THIERRY VALENCIN, MAGNÉTISEUR ET SOMNANBULE.

« Ma tâche est avant tout de vous faire voir. » Joseph Conrad

Fidèle à ce principe, Thierry Valencin, s’aventure au bord du monde, Au bord de l’autre, il dé-couvre à travers sa sensibilité, par son regard, ce monde qu’il habille et dés-habille des yeux comme le corps de ces jeunes femmes dans un retour de cette sagesse d’Éros que je définissais précédemment comment un lien profond à l’être, au Vivant, à ce qui traverse ce que nous sentons être et qui relie aux fondements, toute notre psyché. Il y a là, une façon toute particulière de faire corps, corps rêvés, rêveries où les sens se laissent aller à leurs intuitions, sensualités picturales du conteur, revenir à soi, s’en éloigner, propositions des voyages immobiles où chaque image est non seulement un moment choisi, électif, mais une chance, une grâce, un départ et un retour.

Partir-revenir, rapporter, raconter, le photographe est sans cesse en train de se déplacer dans un monde intérieur à la recherche de ce qui le meut, fait transport, calmement, avec assurance et défi, à la recherche des pôles magnétiques de sa nuit, de la nuit. Il somnambulise, c’est un marcheur qui dort les yeux ouverts, regarde, s’éprend de la douceur des rencontres. Ce qu’il voit, nul ne le sait, pas même lui, mais sa photographie, ce voyage immobile le dit en retour par cette voie silencieuse. Il est, le jour, ce formidable lutteur, cet ouvrier du quotidien qui travaille à son indépendance d’esprit et de corps, foin des galeristes et des prix, il crée, par lui même les conditions de sa liberté, prend le taureau par les cornes, fonde sa propre dé-marche. C’est grâce à ce double mouvement, liberté de faire économiquement, moyens pour y parvenir, et libertés de création, qu’il peut modeler son parcours et décider de ce qui l’occupe en priorité.

Thierry Valencin est ce joueur de violon chagalien, volant au dessus du toit du monde, emporté par le souffle de cette dé-marche délivrée dans l’image, de toute pesanteur. Son taureau, s’il est noir et chtonien, n’en n’est pas moins issu de la terre mais léger, dense, impénétrable, une image de la force éruptive et brute, mais allégée de toute scorie, essentielle, c’est un lutteur de l’ombre, non pas l’expression abrupte du Minotaure, mais le Minotaure évoluant vers le couronnement de sa royauté solaire. Il n’est plus question uniquement ici de photographie, mais d’image, de passages symboliques.  Le somnambulisme actif magnétise, attire pour transformer magiquement la charge représentative de l’image et la rendre à sa nature profonde. Le taureau devient acte libérateur, contentement. Il est dans sa présence une image source, sans datation, représentation à la polarité sexuelle, psychique et religieuse du féminin, renvoyant au versant masculin de la déesse mère (considérée comme androgyne)  ou selon Jung à l’animus. Ses cornes représentaient en Inde, la lune sous le croissant, puis plus tard, l’image devient le symbole des orages et des tempêtes, représentant l’amant divin, (l’enlèvement d’Europe), une conception du taureau céleste en fait dans les civilisations indo-européennes en font un symbole de la fécondité, du cosmos, de la virilité exacerbée de la nature brute, et du dieu égyptien Apis.  Et tout cela est dans cette photographie…Thierry Valencin retrouve la source des images qui circulent au sein de l’univers, dans l’immédiateté de leur profondeur.

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© Thierry Valencin

 

Cette entreprise se source évidemment de l’autre côté du miroir, s’éprend, en narrateur averti, de toutes les notations qui font l’instant, qui ravissent, qui déclenchent l’oeil de la caméra. Thierry Valencin garde par cet oeil ouvert, ce qui l’entoure, et ce qui est. Il re-garde ce qui re-vient de son voyage de l’autre côté du miroir. C’est aussi cet invisible qui touche, qui enthousiasme, qui fait photographie. Celle-ci a toute la présence d’un moment choisi, composé de l’unité; elle renvoie au medium, insémine, rend compte du magnétisme qui a opéré dans le mystère, la magie de sa photographie. Il se rend aimable à lui même dans ses relations à l’intime, que toute une photographie en noir et blanc déploie tout au long du XX ème siècle, de Man Ray à Ronis, en un clin d’oeil, car l’homme est un complice discret qui sait le regard fertile et l’amour, cette force vitale du coeur et de la connaissance, Au bord de l’autre.

Bien des repaires biographiques sont utiles. L’homme est né en 1962 dans le mâconnais; après un séjour de quelques années en Polynésie française, il décide de quitter la France pour l’Allemagne, pays où il séjournera quelques dix ans, à Francfort déjà, puis à Munich, où il fonde sa galerie de photographie, la galerie demi-lune…. (tiens, tiens !!!)  … » il façonne son originalité, et il est étonnant de retrouver dans ses premiers clichés, la maîtrise du regard qu’il ne cessera, dans les vingt années qui vont suivre, de préciser, d’approfondir par une recherche toujours plus constante de son travail. Car, fidèle à son intuition, et malgré toutes les expériences visuelles auxquelles il se livrera, on reste stupéfait de la cohérence de son parcours photographique : la vision qu’il avait eue un jour du monde et de son propre regard, restera toujours présente, authentique, et comme ancrée dans sa mémoire, et il n’aura de cesse d’en forcer l’image. » extrait de présentation, in L’Atelier Valencin. https://www.thierryvalencin.com/latelier

 

Thierry Valencin n’est pas un photographe commun, loin de là. Sa photographie est habitée, ancrée comme un Picasso, sur la terre ferme, regardant le ciel, de noir et blanc, faite de sensualités et de douceurs, aux bustes fluides, subtiles,  image féminine, poétesse de l’instant, un voile se déchire, quelque chose parait, se hisse hors de l’invisible et vient se couler dans les formes, l’instant, les yeux où se joignent des mains habiles, illusoires, pour être à soi même dans la présence du monde, à la rencontre de l’autre, parce que fort d’un voir et d’un dire, d’ un être là, il faut faire jouer, jouir, la vie qui s’écrie, s’écrit, se renverse, fuit devant soi, sans que l’urgence ne puisse se faire plus douce, plus calme, que celle du moment où tout parait, se fonde, fuse par l’image.

L’homme est appelé , envouté, sa photographie est devenue avec le temps, cette maîtresse exigeante et absurde, mais à chaque bonne image, elle se trouve de nouveau caressante, aimante, sans doute impossible à quitter. Qui, parmi ces photographes stupides na pas vécu, ne vit pas cette passion, et que tout compte fait, si ce mal le ronge c’est un bien pour un mal. Rappeler et suivre Baudelaire dans son conseil à la vie , aux Happy Fiew, aux élus et martyres de cette cause, pourrait ne pas être vain: Enivrez vous, enivrez vous… « Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez vous. »   Cette imposition du Mal à l’exigence de soi inflige ce sacrifice de surcroit, de recherche de l’intensité supérieure du monde, au moment où il se donne, voilà que les femmes se dé-nudent, que l’oeil s’éprend des courbes qui naissent dans un regard haptique, où se réfracte la part du théâtre, de l’artifice, sans lequel tout serait désert.

Jeux des corps, effets de l’érotique puissance autrefois si constante, jeux de miroirs, spectacle ultime, revanches, corps secret, mystérieux amours, décors, cris silencieux, chimies, peaux, lèvres, tout s’effleure en passant. Puissances de la Nature, d Éros et du Taureau céleste. Tout à l’heure tout sera fini… et pourtant tout a eu lieu, tout s’est dit, un temps s’est accompli, l’image en est le recueil, le refuge, mensonge supernaturel, enfin un mensonge qui dit vrai, lapsus photographae, faudrait-il écrire, lapsus linguae, car sans doute est-ce également tout l’enjeu de l’art, en ces temps de pouvoir dire à travers le voile du drame et de l’éphémère présence tout l’absolu qui fonde et traverse cette quête de soi, dans l’évocation poétique d’un sur-monde…

 

Cette photographie est une image argentique, elle doit sa présence aux sortilèges de l’ombre, au gris, aux noirs et aux contrastes qui chavirent vers un horizon de marin… J’ai toujours pensé que cet homme là était plutôt un Cendrars cueillant la vie aux points forts, Un Léo Mallet parlant du brouillard et de l’ombre des silhouettes qui font le pavé des soirs de Novembre parisien, un peu du réalisme poétique de Carné, de la poésie sur-réalisante de Cocteau, de l’humour de Ronis, de la magie de Man Ray…. « Valentin, c’est un type qui mouille sa chemise, met les mains dans le moteur, assume tour à tour toutes les opérations qu’un photographe se doit de faire par lui même, quand il cherche la justesse de son expression et qu’il ne cherche pas à déléguer à quiconque ce travail, car, à toutes les étapes, il reste créatif, impliqué, veillant au bon grain, revenant sur un tirage, lui donnant une nouvelle vie, refaire le chemin vers l’autre en soi, refaire le tirage. » me confiait un ami commun

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© Thierry Valentin

 

C’est un pur amoureux des films argentiques, de l’hyposulfite, voire de la pyrocatéchine; le parti est pris de toujours développer soi même ses films, plus encore de faire soi même ses propres tirages, s’accorder la magie du laboratoire, ce temps qui court plus vite, plus fort, temps rouge, hors temps, refuge, chambre claire, un lieu d’enchantement et de perspicacité. Rien n’est donné, se rendre libre, s’accorder aux flux des images, à leur empreinte, à leurs dialogues, pépiements, musique, histoires des sensibilités, solarisations… Le temps du laboratoire est pour Thierry Valencin un second déclic.

Au delà des développements et des tirages, Thierry encadre parfaitement ses tirages, fait ses passe-partouts, ses marie-louises, commande en quantité les meilleurs cartons, afin de donner au collectionneur le meilleur de lui-même, sans triche, tranquillement. On l’a compris, l’homme sait tout faire, il y tient, artisan et artiste. De plus galeriste à ses heures, deux espaces qu’il anime et où il travaille, l’un à Arles, Galerie ISO, 3, rue du Palais a côté du Nord Pinus, L’autre cise au 46 rue Saint Sébastien, dans le 11 à Paris…

La liste s’allonge encore, Thierry Valencin conçoit, réalise ses propres livres, deux beaux ouvrages dont le très remarqué, Au bord de l’autre, préfacé par le philosophe, poète Éric Renaud…

Voilà l’occasion de découvrir son travail, et se laisser porter par ses images, in situ.

Thierry Valencin sera présent  en Arles pendant la semaine professionnelle et toute une partie de l’été, il expose à sa galerie l’oeil d’Iso, 3, rue du palais, Arles…

Je laisse à Baudelaire le soin de conclure sur cette phrase  sur qui sont les grands poètes: « … »  ils sont à la fois cause et effet, sujet et objet, magnétiseur et somnambule. »  Charles Baudelaire in Révélation Magnétique

Pascal Therme, Le 2 Juillet 2021

 

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https://www.thierryvalencin.com/

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