L’EXPÉRIENCE DE LA FRAGMENTATION ET DE LA RECOMPOSITION D’UN PLAN PHOTOGRAPHIQUE, AU DELÀ DE L’IMAGE FIXE.
« Tout ce qui est cérébral et transcendantal en peinture s’allie à un travail ininterrompu de la vision. Chaque teinte d’une fleur, d’un visage, d’un arbre, d’une mer ou d’une montagne est scrupuleusement noté par mes sens aiguisés ; viennent s’y ajouter ensuite, d’une manière dont je n’ai pas conscience, le travail de mon esprit et, pour finir la force ou la faiblesse de mon âme….C’est la force de l’âme qui oblige l’esprit et les sens à de perpétuelles contorsions afin d’amplifier la vision de l’espace…..imaginer l’espace, tel est mon rêve. La métamorphose de l’effet optique des objets, une mathématique transcendante de l’âme, voilà la condition préalable…..Convertir hauteur….largeur…et profondeur en surface à deux dimensions représente pour moi la plus forte et la plus magique des expériences ; elle me procure une idée de cette fameuse quatrième dimension que je recherche… »Propos de Max Beckmann A propos de ma peinture Londres, 1938
EYES WIDE-WILD OPEN : LE RÊVE EST ESPACE
Ce travail s’est focalisé d’abord plus spécifiquement sur la création de grands paysages, dans une perspective évoquant la référence à David Hockney (le grand canyon), travail s’appuyant sur un désir d’ouverture de la vision aux grands espaces naturels puis urbains. Deux périodes se sont succédées, l’une liée à la prise de vue en Voyant, l’autre en Aveugle. Cette première période de création s’étend sur deux années où je me suis servi du polaroid SX 70 doté d’une focale fixe ( semi grand angle), prise de vues et montage de chaque composition se faisant en voyant, c’est à dire en mixant deux opérations conjointement dans un aller-retour entre le volume et le plan, entre le sujet et son image. Une seconde période s’ouvre avec la création de grands paysages nécessitant l’utilisation d’optiques aux focales plus longues afin d’arriver à des formations d’images plus complexes et des rapports de surface plus plastiques, se faisant sur films classiques, aux développements ultérieurs. La prise de vues devient un acting et se fait en Aveugle.
Il est question de l’âme et de l’ouverture de l ‘espace intérieur, comme l’écrit Beckmann, d’une jouissance vécue à l’issue du passage des volumes au plan et de la notation sensible des éléments.
DÉFINITION. A TRAVERS LE MIROIR…. Une image globale, faite des morceaux d’un miroir brisé, finit par se reconstruire après son passage au Noir…
Mes méta-images sont constituées de variations, de points de vue , de perspectives, de temps différents, ré-agrégés au sein d’un même plan, dans une perspective de réalité augmentée, bien avant que les programmes informatiques n’aient été créés. Ce travail a débuté vers 1998. Le plan de l’image connait un multi-perspectivisme discret. Le concept de temps décisif remplace celui d’instant décisif. C’est le temps de la recomposition, celui du montage, celui plus récurrent de l’anamnèse. Une image globale, faite des morceaux d’un miroir brisé, finit par se reconstruire après son passage au Noir, dans ce temps où, entre les prises de vues et leur “acting”, s’est imposé l’oubli et qu’une re-composition s’est faite, aux moments du montage, pour “re-trouver” l’impression première du lieu disparu.
QUESTIONS ESSENTIELLES.
- La photographie en tant que médium a t elle cette capacité de s’enrichir de toute l’expérience picturale du VOIR, tous média inclus, écrits, sons, images mouvements, de faire témoignage d’un verbe être cherchant à se fonder puis à se déployer.…
- Comment la mémoire traverse t elle la représentation en intégrant le temps du montage et en utilisant un langage plastique propre à retrouver la sensation perdue, puis retrouvée, perçue en tout cas, devant la “chose” photographiée. Ne renseigne t elle pas à ce moment à la fois une individuation précise dans ses résolutions et cette capacité d’un langage plastique apte à énoncer, traverser le chant de l’intimité, issu du rêve, pour s’inscrire objectivement dans l’expérience du Ça Voit et de faire sens. Retour à l’identification au miroir, métaphysiques.
- A la question anthropologique, que serait il possible de voir aujourd’hui de cette réalité pour un néandertalien s’il pouvait se trouver aujourd’hui dans une rue de New York, j’aimerais croire, à y pouvoir répondre, tout sauf ce que nous voyons…de cette réalité et de ses semblants, et donc que voyons nous au juste de ce qui nous entoure ? Telle est la question centrale de ce travail, en lien avec le parcours des rêves et des images qui alimentent en toute involonté, celles qui peuvent s’inscrire dans notre champ visuel. Si Bachelard a mis en évidence la puissance de l’imagination créatrice et les images qui naissent des éléments, c’est bien pour designer que nous sommes inscrits dans ces champs où l’éphémère n’a plus rien de tangible, les structures anthropologiques de l’imaginaire ne sont elles pas le berceau de nos impressions profondes? Le photographe, occupé au Voir doit il être au centre de la question de ce qui pré-dispose l’émergence d’images complexes en lien avec ces structures, est il plus voyant que désignant?
L’EXPÉRIENCE FORMELLE
Notre regard est agi par la vitesse du monde et les ruptures du réel.
Les expériences formelles constitutives de ces Méta-Images sont :
– la rupture de la notion de plan fixe et l’abandon de la perspective unique, la possibilité d’axes différents.
– le changement et le raccord de perspectives différentes, le recours à un travelling latéral
– les changements, la variation du point de vue au sein d’un même plan reconstitué
– le recours à un différentiel dans l’utilisation de la mise au point (le flou, le net)
– l’animation de la discontinuité du point de vue et la mise en scène de ces ruptures, le recours au motif,
– la mobilité du regard et son défilement contre sa fixité
– le recours au montage
– la fragmentation de l’espace et l’association d’éléments multiples– la réintroduction de l’harmonie, de certaines lois de composition après fragmentation, afin de rétablir une cohérence lisible : le principe d’harmonie reste un guide pour la cohérence déliée de la répartition des formes, des plans juxtaposés et des masses colorées, avec un réglage différent pour chaque montage, même s’il semble, apriori invisible.
-L’angle varie de 180 à 400 degrés, au-delà du cercle pour avoir une entrée et une sortie, de manière à déployer le paysage dans un vertige et une aspiration globale, plan déployé selon le cercle et la rotation. Ce n’est qu’à la phase du montage que la spatialité se recompose..
Ce temps discontinu me semble plus proche de l’expérience vécue par tous d’un temps psychologique purement individué et personnel. Comme le regard ne peut se repaître en une seule fois du spectacle constitué devant lui, il a tendance à revenir sur ses traces, à refaire le parcours plusieurs fois avec, comme objectif, d’en saisir le flux. Quand il se déplace sur un sujet plus large que le champ de vision, que voit-il au juste ?
(cf. les travaux sur la physiologie de la perception). De fait, il interprète et synthétise l’expérience du voir pour construire sa propre image résiduelle et pouvoir la penser…
DÉMARCHE PLASTICIENNE
Démarche Plasticienne.Cette démarche plasticienne, propose une approche du Voir, du Regard, du point de vue, à vouloir questionner l’expérience du regard en pleine inflation et perte de repères dans nos sociétés post-modernes et mondialisées, elle signe peut-être par là, sa modernité. Elle se fonde sur une approche sémantique, grammaticale, elle propose d’expérimenter une tolérance, celle d’un regard qui cherche toujours à unifier dans l’espace social, sa représentation du monde tel qu’il s’est transmis et non pas tel qu’il est vécu, en proposant certaines “aberrations” qui s’inscrivent dans le corps de l’image, telles que décrites ci dessus. Il est étonnant que bon nombre de “spectateurs” n’identifient pas ces phénomènes donnant une hétérogénéité, visant une faille, une anomalie.Pour exemple le raccord de deux perspectives dans le même plan, Piscine & Jacuzzi ou Julia on the hill , la fusion des 40 éléments établit le flottement du personnage, comme si l’image était distendue, d’où un effet typiquement onirique.
Le regard socialisé remet en ordre ce qui semble le questionner en éliminant ce qui altère la cohérence du sens de ce qui lui est soumis. Ce qui est pour moi le signe d’une dé-réalisation, d’une construction visuelle non conforme à la réplication, entrainant un Jeu avec l’image produite. Sur un plan plus politique, c’est l’occasion de montrer la conformation du regard socialisé dans sa capacité à imposer une vision lissée et générale, non plus individuelle, ressentie, vécue, mais imposée… et la question anthropologique reprend tout son sens… Que voyons nous vraiment dans cette problématique de l’Aveuglement et de la Cécité générale?
S’éveiller à son propre regard constitue alors une forme d’arrachement au conformisme ambiant et mortifère, un revolving act, une insurrection et plus si l’on suit d’autres perspectives. C’est ce que Jean Claude Lemagny a qualifié de « Sculptures Photographiques » pendant les Rencontres Internationales de la Photographie en Arles de 2008.
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