Parkeharrison_Shana_Robert_001 PHOTOGRAPHIE, LE TEMPS NÉCESSAIRE. ART PHOTOGRAPHIE

Le temps Nécessaire-©-Parkeharrison_Shana_Robert, LAGACILLY-2018

 

PHOTOGRAPHIE, LE TEMPS NÉCESSAIRE.

PHOTOGRAPHIE, LE TEMPS NÉCESSAIRE est un essai libre sur l’état d’une réflexion qui s’est formée à travers la fréquentation des expositions et festivals, ainsi qu’aux textes critiques qui ont été écrits à ces occasions. Toute une expérience critique est née ainsi de ces visites et des échanges avec nombre d’acteurs de cette scène à la haute valeur culturelle. 

I/ ÉCRIRE ET PERCEVOIR…

Il est des photographies entêtantes pénétrantes.

Il est des photographies entêtantes pénétrantes qui voyagent en nous, se logent en nous, formulant une sorte de rencontre amoureuse pour rester inscrite, aux plis de l’être, dans l’étant. Infra-lecture du temps, elles circulent, disparaissent, renouent dans leur théâtralité avec l’existence, le rêve, le réel, jouent de nous, territoires autonomes et vivants, sollicitant attention et sensibilité, dans un retour des histoires, individuelles et collectives.

Eaux sensibles, ivres et sages.

Eaux sensibles, ivres et sages, ponts tournés vers le ciel, paroles invisibles, contenus manifestes et latents, tout un pays prend place à travers un geste affirmé ou ébauché, puis libre de lui même. Toujours,  volonté ou in-volonté se jouent des ombres grises, des couleurs, dans un plan de terre projeté en plein ciel, intimités charbonneuses des étoiles, silhouettes filant sur un chemin, paysages immobiles, procès du temps dans ses secondes égrainées, profondeurs lactées de l’instant, l’ombre se creuse entre son repli et son gain.  Appréhender et rendre la lumière à la lumière, dans une perspective éclairante du Soi, pré-tention de l’Idée et de l’imaginal, cœur de ce qui ferait alors photographie, raison, intuition, sens, séduction, voyages, une poétique se fait de l’individuation, en quête de ce réel qui disparait dès lors qu’il s’approche.

Voix chères qui se sont tues, voies empruntées à la marche en aveugle, au principe de l’exploration, du questionnement, multiplicités à claire voie, à voix claire, à ce qui s’entend, se voit, au travers de la perte, entre ce qui tombe et ce qui relève, processus complexe et pourtant édifiant, quand il faut encore séparer la nuit du jour, et que l’aube s’affirme comme un passage, alors la question de la liberté de soi prend tout son sens et verse à la question du sujet inavoué: Qui parle, entre aube et crépuscule, quel est ce discourir du voir qui prétend aux fantômes contre les artefacts, quand, au sein d’une production, s’affirme la question, sujet politique, du sujet et de l’objet.

le cadrage et l’œil.

Carré ou rectangle, le cadrage est souvent déjà une fenêtre qu’ouvre cet oeil prospectif, projectif, faisant joindre intuitions et maîtrise pour faire advenir cette « révélation » que porte toute « bonne » photographie comme une promesse et une joie, écriture sensible, sensée, tournée vers l’infini et pourtant ancrée, inscrite au coeur du sujet, dans le présent, dans l’infime seconde où s’ouvre la porte et qu’une voix, silencieusement, loin de soi et pourtant dans cette proximité bien souvent indéchiffrable pour son auteur, parle…sans voix.

Écho.

Quel écho pourrait faire retour sur le plan général de conscience collective, si le photographe n’est pas lui même habile à s’entendre au plus profond de lui même?

Dans le même temps, est-ce seulement souhaitable ou probable, si l’émission performative, l’acte photographique, seul, compte, direz vous et qu’importe (!). L’auteur(e) se condamne t-il à ce moment à ne pas s’ enrichir du surcroit de silence et de paix, de cette intelligence créatrice qui vogue par delà ses paysages mentaux, au devant de cette indistinction vécue par choix ou omission, par censure et auto-censure, par confrontation à l’espace d’un dire en relation avec la possibilité du marché, et du diktat de la marchandise, ayant infiltré toute possibilité d’expression, ayant formaté ce qu’une catégorie du politique semble imposer comme filtre à l’expression de ce sujet inavoué et de ses libertés constitutives, dans l’émergence d’un propos critique, fragments de ces luttes avec ce qu’un pouvoir, une société, juge recevable d’exposer dans le champ culturel?….. 

Quels renoncements, alors, faudrait il évoquer, chez le sujet producteur de l’image, à la fois, dans  son approche rétrospective du sous texte permanent et de l’ordre qui en émane (ne rien dire) quand il se heurte à l’impossibilité de pouvoir entrer par sa critique, perceptive, intellectuelle, dans le champ collectif du Voir et de l’Entendre, du ça voit et du ça parle, ça dit, en dehors de toute limite du politiquement correct, ou du politique consensuel, induit par l’ordre social? 

Importance du jaillissement.

Qui dira l’importance du jaillissement  créatif et de sa jouissance, cette capacité à établir un regard, ses effets sur les problématiques existentielles de l’auteur(e), afin d’accoucher de lui même, de poursuivre un chemin, semé d’embûches, de mettre au jour corrélativement ces forces qui entament négativement, qui coupent, qui tuent ces possibilités, dans une confrontation au Réel?

L’auteur, est-il, en mesure de pouvoir se lire lui même,  de dé-lire les forces et occurences que toute société, libérale, totalisante, de fait imposent dans l’exercice de sa liberté profonde de produire, de projeter, de faire ce qui l’occupe en profondeur?

Une structure policée promeut l’illusion d »un espace possible et commun, où ses propositions auraient une chance de pouvoir s’exposer, pour approcher dans leurs essences, toutes ses problématiques formelles, existentielles, d’une expression juste, affirmée dans un « style », induisant ses référents, personnels et psychologiques, politiques intrinsèquement, (la question de la liberté du dire pour exemple) dans une approche de ce qui le fonde et qui demeure un présent-lointain proche, une dé-marche intuitive et secrète, un travail d’hérméneutique semblant pouvoir, seul, s’appuyer sur la question aristotélitienne du sujet et de l’être afin de pouvoir approcher ce qui l’occupe profondément, autrement que dans un déni, dans le secret fondateur de son noème?

(*Selon Husserl, le noème serait l’objet « intentionnel » des actes de conscience, (et non pas : l’objet « en soi »), donc un objet de conscience comme tel. Le noème est une composante idéelle du vécu. Au cœur du concept de noème, on trouve le « sens ».)

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©Pentti Sammallahti

 

les langages critiques.

Hors c’est là précisément qu’interviennent les langages critiques, dans ce qu’ils ont de fondé et d’honnêtement perceptifs, intellectifs. Ils présentent l’œuvre, la rendre compatible, la polisse ou la réduise parfois pour des questions d’appréciation du lectorat, quitte à l’évider en partie de son propos, soit qu’ils ne cherchent pas à l’atteindre suffisamment, soit qu’ils passent à côté, parce que le rédacteur, l’écrivant, n’a pu saisir le  réseau de sens si particulier qui agit à ce moment là de l’image et qu’il l’isole dans l’interdit de son propre regard, par une annexion du sens d’usage, le découplant de son propos critique.  Trop souvent ce sont des propos de surface, qui ne rendent pas compte de la complexité de l’oeuvre et de ses articulations avec les fondements de la psyché. Hors, c’est ce que nous cherchons à évoquer, à parler, ici, dans cet article, pensant qu’une richesse, qu’une complexité habitent ces territoires trop peu visités.

l’ambition de l’argonaute.

Plus rare est l’ambition de l’argonaute qui s’embarque à la découverte de la Toison d’Or, pensant que toute oeuvre inscrite au patrimoine culturel, s’exposant sur les cimaises des galeries et des musées, donnant lieu à des éditions de qualité, contient en elle, messages et structures à travers une écriture, propre à essaimer et à séduire, à trouver dans le large public, les récipiendaires de son propos et à féconder réflexions, pratiques, poétiques hors du discours officiel, souvent excellent par ailleurs, mais rendant l’oeuvre plus lointaine, hors de portée, alors que celle-ci est issue de la vie, d’une inscription qui ne peut s’autonomiser dans la clôture qui la relie à l’institution. C’est ici que se jouent les transversalités heureuses qui permettent d’extraire le côté vivant, abrasif, critique, voire incendiaire de l’oeuvre.

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La socialisation du discours.

Tout cela fait partie de la socialisation d’un discours de présentation, important, hyper utile et rassurant, mais, à mon sens, insuffisant, si l’on cherche bien sur à « percer le mystère ». Bien des gens n’en éprouvent pas le besoin, ce qui est parfaitement admissible, comme d’autres cherchent plus avant les raisons profondes qui affleurent, tout aussi recommandable. La recherche fait partie du champ que l’institution déploie selon un mode idéologique dominant. Il se peut que les premiers tiennent un propos parfois court, éphémère, mais toujours contributif. Ces derniers cherchent une grille d’analyse, de fait, pour extraire ce fameux Sens, roi de la raison ou feu du roi, fou du roi également, dans la mesure ou le langage, l’écriture porte une parole libérée de tout conformisme et q’elle s’engage sur des voies peu empruntées.

Intégration/ Désintégration.

Certains écrivants parlent de l’intérieur et tentent de mesurer la portée de l’oeuvre, de percevoir le travail de l’écriture, les raisons qui hantent le sujet, d’évaluer  son intérêt, son évidence ou son obscurité, mais trop souvent, ces présentations ne disent rien du fond trop personnel qui a trouvé ses arguments et son propos. Ils proposent une intégration, désintégration qui tend à évacuer la question pertinente du pour quoi, pour qui, de quoi et de qui s’éprend le geste créatif, et ce qu’il prend dans ses rais…vaste champ d’investigation, car, pour ne  pas se soumettre au poids du politiquement correct, il doit voguer en eux, libre, dans ce fier exil que font les sens à la raison et que la raison reconnait en retour des sens.

Aporie critique.

Ce mouvement d’aporie critique se fait en parallèle avec un autre fait: Il faut évoquer une difficulté des auteur(e)s photographes au savoir lire, au savoir écrire, trop souvent, le simple savoir faire tend à s’imposer, circonscrit une situation assez ambivalente du point de vue de l’esprit.  Est-ce là une impasse, le photographe doit-il savoir en son for intérieur ce qu’il s’y passe sans craindre de neutraliser l’acte créatif,  laissé hors de portée par peur, par impossibilité de le travailler plus au corps dans un plan du dialogue avec lui même, pour en extraire la Raison Pratique.

Dialogue impossible?

Dialogue impossible diront beaucoup ou la simple surface, si elle suffit aux médias traditionnels, dans un rôle de socialisation important, ne suffit pas à poser un dialogue qui devrait amener l’auteur(e) aux portes d’une conscience qui creuse sa motivation, recherche  ses buts, se saisit d’ une com-préhension, dans une préhension réflexive, voire dialectique, d’elle même en train de travailler sa propre résolution et d’en délimiter en conséquence tous ces champs, en les déliant des forces qui les neutralisent, en les ouvrant à la lumière des lectures de soi. Ainsi le photographe essaime t-il ces petits grains de lumière, Petit Poucet rêveur écrivait Rimbaud, dans sa course vers les étoiles. Ce sont les traces enchantées et les cailloux argentés qui marquent l’Invisible chemin de chacun(e).

Dynamisme de la Psyché et identité.

Ce travail intérieur évoque souvent un bateau ivre en cale seiche, qui refuse de s’en remettre au courant, aux forces qui, sous-terrainement ne manquent pas d’affleurer ensuite par la composition de l’image. Ces forces retracent le dynamisme de la Psyché et renseignent sur l’identité de ce qui fait exception originale au corps social commun, cette humanité qui ne cesse de faire texte, ce qui séduit, ce qui fait voyage, plus que ce qui est montré, pré-texte (pour moi) de ce qui fait image, de ce qui est imagé dans le processus de création et qui s’expose secrètement dans la photographie accrochée aux cimaises de la galerie, lieu de l’intimité rêvée, anti- caverne platonicienne toute blanche, espace de l’intériorité et de la socialisation du regard.

Me faut-il citer Gaston Bachelard dans l’introduction de La terre et les rêveries de la volonté : « finalement toutes les images se développent entre deux pôles,  (extraversion/ introversion) elles vivent dialectiquement des séductions de l’univers et des certitudes de l’intimité… les images les plus belles sont souvent des foyers d’ambivalence. »

 

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La lune de Payne, ©Ljubisa Danilovic, ed Lamaindonne

 

Trou Noir.

Je ne parle pas en l’occurence du sens profond qui établit l’oeuvre dans sa simplicité  mais du « trou noir » psychologique qu’elle peur créer aussi, toute l’énergie passant, pour de nombreux photographes, à pouvoir produire, photographier, s’établir .

 

Alain Keler.

Un contre exemple  montre un chemin pertinent, qui suppose le temps même de la vie, très en dehors donc des pratiques courantes, pressées d’arriver avant l’heure, je veux citer l’homme et son travail dont un livre vient d’éclairer tout ou partie de son histoire personnelle. Le travail d’Alain Keler et son professionnalisme se fonde sur une dialectique intérieure où l’homme a tant appris du photographe et le photographe tant reçu de son humanisme, si bien qu’il reste un exemple admirable de réussite et d’honnêteté intellectuelle, de simplicité. Sa « voyance » est bien issue de toute une pratique qui a fait histoire, mais sans doute sur la base d’une certaine foi personnelle, de certains principes appliqués, et surtout à travers un système éthique fondé.

Je pourrais citer également nombre de photographes dont la « morale » est avant tout un fondement de leur pratique, comme de leur attention singulière à démasquer les faux-semblants que portent bien des médias, dans leur fonction idéologique et politique. Ce n’est pas un hasard si ce sont des grandes agences comme Magnum qui ont porté une vraie liberté d’expression, à un moment de l’Histoire.

Éthique et libérations.

Je pense que tous les photographes se posent cette même question d’une poétique qui fait sens et question. Ce double axe est un chemin qui ouvre et questionne, qui éclaire…. Très précieux en soi, car sans lui, bien des productions photographiques sont filles de l’errance, victimes du simulacre et des faux-semblants, happées par la fascination, mécaniquement agies par les simplifications outrancières qui font flores en ce moment où l’époque s’entend à confondre « captation » et photographie, concept à 2 balles, suivi de son illustration appauvrissante, sans que rien ne soit dit, par l’image de la richesse des questionnements de la relation du sujet au monde, dialectiquement, et que puisse ici s’éprouver le lien de la singularité touchant à l’universel. Si j’évoque ici ces travers, c’est qu’ils correspondent politiquement à l’envahissement, puis le recouvrement des réalités par une inflation d’images pauvres, sans auteur, dans le but de « noyer le poisson » et tenir à distance, appauvrir économiquement ceux qui font oeuvre, témoignent, dans une révélation entière des aberrations  du système par la libération des consciences.

La marchandise établit une sorte de dictature sur l’ordre moral en contaminant par la peur et en en rendant caduque ses expressions, le chant singulier des révoltes, révolutions, quand elles posent les questions de leurs libérations, sans pouvoir penser les annexer, les isoler par les catégories politiciennes et sociales définies pour les accueillir. Le féminisme sectaire, ostracisant, mode à penser le féminin contre le masculin, est spécifiquement le contraire du féminisme ouvert et respectueux des libérations successives que nous devrons mener collectivement pour reconnaitre, à travers  la complémentarité des sexes et leurs champs singuliers, l’égalité de principe qui, établit, au delà, de la différence, un avenir commun fructueux entre tous, dans la disparition des relations de pouvoirs, d’assujettissements, de contrôles, afin, aussi que surgissent les conditions civilisatrices d’un nouvel équilibre, hors de la marchandise et des diktats de cet ordre économique et social, affreusement policisé politiquement, voué à toutes les séparations et discriminations, qu’une certain « pensée organisée, de plus, introduit comme faux facteur de libération. Il y a là une vraie corruption de ce qui peut faire libération, afin d’ établir une justesse de ton dans une justice de droits.

Le miroir démocratique.

Nous sommes déjà dans une guerre de l’image, du virtuel et du digital, des données enregistrées, bref dans un système fascisant, mortifère, parce qu’il étouffe toute critique fondamentale de son néo-libéralisme, organisant la mort de l’image par noyade. La société du spectacle est devenue avec le numérique une forme absolue de domination où le  spectaculaire défraie chaque jour un peu plus l’outrance  majeure faite à l’humanité dans la course effrénée au profit, à la destruction de la planète, au règne de l’argent et des pouvoirs, le tout dans un fantasme inversé de démocratie.

Réification et droits d’auteur.

La réification du monde n’étant pas encore totale du point de vue des individus, même si les conditionnements progressent a chaque minute, toute une génération de « photographes » résistent encore et toujours, tandis qu’une autre semble s’y complaire. Pour preuve est l’aberration du marketing qui s’est installé en activant des critères sociologiques pour faire recette et se démarquer dans l’espace concurrentiel des festivals photos, voire la jeune photographie européenne pour exemple qui, dans une certaine mesure interprète sociologiquement la notion d’Auteur en lui préférant un critère d’âge…  Sans valeurs critiques, le mode sombre dans le côté obscur de la consommation culturelle, elle même segmentée… L’atomisation de chacun bat son plein, la concurrence entre photographe permet au marché et à ses commanditaires de passer les lois sur le droit d’auteur et de faire scandale quand un des grands festivals ne propose à ses acteurs qu’une somme dérisoire, alors que ce sont eux qui font oeuvre.

Pourquoi ces systèmes ont ils programmé la dépossession de droit et de fait de ceux qui forgent l’image même, alors que tout ce qui rend techniquement possible la diffusion des oeuvres, livres, expositions, stand, administratif, organisations, réseaux etc… digèrent la quasi totalité des subventions publiques allouées? La raison en est assez claire, il faut à ce système, maintenir une pression et une concurrence acharnée entre les différentes productions photographiques qui mobilisent le marché et surtout passer par une sorte d’inféodation à ne pas vouloir entrer dans une dénonciation de cet état de fait, sauf quand cette dénonciation fait partie également du système et qu’il permet d’en montrer la normalité démocratique.

« Le spectacle est l’autre face de l’argent: l’équivalent abstrait de toutes les marchandises…. le spectacle est l’argent que l’on regarde seulement, car en lui c’est la totalité de l’usage qui s’est échangée contre la totalité de la représentation abstraite. » Guy Debord in La société du spectacle.

mais là n’était pas mon propos central….

 

 

II/ AU COEUR DE L’APERÇU

 

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dormir-dit-elle-©Irene-Jonas- Arnaud Bizalion Editeur

 

Dormir, dit elle.

Dormir, dit-elle …. comment Écrire dit-elle pour citer Duras avec le quotidien, quand le lit défait devient autre chose et qu’on peut y voir l’absence, les traces de la présence et bien plus. L’image n’est pas le simple constat d’un lit ouvert,  elle est proposition imaginaire, ouverte à l’autre subjectivement, rien, en tout cas ne la ramène au constat fermé sur lui même. La charge de ce qui fait image dans cette photographie est l’inscription de mon regard en train de lire autre chose à partir de ce qui est montré et de pouvoir le chainer à ma propre histoire. Il y a là une connectivité des possibles et des chemins de partage, poétiquement, méta-poétiquement, un lien vers le partage d’un rêve commun d’une photographie qui voyage, de son émission à ma réception.

Un rêve magnifique.

Faut-il entrer dans les arcanes de l’étant pour approcher le mystère de la création en photographie,  et parler psychologie, méta-psychologie, je crois que c’est en partie indispensable si l’on veut situer l’approche de chacun, en dehors du choix de thématiques qui agissent comme des filtres, dans l’édition et les résidences, les concours photographiques. En cela quelque chose échappe véritablement au débat et disparait du champ des possibles. C’est l’appel de la surface. Un rêve magnifique s’éprend de l’Autre, ce « je est un autre » constitue une approche du Soi dans une certitude de soi. Ce mouvement de l’intériorité est un gage performatif et incitatif, il crée le dialogue entre soi et le monde et se réfléchit, s’énonce sous différentes formes, récits, causes – le pourquoi et le comment- mais surtout il tend à dire une vérité, en rendant l’approche des causes réelles et profondes de sa pratique, indistinctes, éloignées, dans un jeu de séductions, pour rendre manifeste ce réseau  de propositions imaginaires sous-jacent à l’oeuvre, et le porter à une interrogation qui échappe à son prétexte, pour l’établir dans tout le champ de ses possibles. L’image émet sut toutes faces du monde.

Que se passe t-il au juste devant cet arbre aux oiseaux de Penthi Samalatti, ce bras du Danude de  Ljubisa Danilovic, la silhouette ombrée d’un enfant devant une porte graphitée à Jérusalem -Didier Ben Loulou- les cieux mongols de Sophie Zénon  ou la présence de ce lit ouvert sur la nuit – Irène Jonas-  que voyons nous au juste de ce qui semble visible? 

Parler en soi.

 

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détail d’une photographie de STEPHANE DUROY©P.Therme

Une forme de séduction s’est emparée du contenu manifeste de l’image pour faire parler en dedans, les contenus latents. En recouvrant de prétextes et d’explications qui font sens et débat, l’image qui prend place dans le livre ou la galerie, ne semble pas toujours évidente, en tout cas ne semble pas, pour beaucoup, aller de soi, restant au delà de ce fasseillement du sens, mystérieuse, voire imprécative. L’image est-elle une force de conjuration et un appel silencieux contre l’obscurité de la nuit, de toutes les nuits, dans un texte qui échappe et se fait prémonitoire.

Les éléments qui la fondent, soit en tant que photographie soit en tant que document, s’ils sont au premier plan ne sont pas les plus décisifs pour « conquérir » celui qui se trouve exposé à son feu, à son champ. Il faudrait parler du pouvoir magnétique de la « bonne » image qui résonne à notre oreille et qui parle, appelle, envoute ou provoque. Il est bien question de mouvements, de sollicitations, de dialogues dont l’intimité reste génératrice de cette mise en mouvement de quelque chose de fondamental, c’est à dire des fondements de ce que nous sommes en réalité, une multiplicité du dire et de l’entendre.

 

Séduction/Induction.

je ne veux parler ici que de celles qui me séduisent, c’est à dire qui retiennent mon regard. Tout un jeu de séduction s’établit entre le corps et l’esprit de cette photographie et cette résonance qu’elle produit en moi, provoquant le désir d’approcher son pouvoir de séduction, tant qu’elle suscite cet étrange dialogue intérieur et qu’une petite fascination a opéré en secret. Dialogues amoureux et subtils qui entrent dans une sorte de propagation aérienne, font le délice de la rencontre, puis de la réception, une sorte d’évidence étrangement complice, connexe à ma propre question, qui aime ce qui est aimable en soi.

Les sujets sont assez nombreux, les titres des expositions se posent à travers des thématiques dans le seul but qu’on puisse les identifier et donc les approcher rationnellement, remisant la part la plus subjective à plus tard, la part plus expressément communicante dans le champ privé du quant à soi, de l’intimité rêvée, des dialogues riches et de cette intention du voyage.

Prétextes et Messages.

Hors, il me semble que les pré-textes valent moins que les messages, les causes et les pourquoi, moins que les pour qui et les pour quoi, plus exactement. Dans ces interstices jouent toute l’étendue de la psyché et la part la plus « profonde » de l’intimité rêvée, comme un « jouir » de l’autre,  cette fois non pas physiquement, mais méta-physiquement.

Auto-Portrait.

Toute une poétique s’engouffre pour les plus « aimants », les plus lucides, dans le fait que cette chambre noire accouche d’un mystère et d’une chambre claire pour fonder une pratique libre de soi,  généreuse, intrinsèquement. Bien des photographes établissent ces dialogues de l’intimité et du secret afin de pouvoir parler du monde, dans un rapport à une forme d’ auto-portrait qui se dégage au fil du temps et des expositions, dans cette méta-psychologie que j’affectionne.

Secret.

Celle ci rend compte de préoccupations communes, renvoient à la part involontaire de l’évènement et la part volontaire qui organise la réalisation du projet discret ou secret. Peut-être est ce aussi tout le charme de ces propositions visuelles, de ces images qui ensemencent le plan de réalité commun et social comme aussi l’imaginaire collectif. Et dans cette adresse inconsciente, pourquoi ne devrait-on pas voir, pour d’autres raisons, la puissance des dialogues avec l’infini, le supra-sensible, l’invisible, re-situant  le point personnel de contact avec le réel et le sur-réel.

 

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Azimut-U_©Yann-Merlin_Tendance-Floue

 

Soleils de Minuit.

Une forme d’ installation appelle ces dialogues avec l’infini et questionnent une relation entre cet étant et ce temps précis où (a)parait l’image, au terme d’un processus convoquant rationnel et irrationnel, conscience et inconscience. Qu’est-il dit, au juste, de cet oeil intérieur qui voyage sur toutes faces du monde, qui se projète en son ciel intérieur, re-connaissances, insolations métaphysiques, soleils de minuit.

Chants Stellaires.

 L’élan métaphysique est une course impavide et légère, radiale, surprenante; le baiser de la nuit en son écrin et le chant stellaire, maitre mot des soleils au solstice de leurs gloires, paniers enrubannés d’air et de feux, levant des pains qui respirent et des alcools qui enivrent…

Ce là bas, tout là bas, bat sa mesure, il se commue aussi vite s’il le peut en pas de loup; une introspection fait sens, écriture, se déploie, un Pro-Jet avance, se concrétise, s’envole. Sans noir le charbon ne peut s’élire et le tirage photographique ne peut s’offrir de cette main qui accomplit l’entrevu, l’aperçu…et fait lien.

L’Infini.

L’infini serait-il un invité du hors champ, quand  il irradie, se hisse des profondeurs occultées de l’image, dans cette zone où convergent et divergent, s’assemblent ces esprits issus du vent comme un roman tardif, un vin au coeur sombre et diligent, ambassadeur nu offert au coeur radiant, à la légèreté lourde, aux eaux mémorielles et immémoriales, à la matière du temps.

Christine Delory Momberger.

Je pense ici, particulièrement aux travaux de Christine Delory Momberger, issues libératrices des chemins de deuil et de souffrances, de dissolutions de l’identité, de la remontée des spectres, des fantômes, du champ des holocaustes et de l’infinie douleur qui a engagé l’Humanité à sa perte de sens fondamentale dans l’abjection.

Champ d’honneur pour certaines traversées des enfers, quand la fleur de pissenlit est devenue insupportable à la vue, à la vie, insupportable pousse au devant des baraquements des camps et que l’amer austérité se dépense, comme une fée giflée, dans un engourdissement des sens, une chute qui finit par élever…S’est joué là,  une  résurrection de l’être au coeur de cette folie latente, parce que cette mort là n’étant plus possible, tant elle a gangréné le terreau inconscient de sa chute, qu’elle a permis en même temps, par soulèvement d’y répondre, de faire face à l’abominable, comme à évacuer toute forclusion, toute prégnance de l’ombre, toute noirceur atrabilaire.  » l’espoir luit comme un brin de paille… » aux confins de la vie.

Christine écrit dans la nuit Hantée : »du creux de la nuit monte une nuit plus profonde encore, livrant le passage aux images enfouies, ensevelies dans la retenue de l’oubli. Elles filent, tendues, spectrales, brouillant les frontières de l’absence et du temps, elles s’élèvent, impactent le sommeil de leurs ombres épaisses, disparaissent. Les jours gardent l’empreinte de leur tracé fugace. Revenues des lointains d’une mémoire troublée, des images se mêlent à des surgissements inouïs bouleversant l’ordre ténu d’un vivre. Ces carnets sont le journal des nuits hantées où la veille et le sommeil se confondent et se lient, ouvrant la voie du tréfonds. » mais aussi, devrais-je ajouter la possibilité de l’autre et la résurgence de soi.

Ce rapport du corps à l’infini, noirceur considérable de la nuit ou opalescence du jour naissant, enfin midi plein des bonheurs, la photographie traverse, raconte, énonce le temps de l’épreuve, le temps de la joie, celui de l’innommable, de l’abjecte, comme celui de l’ inséminante beauté solaire.

Ces rapports d’énonciation constituent le sujet, malgré lui trop souvent et s’affirment comme un secret….

Oeil et ciel intérieur.

Bien des photographies apparaissent ainsi comme issues du tamis de l’oeil intérieur et décrivent ce ciel intérieur qui bat la mesure, au devant de soi (pro-jet) au dedans de soi, pour relier dans une articulation poétique l’instant et l’éternité, pour s’inscrire dans ce corps qui vieillit, mais dont la permanence de l’être, l’étant  se constitue pas à pas, furtivement, par éclairs, par inspiration, par précipités. Une preuve arrachée à la terre des certitudes établit une pré-éminence, une force actée qui oeuvre constamment à une forme de révélation de l’intimité et du rêve, ce en quoi l’image est fille de l’imaginAire et du souffle, de ce pneuma de cette anima qui relient à l’infini.  

Ici et maintenant sont donc les obligés de celui qui écrit avec la lumière sur cette surface sensible de son ciel intérieur où se projètent les images qui ne cessent de circuler maintenant au dehors, dans la Cité, sur les murs des galeries, dans les livres, interrogeant le corps social et politique, pour inséminer ce regard collectif duquel il participe, toujours originalement. Un vaste voyage se fait des horizons et des territoires éloignés jusqu’au centre, des origines et des fondations, des fondements jusqu’à soi, dans une périhélie, dans une marche qui assemble, évocation rétrospective du mouvement péripatéticien d’Aristote à Rousseau. et au delà…

Le discours amoureux de la photographie.

Un texte pointe l’infini dans ses occurrences et porte ce dialogue avec l’autre, ce regardant, celui par qui la photographie initie son sens et couple sa présence. Sera t -il toujours question d’amour et de (re-) naissances, c’est bien là que réside le discours amoureux de la photographie … avec ses fusions, ses effusions, ses baisers, ses corps dé-nu-dés, comme des dés, ses ruptures, ses causeries, son chant d’aube et ses nuits claires, improbables dialogues de sourds et de mi-voyants, de mi-entendants, d’appels secrets et de messages avoués, certifiés, palimpsestes devant l’ampleur de l’empreinte, du seuil, de l’impossible victoire…de la nécessité des Traces.

 

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PORTRAITS-VICHY-2018-THOMAS_SAUVIN

 

 

Mes lectures critiques.

Mes lectures critiques s’organisent autour d’un texte sous-jacent qui affleure ou éclaire la photographie et signe un regard au moment où il me saisit et me séduit. Voyages au pays du mystérieux objet qu’est la photographie.

Entre ce que mes yeux perçoivent et ce que j’entends, tout un champ de significations se lie à la langue dans un regard complice qui isole et reformule ce que ma sensibilité et ma propre psyché ont repéré de signifiant. Un inter-texte se formule dès lors que mon “interprétation” s’affirme comme une voix parlant de , au sujet de … et positionne un entrevoir, prenant souvent le propos inavoué, le propos secret de l’oeuvre, en chasse.

Dans cet interstice se joue la connectivité du sens général de l’image et l’expression de son signifié.

Le Sens.

Au delà c’est un témoignage porté par un discours, (en tant qu’organisation complexe des sens qui la constituent), la photographie se joue de ma raison et s’impose dans son être là, cryptée, à l’invisible parole. De quoi donc est faite mon émotion, ce qui bouge intérieurement, m’enrichit, me séduit ou me dérange.

Que Comprendre, que Voir, qu’Entendre.

Que Comprendre, que Voir, qu’Entendre quand on regarde une photographie, si ce n’est sa pertinence, sa co-réalité, sa co-présence avec ce moi ouvert à son langage. Au delà des chemins qu’elle emprunte, il est alors question de Voyages et du texte avéré ou subliminal qui la parcourt, voyage qui m’emporte au delà de mes questions personnelles et, sans doute, vers un au delà de l’image, pouvant s’affirmer comme symbole, jouer l’ ellipse, la métaphore, signes distinctifs et formels pour faire état d’une poétique.

Les chemins inavoués.

Voir, identifier, repérer, percevoir, écouter, entendre, impliquent des chemins; entre l’oeuvre exposée, sa nature, son propos, sa proposition avouée et celle plus discrètement inavouée, et le spectateur, l’acteur que je suis à ce moment là, un tissu de relations se crée. Ce sont ces pistes que je m’applique à relever, à la recherche de ces textes sous entendus, sens, relations complexes ou simples qui affleurent dans et par l’écriture photographique. L’image qui est devant moi m’interroge tout autant que je la questionne. A travers ces dialogues se joue une rencontre, un chemin entre ce sujet inavoué qui parle méta psychologiquement à ma propre démarche, dialectiquement de nos conversations secrètes, à l’aube de ce jour nouveau, tant désiré, que nos (re) connaissances établissent dans le sentiment d’un voyage permanent, de ce qu’il crée entre nous, matières lumineuses phosphorescentes, sel alchimisé, sentiments électifs, humilités sacrées, le partage de minuit dans sa gloire essentielle versant au compagnon du devoir, la beauté de Vénus, étoile du Nord consacrant l’amour universel.

 

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Sémiologies?

Autant de pistes qu’une sémiologie peut suivre dans un chassé-croisé de regards. Analyser, articuler l’indistincte opacité de quoi ou qui parle dans cette image et comment elle peut se vivre, s’entendre, se voir enfin. Entre Éros et Antéros, entre ce qui attire et repousse, se prolonge, se partage, répond, situe son sens, son chant, la propagation de son message et la présence de son corps.

Un rapport aimanté se crée entre le photographe, son discours, et ce chant, lorsque son histoire fait entrer tout ou partie de sa propre résolution dans l’Image et l’Imaginaire et qu’il établit un lien quasi magique avec le monde et ceux qui le peuplent, toute catégorie confondue. Ce travail se nourrit de l’espérance, des joies secrètes que toute libération parachève par ce don propitiatoire, de soi, parole qui s’est avancée au devant de sa propre marche et en a dessiné l’orbe, comme un destin secret et mystérieux, versé par ce langage visuel à l’universalité de nos imaginaires, comme aux projets de libertés fondamentales de soi.

L’insémination du chemin magique.

Quelles sont véritablement les images qui accompagnent nos nuits et qui inséminent cette part rêvée de soi, sans doute les retrouve t on dans le pli caché de celles qui sont arrivées au jour, par un autre chemin, même si ce chemin est une voie parallèle qui bifurque sur la courbure du temps… 

Photographier.

Photographier c’est se donner sans réserve comme porter le monde au delà de sa trop visible présence pour s’atteindre en dormeur éveillé et prompt à d’autres logiques, à recevoir ce que l’autre en soi, ce génie inconscient et prodigue, engendre des dialogues du monde et de ses rapports au monde, une sorte de stance prend le photographe au coeur et le tire vers d’autres signes, d’autres fréquences, d’autres vibrations sonores souvent plus que visuelles…

la photographie serait alors déjà un art de l’écoute plus que du voir?

23 Janvier 2019

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