FLORE, MAROC, UN TEMPS SUSPENDU.
Maroc, un temps suspendu
avec des écrits de Colette, Anaïs Nin, Edith Wharton, Nicole de Pontcharra, Nedjma
“ Toutes choses respirent et s’épanouissent dans une riche et féconde atmosphère qui distribue et équilibre la lumière, établit l’harmonie.” Raymond Cogniat, critique d’art sur la peinture de Sisley.
Flore, dans son livre Maroc, un temps suspendu, invite son lecteur à la suivre de très près, de plus près qu’il ne pourrait paraître, plus avant encore qu’il ne semble, plus avant qu’un confident, plus précieusement qu’un ami, plus amoureusement qu’un amant. Elle ouvre pour lui les portes closes d’un paradis perdu et retrouvé, de ce Maroc porté aux sources de l’enfance, dans toute la magique présence de cette lumière d’Orient, une renaissance au royaume spirituel, à cette vraie vie de l’esprit. Il ne s’agit pas d’une conquête, mais d’un don, ni d’un acte savamment médité mais le rêve éveillé d’un temps suspendu issu du voyage de l’oeil intérieur à la recherche de cette douceur d’Eden, celle du renouveau des sensations, des impressions, d’une couleur immobile qui fait paradoxalement retour à l’ Occident, dans ce couple éternel des oppositions qui se fécondent parce qu’elles sont les colonnes d’Hercule d’un monde ouvert et pacifié, et que l’enchantement des images irradie cette photographie dédiée aux impressions de l’enfance.
Retrouver la part de l’enfance perdue, vaste voyage où s’écrit cette renaissance à la lumière pour que s’épanouisse le rêve de la lumière et le chant pacificateur de l’harmonie, où la vérité de l’espace, des matières végétales, ces jardins à l’inénarrable fraîcheur, à l’indolent repos, surgissent dans la blancheur de l’épure, comme un thé vert, diffuse une picturalité faite du grain de l’image au Polaroid. Le temps devient matière de la sensibilité, sensuellement pour disparaître dans ces lointains proches, qui se peignent ici, se couchent dans leurs variations infimes, heures et jours liés et déliés du présent, portes ouvertes en soi sur un temps suspendu, temps intérieur de la permanence des retours à soi, éblouissements, anamnèses, bords du monde, rejoignant cette adresse de l’éternité si rimbaldienne; “c’est quoi l’éternité, c’est la mer allée avec le soleil. “
Il s’agit dans ce livre miraculeux pour qui sait voir, un lever de jour, l’orior latin, “je nais”, étymon du mot Orient, à quoi se complémente l’occire , je meurs, l’occidere,des latins, dont le sens commun est tomber, racine du mot occident. Dans de nombreuses conceptions mystiques et notamment néo-platoniciennes, l’ homme nait à l’orient d’une géographie symbolique puis passe à l’occident, tombe dans un processus d’aliénation de son âme dont celle ci ne se sauve qu’en retrouvant son orient spirituel. La création, l’art, articule ces voyages de l’invisible attention au point de leurs révélations, du point nocturne de leur gestation à leur accouchement dans le visible, faisant œuvre de ce côté ci du réel, dans un mouvement que génère l’imagination créatrice, faisant retour sur le processus inconscient de création et la psyché de son auteur. Un lien à l’inavoué se manifeste, retour en terre du milieu, quand le voile se déchire et que naissent les images, se concrétise ce lien du chemin intérieur, sorte de prolepse dont la narratologie est comme une anticipation, ici inversée dans son effet de ce retour aux origines.
Contrairement à Frédéric Mitterand, Flore ne jette pas ses souvenirs au feu du grand oubli après les avoir serré dans ses bras, elle les fête comme le blé en herbe, promesses des joies plus profondes au point de leur surgissement, épiphanies secrètes où se fonde cette lumière intérieure, à travers un voile dont la soie tamise, diffuse les hauts contrastes pour les fondre, les apaiser, les transmuter en paysages intérieurs proches du souvenir. Le pays présent est devenu le relais de celui d’hier, Flore retrouve le chemin des sensations toujours présentes en ce temps merveilleux, lointain et proche, avec tout ce qui anime le corps, l’âme et l’esprit, l’amour de ce temps replié sur lui même et si aimant, temps perdu de l’unité et de l’enfant, Aïon.
Flore se livre à tout l’exercice de cette présence au monde qui l’entoure, à noter ce qui l’émeut la séduit, elle note comme Delacroix dans ses carnets de croquis ce qui infuse son oeil, traverse sa sensibilité, évoque une résonance. Toute sa présence est engagée dans cette photographie, plus, tout son être semble écouter et disposer des formules qui permettent de suivre plus avant, dans une recherche de l’éblouissement, ce qui traverse et éveille en elle toute mémoire.
Son geste créatif est un pinceau qui suit l’impression et ouvre les passages. Flore pousse la porte d’un temple enfui, permanent et invisible mais présent. Elle photographie l’éternité de cette permanence à travers ce que ses yeux voient de ce Maroc éternel, simple, vaste songe, objet du désir, continuités d’hier, le jour se prolonge au delà de lui même dans sa sidérante permanence, dans une allusion à la présence ajournée de ses pas qui, hier, défiaient encore ce temps si pur, si limpide, si neuf, temps d’un présent éternisé par les impressions olfactives, marquant tout l’être de leurs présences inaliénables.
Flore, un temps suspendu, contrejour
C’est pourquoi toutes les photographies jointes aux citations de grands auteurs séduisent celui qui a été convié à entrer dans l’intime proposition de ce livre hommage à la Beauté et à l’Amour. Pains bénis posés sur les pierres, roses fraichement coupées, palmes verdoyantes, rues de la médina, silhouettes, objets du quotidien, céramiques, passantes, montagnes arides aux pierres sèches, oranges, plages, enfants, bleu méditerranéen, âne et chameaux dans le lointain, plage, tout concourt à s’échapper de la référence à l’immédiat pour célébrer aussi ce temps, qui fait et défait, et qui obligerait à s’approcher de ce qui fonde, entre naissance et mort ces renaissances, ces mues nécessaires afin toujours de s’approcher de ce mystère qui fait en épurant, entre ce qui tombe, occident de soi et ce qui renait, Orient de soi.
Marchant contre l’oubli, dans une célébration discrète, Flore a retrouvé l’Impressionnisme, coeur de sa photographie. Elle fait joindre ainsi l’orphisme de la lumière qui dématérialisée , qui s’égraine dans une vision qui fait photographie, ce temps suspendu où tout apparaît léger, joyeusement triste, renouveau, pur et intègre, proche de cette paix de l’aurore où un soleil magistral redonne vie à la vie. Ce sont ces souvenirs, nés de la pierre, rose de l’heure, sentiment d’être, sensations inavouées et enfuies, signes indéchiffrables comme des hiéroglyphes de soi, matières adoubées sur le chemin de l’inspir, épis, grains caressés de la main-oeil, parole muette aux fondements de cette aventure, de ce qui advient de soi, (Duras) comme la descente impassible de ce Mékong évoqué antérieurement dans un souffle.
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