MANON RÉNIER DE PIERRE ET DE SANG
MANON RÉNIER expose de PIERRE ET DE SANG À LA GALERIE L77, Paris, Montmartre, un travail qui fait suite à Métamorphoses
De pierre et de Sang, actuellement à la galerie L77, parle du travail expérimental de Manon Renier, et de sa photographie en noir & blanc, Noir des abîmes, blanc du ciel, nuances des gris. Le corps nu de la photographe est au centre de l’attention, du regard, le lieu d’une mise en scène. Elle met à l’épreuve ce corps en pleine nature, comme pour en saisir la puissance d’évocation, établir la tension de sa séduction, sa confrontation aux pierres, au processus de l’unité. Ce travail plastique est au renouvellement de son sang, la preuve avérée de son existence.
L’image la plus dynamique poétiquement, me semble être celle de ce nu entre deux parois. Le corps s’y est inscrit au terme d’une reptation douloureuse, meurtri, pour occlure la faille, symboliquement, écrit-elle pour » Colmater les brèches du réel, faire phénix dans ses trous », faire feu des pierres et renaître dans cette assomption du Phénix, au sein d’un vide investi.
La dynamique du corps, jeune, beau, nerveux, saillant, sensible, mains tournées vers le ciel, longue ligne, flèche vivante, fait corps avec la roche brute. Une semblance de vol présente une énergie ascendante; densité légère, friable, délicate, épreuve de l’interstice et du manque, ce Nu s’impose victorieux au regard.
Se fondre aux pierres, renaître en Phénix du feu des pierres, l’éprouver pour colmater la brèche, faire sang, provoquer par l’ascèse de la contrainte, un retour au lien primordial du vivant, sont les intentions qui ouvrent ce voyage Intérieur. Un dialogue s’est imposé, plus, un échange de substances entre la fragilité, la sensibilité et la rugosité des surfaces, peau contre pierre, surfaces contre surfaces, travail d’un toucher qui prend tout le corps, sans qu’aucun visage ne vienne éclairer par son expression ou son regard, cette intimité aux frontières d’un voyage immobile.
Une expérience des limites par l’ ascèse introduit une forme d’auto-initiation, impose aux prises de vues ce fondre pour épouser, pour renaitre, pour Vivre. Telle pourrait être la légende innervée de cette image où le corps s’inscrit entre deux parois.
Tout un arc s’est tendu dont le claquement sec de la corde présente, dans une volonté de Vol aussi, d’arrachement, de ruptures et de continuités, de ligne parfaite, de liens tendus entre deux surfaces, deux mondes. Cette flèche semble voler à travers le temps silencieux de la roche vers le ciel, voyage immobile, dans une tension, par l’ objectivation des forces intérieures à l’épreuve des surfaces. Ce dialogue avec le temps immobile, ici matière, suppose que l’instance plasticienne se conjugue à une poétique du sublime, du pur, du parfait, à laquelle verse cette photographie pour en enregistrer la preuve, en en faisant constat.
Manon Rénier cherche la vibration première dans le rapport identitaire au miroir, celle qui peut inscrire le retour sur soi au commencement…
« Lentement les pierres deviennent et moi comme elles parmi elles. Je cherche, j’essaie un socle, une place, où je me creuse. Je me transforme, me conforme, me confirme, oser, s’oser, s’ecchymoser, tenir droit, bon, tête : presque je les appelle mes mets-toi-morphoses. Simuler, dissimuler, pour l’inverse : se fondre dans le décor. Apparaître. … »
Une tentative de conjugaison poétique a lieu par la mise en circulation de l’ antinomie des couples suivants: dur/tendre, dense/léger, solide/fragile, impérissable/périssable…. il s’agit, ici, des forces créatrices de la psyché en retour d’ un rituel imposant mort et renaissance dans une dialectique productive.
. « On me disait ainsi, enfance, adolescence, emmurée, armurée. Inertement là au monde, internement. Une statue en somme. .. » la réponse est ici, la preuve de ce qui a changé, s’est métamorphosé par le jeu d’une perfection du geste et du corps, sujets principaux de ce travail.
Cette photographie, faite d’incorporation, de déplacements, voire de sur-compensations, recueille dans ses amours telluriques, le chant des surfaces en relation, avec celui des profondeurs. Quelque chose de muet, d’inerte, habite cette photographie, assez sage, comme un reflet où l’écho, assombri, retenu, discret semble propager ce silence tendu de solitudes, dans une réfraction du visible, dans ce qui a noyé le langage, établi un fondement, pour s’accorder à la résiliante tension d’une « apocalypse » ( sens de révélation ) dans l’émergence d’une poésie de l’épreuve et de l’évènement.
Les tables ont été renversées, le corps est ce point focal du regard, qu’il s’attache à la terre, repliée sur lui même, tel un oeuf, qu’il semble être avalé par le lierre du jardin romantique, qu’il se fonde à la pente ciselée de la montagne magique, qu’il se love au plus près de lui même, sur fond de sable et de mer, comme au premier jour, qu’il s’étire par la nuit sylvestre, courbé comme un bois sacré, le corps nu est unité prodigue, lieu des mutations, génération d’une intimité nouvelle. Il reste intact dans le champ du visible, incorruptible, malgré les saillies, au faîte de son épanouissement, en cette solitude du temple où il semble resté l’objet d’une quête impassible; quête de ce sujet inavoué, au chevet de ses métamorphoses intérieures.
Ainsi, les vers dorés de Gérard de Nerval trouvent ici une correspondance motivée, dans cette adresse qui prévient et qui prévaut à toute entreprise voyant dans la Nature, la manifestation des lois du Sacré, inconnues et mystérieuses, comme un accord profond à trouver….pour de nouveau pouvoir s’enchanter et vivre plus haut, en corps et en esprit.
Vers dorés
« Crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie
A la matière même un verbe est attaché …
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !
Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! «
le 27 Octobre 2021 © Pascal Therme
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