DENIS FELIX, ESSENTIA L’INTUITION EN VERVE.
DENIS FELIX, ESSENTIA A LA GALERIE FREDERIC GOT.
Denis Felix expose les éléments choisis de trois séries photographiques IMMERSION, INSIDERS, INTUS MEMORY, à la galerie FREDERIC GOT, rue de Seine, le tout dans un noir et blanc irréprochable.
Au terme de plus de 20 ans de recherches, de travail, Denis Félix retranscrit ici un voyage intérieur global par degré, se proposant de situer, en première proposition, une communauté humaine idéale à travers les grands portraits réalisés à la chambre 4/5 inches sur film noir et blanc, série tirée sur Alumigramme, néologisme inventé par l’auteur.
Une série de Six portraits présente un tour du monde et brasse plusieurs continents. Sans fausse pudeur, très directement, se recueille l’aveu d’une beauté sculptée par le temps, comme une matière organique, simple jeu de peau, de barbes, de regards et de corps, à l’ensorceleuse enfance ou la pleine maturité. Ces visages, aux regards profonds, signent une âme, sont habités par le vivant mystère de ce qu’ils sont, bien loin des prétentions, dans une sorte d’être là, si présents devant la caméra, témoignant d’une ferveur avec laquelle on sent presque leur pouls battre, leurs lèvres parler, vus dans une perception globale qui fait photographie, car Denis Félix photographie la présence, toute la présence, et ces regards qui ravissent, se donnent tout de go avec vérité. Nous en sommes séduits et transportés, l’humanité connait ces visages tendus par la vie, une beauté en émerge, sensible et fluente.
Ces portraits éblouissent, une intensité profonde, solidaire, humaine exprime le lien qui relie Denis Felix aux hommes, à cette humanité, en plein mystère. Samantha Bergognon écrit dans sa présentation: » De ses voyages en Europe, Afrique, Asie et Amérique, l’exposition Essentia regroupe 6 images issues de sa série « Immersion » imprimées sur alumigramme* où se dessine une approche singulière, celle de la mise en lumière du mystère inhérent en chaque être, en un unique instant de grâce, un seul cliché, une seule image. Les mains engagés de « Taquara » de l’ethnie Pataxo au Brésil, le visage de « Yu Wenlan » plus particulièrement impliquée dans la préservation de plantes médicinales en Chine, les portraits de « Salimata » de l’ethnie de pêcheurs Bozos du Mali, de « Kariyyaya » des tribus forestières en Inde, d’«Anhusa» écolière mauricienne ou de « Fono » lors d’un conseil de village au Mali nous plongent bien au-delà d’une représentation humaine, ou d’une ethnie, mais au plus proche ce qui ne se raconte qu’en silence, le parcours de toute une vie.”
Dans cette co-présence, ce partage, une sympathie tient lieu de ravissement, le photographe tente de rendre compte de l’âme de ces “frères humains” appelés et croisés par l’inextinguible soif de s’accorder à cette communauté des hommes, qui semble trop souvent faire question dans les débats télévisés, se déchirer dans les guerres. Peut-on espérer qu’à travers ces portraits un idéal oeuvre, tout est question d’images dans une société du spectacle, ce en quoi Denis Félix répare un lien à la paix intérieure et socialise ce regard. » Le regard est un langage universel, communicant de vraies valeurs, une étincelle particulière, le regard est une porte d’entrée formidable » , dira t-il lors de l’interview.
Une seconde série “Insiders” déploie plusieurs compositions tirées sur Platine-Palladium dans un voyage au coeur de la Matière, qui devient ici surface de projection et de recueillement de formes, de corps couchés, de signes, comme dans une mémoire archéologique où le souvenir de la peinture et de la sculpture classique aurait trouvé une sorte de fuite, d’enfouissement, puis de révélation à travers la terre, la boue, l’image enfin, vaste réseau à la picturalité sensible, précieuse, idéale et alerte, une énergie semble oeuvrer par dessous la surface, dans l’invisible ou l’inconscient de l’artiste, pour faire émerger des formes identifiables, corps couchés, masques, fine poussière de temps agrégé, fractures des ombres sur le sol, faisant surgir une quête allégorique dans un dessin opaque, agi par un imaginaire qui a besoin de provoquer et de faire advenir.
Nul doute que Denis Felix fête en ces expériences plastiques, architecturales, picturales, une recherche d’abstractions et de célébration du Génie. Cette aventure même ne cesse de filer et de proposer, dans un aller-retour avec l’histoire de l’art – on pense autant à certaines masques appartenant à une ethnie indéfinie, magico-religieux, comme certains mandalas, corps calcinés de Pompéi, fontaine de jouvence , visions de Vishnu – des formes qui se couvrent et se découvrent, se forment, adviennent entre les mains et l’oeil du photographe. Nous sommes sans doute dans le rêve de la matière en soi, Materia Prima des alchimistes, issue du Chaos primordial. On pensera inévitablement à la Table d’Émeraude dans le jeu d’inversion du plan à travers un miroir et à la juxtaposition des deux parties ainsi accolées, donnant un effet de symétrie aux éléments primitifs qui apparaissent dans un redoublement classique. C’est à partir de ce dédoublement inversé que se construit l’équilibre de ces compositions, images spéculaires, puisqu’elles sont issues d’une vision à travers le miroir.
Ce voyage au coeur de la matière se fait aussi par les signes et les éléments de langage composés, comme si un rapprochement à l’a peinture moderne se faisait en même temps que ce nécessaire retour de l’acte démiurgique, pour approcher l’expression abstraite d’une relation à une modernité.
Où est le Mystère, aujourd’hui, qu’y trouve t-on, qu’est-il sensé enseigner, l’acte créatif « authentique et sincère » est-il en lien avec un Sacré de l’existence, est-ce le sel de la vie, ce qui rend vivant, ce qui est à l’origine et à re-découvrir dans un voyage générique intérieur, le voyage de la terre, à proprement parler, après avoir voyagé à la surface du monde et fait celui de l’universalité à travers le retour à la communauté des hommes? Faut-il refaire comme Orphée le voyage des enfers, celui de Perséphone, pour extraire ces alluvions dorées où s’inscrit la profondeur de l’âme et la naissance de l’oeuvre. Tout est Mystère répond en fait Denis Félix, sans rien vouloir dévoiler d’autre que ces manifestations de sa créativité et des preuves rapportées de si loin…. Une invitation à rêver la matière en somme.
Ces espaces d’expérience même s’ils sont guidés par un résultat intentionnel, n’en demeurent pas moins des ”experiments”, des objets singuliers et autonomes , les uns par rapport aux autres, ainsi m’est-il apparu que certaines images ou souvenirs tournaient-ils autour des ces objets précis et spécifiques, images qui vont de la référence dalinienne aux pop artistes, au cinéma de Boorman (Zardoz, le masque). ”La composition Vinea s’approche d’un Dali, Camera Obscura est un Totem, un objet imaginaire et lent, comme l’émanation rituelle d’une communauté d’hier ou de demain, entre archéologie imaginaire et science-fiction.
Corpus cite l’Italie de Pompéi et le souvenir fellinien de Huit et Demi. Ce côté fantasque, fantastique, hérite des mythologies où certaines formes se lisent comme un test psychologique (Rorschach) et libère ces génies, mouvement d’apparitions sur-réelles, fantômes, tout un imaginaire peut alors se projeter comme dans un ciel à la lecture des nuages, celui-ci restant toujours enfermé dans les profondeurs chthoniennes de nos inconscients collectifs, ces compositions consomment donc un lien au fortuit et au drama que clame encore ce masque plénipotentiaire, irradié, envoutant silencieusement.
INTUS MEMORY est une série en expansion, une entreprise plus construite, plus maitrisée et à mon sens plus arrêtée sur elle même. Là où se perçoit le visage comme au fond d’une mémoire – éloigné de ce don fait par la rencontre des visages d’Essentia – une distance s’est imposée par une construction plus architecturée de l’image, plus conceptuelle , plus distante. Perd on véritablement le message au fil des trois grands formats exposés qui relèvent de la même construction? La réponse est non, car quatre petits formats fondés sur le même principe, mais beaucoup plus libres dans le geste établissent un statut plus circonspect avec le jeu de la dé-construction du plan et l’émergence d’un visage qui tend à s’imposer comme un exercice moderne, le visage d’une indienne tend à s’apparenter à une Joconde, faisant flotter le référent et provoquant l’intention plastique des interférences et du masquage dans une inversion poétique, en révélant plus surement qu’en dissimulant. Ce travail selon dénis Felix est en cours, mais suffisamment avancé pour qu’on puisse y distinguer déjà une oeuvre très prometteuse……
Denis Felix s’est prêté au jeu de l’interview, il renseigne toute une façon de travailler, de la conception des images à leur réalisation.
INTERVIEW à la galerie
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