CHROMAVERSE, UNE CRÉATION DE MARINE ROUIT-LEDUC, Studio Meaningful.
« Chromaverse est une expérience immersive basée sur la recherche des couleurs de la lumière. Elle évoque un univers magique et parallèle pour mieux comprendre la relation étroite entre la lumière colorée et l’architecture. Conçues comme une odyssée perceptive en 4 chapitres, les peintures nous emmènent de la lumière artificielle à la lumière naturelle, d’un espace intime à la nuit étoilée à l’extérieur, en suivant un disque mystérieux qui semble nous montrer le chemin. » Dixit le dossier de presse.
Il s’agit bien de créer de nouveaux outils de communication et de partage, au sein d’une communauté tournée vers cette nouvelle technologie immersive d’un monde virtuel ouvert aux expériences multi-sensorielles, ici ce film en 3 dimensions, où le spectateur peut regarder en haut, en bas, devant et derrière lui. C’est ainsi que la proposition immersive est enveloppante, spatiale, ludique, atemporelle…. une curieuse impression de flottement, d’hypnose, est alors crée par le dispositif de la 3D, dans la simulation d’un voyage paisible et relaxant, dans un univers qui s’ouvre, tandis que la voix féminine, chaude, persuasive, active une sorte d’envoutement auquel on se laisse glisser heureusement dans un certain lâcher-prise, comme si nous étions dans une autre réalité, un monde pur, sans contrainte, au delà du réel.
Les occasions de vivre une œuvre en réalité virtuelle ne sont pas si fréquentes. C’est pourquoi, Chromaverse, le film de Marine Rouit-Leduc, d’environ onze minutes est un exercice assez remarquable de conciliation entre une odyssée de la couleur, comme si nous étions aux premiers jours de la création et la naissance de l’Architecture, ici les colonnes doriques de l’Acropole, ou, dans une référence plus cinématographique, un peu sur les épaules du Kubrick de 68, 36 ans après 2001, autre odyssée, dans un scénario qui évoque la naissance du premier outil, cet os qui devient arme, tandis que deux tribus de primates se disputent un point d’eau et s’affrontent en plein désert, au plus fort du soleil et de la chaleur, désert au sable ocre jaune. Le soleil est à son apogée, il brûle cette scène primitive de sa lumière puissante. Nous sommes à l’aube de l’humanité.
Ainsi s’illustre la proposition de Marine Rouit-Leduc, le monolithe noir kubrickien devient ici un disque de lumière, obscur ou lumineux, mystérieux, qui semble montrer le chemin à travers ce voyage quasi initiatique de la naissance de la lumière vers cette architecture classique des colonnes doriques. Nous remontons à l’origine de la civilisation grecque au VII ème siècle, ou selon Vitruve, Doros, fils d’Hellenos, accorda les proportions de la colonne à celle de la mesure d’un pied, multiplié par six; quel que fut le diamètre de la colonne à son pied, ils donnèrent à la tige, y compris le chapiteau, une hauteur égale à six fois ce diamètre. Que met en scène Chromaverse, le film de Marie Rouit-Leduc, si ce n’est, sans doute ce retour à la première colonne dorique, au temple d’Hera à Olympie, comme essence et métaphore de toute architecture en son devenir, proposition au couplage intéressant avec cette lumière physique et son spectre lumineux, vue ici, dans ses rouges, verts, bleus, (RVB l’espace colorimétrique des films cinéma et photo), puis Cian, Magenta, jaune et Noir (CMJN, espace colorimétrique de l’imprimeur), après une traversée de l’ombre de la nuit en Noir et Blanc.
Curieusement, par un effet miroir, alors que nous glissons sur l’eau et que les colonnes se reflètent à l’infini, ce voyage sur l’eau séduit, portant cette fluidité du temps dans sa dimension onirique; la réverbération et les reflets mouvants, accordent les deux dimensions, le sujet et son reflet pour induire une dimension plus subtile, dans la préhension de l’illusion et de la vérité, de la réalité. Sommes nous bien sur de ce qui parait et de ce qui s’anime devant nos yeux, même si nous sommes, à cet instant dans un film en 3 dimensions, guidé par cette voix à la profondeur envoutante de Sara Verhagen; quels liens le monde des apparences tisse t-il avec ce que nous reconnaissons comme tangible et vrai, au cœur de l’expérience sensorielle, de la re-connaissance de ce qui fait réalités.
Le film me semble issu de ce glissement, de ce voyage aux sources des réalités secrètes qui se dévoilent. On pense à Marienbad et à l’envoutement secret du film de Resnais sur le texte d’Alain Robbe-Grillet, dans ce glissement progressif et immersif de ce qui s’apparente à une dimension parallèle, voire à un voyage de l’Autre côté du miroir, à une traversée des jardins mémoriels de Marienbad et ces échos de vie qui n’ont cessé d’émettre cette vibration encore active. La dimension introspective du film laisse entendre la proposition inavouée de ce voyage intérieur, dans cette zone de la conscience où le sujet se déplace comme dans un rêve éveillé, d’où, pour une part une relation ouverte avec le somnanbulisme actif et le Merveilleux, l’Étrange, l’Onirisme des peintures surréalistes.
Si nous n’avons jamais vécu en rêve, ici secondé par un piano cristallin, quelques notes seulement détachées, répétitives, doublées d’un synthétiseur à la voie profonde et calme, assumant une Harmonie apaisante au film, paré du songe, par quelle autre expérience immersive serions nous conquis, serions nous prêts, si nous n’étions pas de bons rêveurs, prêts à lâcher la barre de la conscience, sans angoisse, à nous prêter à l’expérience de nous laisser aller au fil de l’eau, de la rêverie, du voyage qui démarre…, alors que le passage de la nuit se fait et que le cercle lumineux qui nous précède se mue en un cercle d’eau bleue matricielle, mer de toutes les mers, et que s’active sa correspondance avec l’horizon…. La musique, l’espace sonore, le climat sont signés Jean-Philippe Jacquot, Romain Benitez, dans une volonté d’accompagnement et de design soft, proche des sonorités utilisées pour la relaxation, design qui, loin de pouvoir être considéré négativement, se prête au jeu du film.
Alors que nous étions retenu dans la caverne platonicienne par ces jeux d’ombre où se défait le songe libre de soi, happés par ce qui nous semblait alors faire réalités, simulacres si l’on en croit le mythe de la caverne et la question de la métanoïa, nous sommes ici conviés à un autre voyage, de l’obscur à la naissance de la Lumière et de l’Architecture, alors que surviennent le plafond du ciel et le rayon du premier soleil … que génère cette architecture, elle même lumière pétrifiée, comme il en fut précédemment dans la Haute Égypte, des obélisques, traits d’union entre le Ciel et la Terre, conducteur d’énergies, question qui reste assez ouverte dans la suggestion portée par le film jusqu’à sa fin, s’apparentant pour ma part à un conte abordant une sensibilité initiatique dans sa portée méta-physique.
La sortie dans la nuit, le retour dans le ciel aux étoiles majeures annonce cet horizon ou renait au lever du jour, ce soleil rouge et flamboyant, (et là on pense bien sur aux impressionistes et à Turner…) comme une re-naissance au jour qui vient dans un renouvellement re-créé le monde et le renouveler dans sa dimension ontologique…voire orphique. Chromaverse nous amène à cet état de contemplation et de philosophie, de joie intérieure, devant le spectacle renouvelé de la naissance du jour, de la montée de la lumière de l’assomption généreuse de cette mécanique céleste qui a toujours ravi l’Homme depuis les temps immémoriaux; ainsi pourrait-on re-vivre ce voyage en s’accordant le privilège symbolique de percevoir et de ressentir ce glissement des images dans leur maille sonore vers une forme d’apocalypse (sens étymologique: révélation) , d’interprétation super-naturelle, c’est à dire sur-réelle, voire sur-réaliste, dans la mesure où Chromaverse pourrait prétendre à cette récupération de toute une force psychique tournée vers cette cosmogonie liant les couleurs de la Lumière, son spectre à l’énergie créatrice qui fit surgir l’architecture sacrée des temples et l’invention de la colonne dorique.
« Rappelons que l’idée du surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique, par un moyen qui n’est autre que la descente vertigineuse en nous, l’illumination systématique des lieux cachés et l’obscurcissement progressif des autres lieux, la promenade perpétuelle en pleine zone interdite et que son activité ne court aucune chance de prendre fin tant que l’homme parviendra à distinguer une flamme d’une pierre… » André Breton, second manifeste du surréalisme.
Dans l’Interview ci dessous, Marine Rouit-Leduc s’exprime sur la genèse du film et son implication artistique, comme aussi sa fabrication.
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