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©Bernard Guillot, LE CAIRE ©Didier BENLOULOU- Jerusalem
DIDIER BEN LOULOU, BERNARD GUILLOT A LA GALERIE MALEBRANCHE jusqu’à fin Janvier 2018.
DEUX VISIONS DE L’ORIENT
La galerie Malebranche expose jusqu’au 27 Janvier Bernard Guillot et Didier Ben Loulou, sur deux visions de l’Orient, deux villes, Le Caire et Jérusalem, en noir et blanc pour Bernard Guillot , en couleur pour
Didier Ben Loulou. Deux façons de vivre et de photographier le réel et le sur-réel en prise avec ces territoires urbains, pétris d’ histoire et de feux, du feu des soleils d’or mais aussi du feu des buchers.
Didier BEN LOULOU, JERUSALEM
Un monolithe est cerclé de feu dans Jérusalem, première image. Analogie, les flammes circonscrivent la Pierre. En contre points, des enfants jouent dans la rue. La pierre et le feu, la résilience de la lettre hébraÏque passent la mort par le corps juvénile des enfants jouant, bruyants de la promesse de demain, portant à travers leur ombre, ce précis d’humanité, au bord de l’affirmation ou de l’évanouissement: vaste question qui ne cesse de hanter le photographe aux prises avec l’héritage sacré de la tradition hébraïque tenue par les religieux et sa propre modernité, exprimée ici dans un dialogue entre l’immémorial et la présence. Le photographe s’invente chaque jour, s’obsède au delà de lui même: ce qui lui échappe et ce qui s’affirme paradoxalement le hante. Il n’arrive pas à circonscrire le cercle de feu, hautement symbolique, qui consume, enferme et questionne.
©Didier BENLOULOU- Jerusalem
Question centrale, à la fois centrifuge et centripète, Ben Loulou étend la question de sa Jérusalem à tout l’Orient, à tout le bassin méditerranéen et relie les méditerranées dans un périple homérique, ulysséen, où se joue l’identité de sa photographie. Ce travail s’entend comme une tentative de libération par la fuite et le voyage. Il s’échappe de Jérusalem quand tout acte photographique devient impossible momentanément. Il cherche ses orients là où le soleil a fondé l’altérité d’autres communautés. Il vit une héliotropie. N’est il pas une page déjà écrite où viennent s’échouer les rêves brisés et l’éternelle senteur des soleils orientaux. N’est ce pas là que se joue cette permanence du retour impossible au coeur de Jérusalem, éclairant du schisme qui travaille toute la société israélienne pour surprendre sur sa peau, toute la vie, toutes les vies par lesquelles émerge , d’une façon discontinue et “miraculeuse” sa photographie? Qu’on se souvienne d’Israël Eighties, publié il y a peu à La table ronde.
Le corps de Jérusalem s’écoute dans la pulsation incessante d’une promesse, (in)-augurale et secrète, creuset des monothéismes, appel d’un Sacré qui, aujourd’hui se vide, et pourtant se révèle au photographe dans l’interstice des présents. Il ne peut y avoir un seul présent, et pourtant tout se résume parfois à cette fraction de seconde où se signe le rêve de l’Immémorial. Jérusalem, s’abime dans le mariage de l’argent et du politique, se désertifie, s’abîme en elle même. Il n’y a que la pulsation des vagues sur la plage pour retenir l’écoute et préserver les rues où se jouent les apparitions, disparitions de ces dialogues qui firent la ville… au devant d’elle même.
Le Sacré a fui, la loi est respectée à la lettre, schématiquement sans doute, abusivement, les religieux interprètes ont abandonné l’esprit pour la rigueur sclérosante, c’est pourquoi une nécessité fait oeuvre chez Ben Loulou, préoccupation majeure. Il écrit dans Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs, pages 240, 241,: “ Comment font ils, tous ces religieux en noir, ces obscures silhouettes dont la présence est de plus en plus obsédante dans Jérusalem pour croire avec autant de dévotion et de ferveur?” Il confie sa fascination pour cette dévotion “ hystérique”, son envie presque d’y succomber, mais voilà, cela lui reste interdit…Ce n’est qu’un fascinum, un leurre où l’absorption dévote accouche d’un intégrisme. L être est digéré par par le dogme exotérique. Didier Ben Loulou est bien trop au centre de son voyage symbolique pour succomber par simplification à la tentation du diable, à la vitrification de sa liberté par la folie et le feu des dévots. Voilà pourquoi le monolithe est en feu et s’accroche au regard. La suite est éclairante, quelques lignes plus loin : “Je comprends mieux le travail que je mène sur les lettres et sa différence d’avec mes autres projets sur Jérusalem ou Athènes. Les lettres me sortent de ce monde et du temps”, on pourrait ajouter que le système du photographe fait que par nature et retour de sa liberté de voir, d’entendre, il écrit une part de sa liberté triomphante en se rendant sensible aux signes que le réel lui propose et qu’il reconnait comme tels: corps des enfants entre ombre et lumière, lettre hébraïque ouverte vers l’infini du ciel, colombe étreinte par des mains d’enfants pures.
La question du Sacré est sans doute un mystère en soi. Ben Loulou est influencé autant par cette culture juive que par la littérature française, dont Albert Camus; à ses interrogations méta-physiques, deux lectures parallèles et possibles, la religieuse le pousse vers un asservissement possiblement libératoire, fusionnel, une érotique en sous-tend le désir, mais aussi vers une négation mortifère. Le doute en philosophie occidentale fonde une dynamique de l’être et la construction d’une Liberté individuée. Didier Ben Loulou perçoit l’invisible dans le visible et le met en scène par ses cadrages, ses sujets, couleur et corps, ombre et lumière. Les images lui arrivent comme de petites épiphanies. Jérusalem, polyphonique et plurielle est hantée par son Histoire, Didier Ben Loulou, n’en déplaise aux thuriféraires de la Loi, relit les interstices de la tradition juive dans le jaillissement incessant du Sens et de sa Liberté. C’est une part de sa modernité.
©Didier BENLOULOU- Jerusalem
Ces images ont une charge symbolique forte, portée par les mains. Celles ci cernent l’oeil fermé de l’enfance, symbole de voyance, si l’oeil est fermé sur le monde extérieur c’est qu’il est ouvert vers l’intérieur, qu’il regarde sa nuit, qu’il voyage. Les mains tiennent la blanche colombe à l’oeil fixe, vase qui reçoit la blancheur, qui lit l’harmonie, et la paix s’inscrit dans la pulsation du sang. Les mains accomplissent quelque chose d’un sacré, d’une transcendance, d’un faire. Elles sont elles même support de voyance; que nous montre Ben Loulou, si ce n’est ce qu’il pré-sent, (pressent), autrement écrit dans le miroir de la langue, présent de l’instant. Elles forment ce rêve d’une colombe entre les mains d’une enfant (tirée du livre Jérusalem) afin de donner ce pouvoir d’accorder l’Innocence, la non possibilité du mal, au Sacré.
Encore faudrait-il écrire sur les cris et la fureur de la ville qui s’enflamme périodiquement, bande son improbable de l’hystérie, celle des communautés, celle des religieux et de la violence permanente: tordre l’Esprit de la lettre par sa forclusion dans la Loi, un système fermé qui suinte désormais des murs de Jérusalem en permanence, croira t-on. C’est là, a cet endroit que l’ écriture photographique de Ben Loulou interroge la puissance des images venues en Messager de la vie libre, issue de ce regard intérieur de l’enfance. Ne sont-elles pas trop paradoxalement mémoire issue de cet Ange de l’Annonciation ou de tout personnage venu de la peinture sacrée de la Renaissance, témoin, de l’ irruption contre l’intolérance et le fanatisme, écriture qui présente une physique inversée de la perspective intérieure, dans un « proche infini » . On peut lire dans ses remarquables Chroniques de Jérusalem ou d’ailleurs (Arnaud Bizalion Editeur, 2016) : « Cette couleur céleste sur la pierre que je photographie entre les mauvaises herbes n’est pas signe de la perception du lointain, comme chez les maîtres du Quattrocento, mais au contraire signe de la perception du proche, du proche infini. » Revenir aux origines, aux sources de l’Histoire et de la Perception du Sacré, ainsi s’écrit pour Didier Ben Loulou le voyage de l’Orient, où il emprunte désormais le chemin libéré d’Orphée, enchanté, enchanteur, forcément énigmatique, mais désormais sans retour.
LE CAIRE par Bernard GUILLOT
Homme ! libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Gérard de Nerval Les Chimères
©Bernard Guillot, LE CAIRE
Bernard Guillot, par ces noirs et blancs, signe une approche plus intimement pacifiée, poétique aussi, une lente remontée des images se fait alors en lui par l’harmonie secrète, éveillée des mystères de l’Orient, (Nerval en quelques points est un parent, un « frère » me confiera t il), de cette lumière intérieure liée à la grande Tradition Romantique et Orphique.
Le peintre-photographe expose ici à travers les murs et les traces archéologiques, les éléments d’architecture où s’aperçoit le triangle des frontons des temples grecs et ou surgit ce “connais toi toi même, comme pierre angulaire d’une démarche philosophique qui traversa les siècles depuis les pyramides (le triangle équilatéral), aux messages toujours actifs, pour qui sait écouter et voir. Car tout est là, que voyons nous “vraiment” , quel est notre lien au réel, à quoi servent nos sens, s’ils ne sont pas ouverts à la lumière et à la Connaissance? Notre sensibilité brute est elle à même et librement de s’éprendre du réel, voyage t-elle au coeur du mystère du monde, s’épanouit -elle de de la pulsation enchantée de la nuit, sait-elle s’enchanter elle même de l’ouverture au regard, de l’éveil de l être. Il faudrait ici citer Nerval pour mieux comprendre et percevoir Bernard Guillot :
” Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
A la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et, comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! “
©Bernard Guillot, LE CAIRE
En quelques points, ces photographies parlent d’Architecture, du Sacré et de l’Immémorial, de cette Connaissance, si chère aux romantiques, à Goethe, Nerval, en particulier, quand les équilibres se construisent et que tout ce travail intérieur d’essence poétique et lumineuse s’est fait, le regard du photographe s’accorde à l’esprit majeur du temps, enfin VOIT l’équilibre en toute chose, en une fraction de seconde. C’est dire qu’il a su traverser ses enfers et y retrouver son Eurydice, et que de son amour perdu il revient au jour, dans une renaissance ou tout s’est accompli. Il lui reste AUSSI à accomplir le monde dans sa vision…
ourlée, irradiante, irradiée et nimbée de l’Autre lumière, immanente. Ce processus est assez différent de celui qui taraude en permanence Didier Benloulou, toujours en équilibre au dessus des enfers, Bernard Guillot, en est revenu, l’oeil plus profond que jamais, la paix flottant sur son âme en colombe douce et heureuse.
Orphée en tout point peut s’entendre comme un symbole du Génie, ce Dieu caché dont parle Nerval, dont l’esprit s’accroit sous l’écorce des pierres, c’est lui. et son destin, sa croissance est liée à sa part féminine, son Eurydice, dont le nom ouvre un champ sémantique particulier. Il s’agit de la Vaste Justice de l »Eurè- Dikè grecque. La Justice est représentée par la balance -Libra en latin- dont les plateaux sont en équilibres, “equi-libra”, ce qui donne ensuite la liberté par l’harmonie, ou l’harmonie dans la liberté. Cette dialectique est ici vivante, éprise de sa vastitude qu’elle en change la nature physique de la lumière, lumière méta-physique dorée à l’aune de cette proportion dont sont faites les pyramides e,tre autres…. et le monde s’ouvre à la présence par le regard. C’est pourquoi un enchantement se fait, dans la grande tradition romantique, rendue parfois surréalisante (les surréalistes sont des romantiques) dédiée à la présence et au monde que conjugue si bien la photographie de Bernard Guillot.
Nous sommes avec lui dans l’Or du premier matin, dans l’Argent de la lune, du côté de cet imaginaire qui conçoit et résout…..
….. et les contes philosophiques s’éprennent alors de ce Génie, humoriste au sourire gai, du Gai Savoir, faisant entrer l’Autre dans un compagnonnage du regard, à la pointe d’une Terre Promise et enfin trouvée.
Bernard Guillot a su renouer au Caire avec l’esprit qui est au delà du temps… il en revient avec ces traces lumineuses faites de temps singuliers et d’apparences, de subtils présences, de mystères toujours actifs, de secrets qui reposent. Bernard Guillot nous offre l’Or du temps, projet surréaliste et magique dont nous sommes, regardeurs, les heureux destinataires, les bons bénéficiaires. En ces temps de l’Avant, il est curieux d’assister à la naissance de ces Orients, voyagés, esprits rimbaldiens, mythologies actives. Ici tout est en noir et blanc, dans la nuance que les ombres laissent de leurs passages sur la terre des hommes oublieux d’eux mêmes. Et ces miroirs ne sont que rimes en noir sur blanc.
©Bernard Guillot, LE CAIRE
Entre l’approche éclatante de la couleur et des tirages Fresson de Didier Ben Loulou et celle, élégante et magique de Bernard Guillot, portée par l’ héritage de Gustave Moreau, des surréalistes et de leur sens poétique, on pense à Éluard entre autres, un dialogue savant et secret s’ épanouissait entre les deux oeuvres. Deux modernités, l’une plus contractuelle et débordante, conquérante, ouverte à l’infini de la question juive, en couleur, l’autre magnétique et métaphysique, plus secrète, douée de l’esprit issu en quelques points des romantiques, quand l’onde du mystère appelle une soif particulière et qu’elle en promulgue l’Harmonie secrète.
Le Caire-Jérusalem de Dider Benloulou et
Bernard Guillot -> 27/01/17
Galerie Malebranche – 11, rue Malebranche
75005 Paris
Du 13 DECEMBRE 2017 AU 27 JANVIER 2018
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