, aujourd’hui épuisée, mais assez présente pour faire ombre à ce Cuba qui ne cesse toujours de se projeter au devant de sa mémoire enfuie, entre fierté et abattement. Le récit est en soi un coup de point, un retour du prix que le peuple a du payer dans une souffrance, qui a fait date et qui s’est inscrite à la limite de l’épuisement et de la mort, quasiment héroïquement en son épicentre comme un point aveugle toujours dolent, dramatique et glorieux.

Au sortir de Desmemoria, ne s’entend plus le songe simplifié d’un Cuba autrefois glorieux et déchu, mais cette lente aspiration du temps présent qui voit son sacrifice n’appartenir ni au passé, ni au futur, et résider dans cette impermanence du temps, comme un évènement baroque très contre-versé.

17 Décembre 2019

http://exb.fr/fr/home/389-desmemoria-9782365112437.html

http://www.pierreeliedepibrac.com/fr/

http://www.centraldupon.com/category/nos-expositions/

 

favicon DESMEMORIA Pierre Élie de Pibrac ART PHOTOGRAPHIE