MARGUERITE DURAS, FlORE, TERRES DES SENS.
MARGUERITE DURAS, FlORE, TERRES DES SENS.
Parfaitement inscrite dans l’oeil durassien, inspiré par ses longs silences où il ne se passe rien, (ce qui était con-substanciel au Nouveau Roman entre autres) et dans cette écriture du désir, les photographies de Flore portent la souvenance durassienne jusqu’aux plis de l’aube neuve et blanche, quand se dissout le monde dans la présence de l’aveu…la pleine séduction des territoires et des paysages que le Mékong offre à l’écriture, écritures complices qui s’inspirent mutuellement, le livre devient du coup un territoire de mémoires et de rencontres somptueusement réussi, une connexion sémantique au delà du temps, fortement musicale et si douce, si reposante, si gémellaire, que le voyage redouble le temps afin que l’anamnèse puisse porter le corps absent de l’écrivain au devant de la vision. Les tirages de l’exposition semblent « voguer » le long du fleuve, nonchalamment, enchantés, enchanteurs.
Il est des oeuvres et des auteurs dont le génie poétique est en soi si singulier qu’il ensemence l’esprit. « Un barrage contre le Pacifique », « l’amant », « l’éden cinéma » évoquent l’univers colonial, les photographies de Flore se bercent du bruissement du fleuve, des lumières qui poudroient, devenues lumières intérieures, matière blanche du souvenir.
Flore restitue l’esprit durassien fait de tensions intérieures et de libérations. Tout lecteur passionné a entendu sa propre voix se mêler à celle de l’écrivain, dans un exercice d’auto-fiction et d’appropriation de ce timbre si particulier, devenu une sorte de matière intime, corps du temps. Opérations conjointes où la photographie se fait arrêt sur image, photographie pleine et assumée, mais où la voix de MD est toujours inscrite dans un silence majeur, comme Off. Comment pourrait il se faire que le grain de la voix de MD se transpose dans ces lieux, ces paysages épris de lumière diaphane et de silences retrouvés ?
Cet Événement donne une écriture traversante poétique gémellaire, qui évoque pleinement et subtilement ce bruissement des langues. Le Mékong, serpent géant, peut se percevoir comme leurs sources, (un voyage se superpose aux romans) devenues communes (comme UNE). Entre M.Duras et Flore, s ‘étend l espace clair du jour, la toile tendue du rêve, l’acte supérieur de l’écriture, actes fondateurs et poétiques, l’inscription d’un temps spécifique lié à l’écoulement et au flux des eaux alanguies du fleuve, miroirs où tout événement cherche une dissolution, dérive vers une forme de rédemption.
Les paysages des romans sont couchés dans ce livre de photographies où voyage le regard sensiblement, doucement, où le vide, l’absence, la nudité des intérieurs, répondent par leur silence magnétique de cette transcription, de cette écriture commune, où la photographie entend et voit au delà du visible, la paix fantomatique des soirs, la chaleur humide, l’air épais, saturé et tout un climat chargé d’évocations, de passés lointains et proches, des mots d’amour issus des rêves, corps alanguis au moment de la sieste, gestes suspendus, regards perdus, là où chaque objet peut être autant désiré que brisé alors que s’affirme une volonté proustienne de se souvenir et de construire un temps particulier de récit donnant toute sa place à une forme d’ anamnèse.
Le Voyage au Mékong est un voyage croissant, une ligne qui s’ébauche et qui surprend les paysages. Ce qui est perçu par la photographie revient en force: volonté de sens, besoin de corps, voix verlainienne en écho d’un regard témoin de la souvenance, du travail de l’écriture photographique face à ce qui se joue conjointement par interstices entre le roman et les lieux. Reviennent alors en regardant les images de Flore les respirations courtes, les cris, les pleurs, les conjurations, la colère, les ravages des personnages, puis le silence et le vide, l’absence, le ralentissement des heures, l’angoisse nerveuse des corps éperdus cherchant l’apaisement, la folie sans cesse repoussée; l’humidité est suffocante, on voudrait respirer, mais l’air manque, on étouffe, puis cela de…nouveau a lieu, un brin d’air, l’orage passe puis revient la moiteur de l’air.
Il y a sans doute chez Flore, une forme d’obsession magique et apaisée, une volonté persistante pour que puisse advenir cette photographie de l’intimité jouant un ravissement constant. Un rêve éveillé aimanté aux textes, se saisit des personnages: les voilà dans les voiles éternelles aux berges du Mékong. Ttout cela est mu par la répétition incantatoire du ressac nonchalant du Fleuve, dans la dilution humide de l’air et l’espérance d’une libération, dans la psalmodie secrète du texte, devenu pulsation sonore de l’onde, théâtre de l’invisible présence en soi, vivante et tutélaire somptueusement.
Pascal THERME
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