A l’espace Dupon-Phidap, Patrick Tourneboeuf expose une série photographique liée à la commande du Centre des Monuments Nationaux sur la réfection du château de Voltaire à Ferney-Voltaire. Cette vaste demeure fait partie du programme de restauration à l’identique du lieu où Voltaire passa de nombreuses années à travailler et à vivre.
La scénographie de Margaux Smets met en scène un regard de l’intimité, à travers un système de « chicanes », comme si le « spectateur », l’hôte se déplaçait seul à la découverte et la rencontre des pièces du château. Le regard est devenu un fil invisible, s’éprenant des grands formats exposés, avec peu de recul, dans une déambulation rendue à cette solitude romantique des parcours singuliers, des correspondances secrètes et avouées. Les grands tirages ont acquis par cette présence du format le charme de passages secrets qui s’animent subrepticement dans cette proximité du rêve rendu tangible, douceur tactile de la lumière, présence des lieux, roman de l’invisible, présence fantomatique des ombres.
C’est dire la belle qualité de ces tirages grand format, comme d’immenses tableaux, dus tant au travail de post-production du photographe que celui du tireur, Pascal Seurin, (tirages sur lambda print pour les connaisseurs).
L’image est ainsi particulièrement présente, immersive, comme un grand miroir renvoyant ce regard habile à démultiplier la présence avouée de l’invisible, à proposer au promeneur solitaire que nous sommes devenus en une fraction de seconde, de passer le miroir, pour se promener le long de ces couloirs, s’assoir dans un fauteuil, se laisser aller à la présence du parc dont les arbres s’associent à la lumière entrante des fenêtres, et ressentir pleinement l’ambiance, se laisser aller au rêve du lieu; tendre l’oreille, se trouver, d’un coup, surpris par un parquet qui craque, le son d’un pas, d’une voix, d’une pendule qui sonne quatre heures et s’en trouver ravi. Le roman du lieu est tout à son sujet…tout à sa conquête….il est des conquêtes subtiles tandis qu’un charme agit au pli de la page, au pas du marcheur, au regard qui file.
Il est bien question ici, d’un ravissement et d’une séduction, de ces ailleurs indéchiffrables aux âmes sourdes, qui ne sentent pas la pulsation du génie du lieu, ces échos des conversations secrètes, ces soirées où Voltaire recevait beaucoup, ces journées où il écrivait davantage, large correspondance dont celle avec Rousseau, nombreuses œuvres comme son Dictionnaire Philosophique ou le Traité sur la Tolérance et ses tragédies qu’il faisait représenter en ce château. Le Roi-Voltaire menait une vie sociale intense, recevant l’élite de toute l’Europe, des lettres à Rousseau et de ces rapports avérés aux Lumières, de sa contribution aux Libertés de penser et d’être, cette philosophie qui fit le coeur de la Révolution française et qui inonde toujours de sa verdeur intellectuelle et contestataire tout état de l’oppression, de la froideur, de la contrainte, alors que s’affirmait idéalement la puissance des Lumières jusqu’aux Amériques et celles de la Révolution Française…..
Tout cela s’entend, se voit et se perçoit, de loin en loin dans cette exposition, dont le secret réside subtilement et secrètement dans l’entente et l’écoute, la lente émission du temps que la photographie de Patrick Tourneboeuf a su étreindre et restituer dans ses enchantements.
Qu’ils soient au premier chef le désir profond d’Anne Lesage et de Laurent Bergeot, respectivement responsable du pôle image et responsable du département des ressources documentaires du Centre des Monuments Nationaux ou de Jean François Camp, homme clé du dossier dans la réalisation de cette exposition, et bien entendu de Patrick Tourneboeuf, dont la sensibilité éclairée fait oeuvre ici, cette convergence de vues et cette entente donnent à voir partie de ce secret où se joue le procès du temps, tant dans ces marques faites au bâtiment que dans la restitution du charme toujours agissant, alors que nous sommes encore sur le chantier de réfection, plus encore, dans un entre deux, entre le passé à reconquérir et le présent d’un bâtiment qui retrouve ses ors.
N’est ce pas là en même temps une sorte de palimpseste, doublant l’agir du charme pour en être possiblement une cause également?
Est ce précisément pourquoi ces émanations de l’invisible sont elles particulièrement prégnantes, dans ce lieu au corps meurtri par les ans, donnant au photographe l’occasion de percevoir plus que de voir par cette réfection, un temps à part, plastique et psychologique, comme dans ce Fellini Roma où d’un coup, un mur s’effondre, apparait un décors de deux mille ans qui disparait irrémédiablement, laissant le spectateur cloué sur place par les mystères révélés et leurs présences, abolissant les siècles, dans un face à face confondant.
Je crois qu’au delà de leur romantisme profond, ces photographies donnent un document assez juste du travail du temps, de l’état de deux siècles de vieillissement,… est ce donc un hasard si le charme qui est apparu pendant le temps de ces visites quasi amoureuses entre l’esprit du lieu et le photographe, a permis à ces prétextes auguraux de faire oeuvre pleinement et témoignage en un même mouvement.
Une forme de recueillement est toujours inscrite aux plis des tentures, aux visages des peintures, dans les reflets de la lumière aux parquets flamboyants, quelque chose chavire de notre constance à vouloir établir ces temps dits modernes alors que notre perception entend et voit ces salons toujours rayonnants, emprunte ces couloirs traversants où se chuchotent toujours les secrets du temps, les intrigues, le jeu de l’amour et du hasard, dans un sentiment de liberté, dont le talent semble courir à travers cette confortable demeure, joyau futur, neuf de ses siècles.
Il fallait toute la sensibilité romantique de Patrick Tourneboeuf pour accomplir ce souhait, livrer cette amoureuse complicité de l’esprit du siècle et des lieux qui l’ont porté, afin de sentir charnellement la possibilité de ces présences amies plus que des fantômes, complices de nos propres imperfections en un roman possible et toujours actuel, espérant renouer avec cette vitalité à laquelle la langue française et l’esprit des Lumières ont confié leurs trésors…. et qui pérégrinent toujours à l’oeuvre.
Patrick Touneboeuf a participé à la fondation du collectif de photographes Tendance Floue au début des années 90. Une série de commandes publiques (Grand Palais, château de Versailles, musée Rodin…) déclenche chez ce fils d’antiquaire le désir de rassembler son travail en une narration – pour ne pas dire en une collection – sur l’histoire et le patrimoine. La commande initiée au château de Voltaire par le Centre des monuments nationaux s’inscrit dans ce parcours.
Patrick Tourneboeuf est né en 1966 et vit à Paris.
Il est représenté par la galerie Mélanie Rio à Nantes.
Il est membre du collectif « Tendance Floue » réputé pour être depuis 1991 le laboratoire le plus actif d’expériences photographiques communes.
2018 – Festival de la Gacilly.
0 Comments