Il est nécessaire toujours de revenir à Alain Keler, un jour puis un autre, à ce photographe tout en humilité, actuellement membre du collectf MYOP. Alain revient souvent à travers ses archives à une forme de journalisme nomade, faisant paraître sur les réseaux sociaux chaque jour, dira t-on pour partage, sa mémoire photographique et l’occasion pour ses lecteurs de se joindre à lui, de partager ces temps devenus quelques peu mythologiques.
Juste pour dire comment c’était justement à ce moment là, afin de déconstruire le mythe du reporter et d’ancrer son travail dans une écriture du réel à la Kerouac, s’abandonner à l’impulsion immédiate de l’instant et faire photographie de cette apparente banalité qui fait aujourd’hui histoire et document, sans jamais abandonner l’essence de ce qui fonde ce regard pertinent, le sentiment de faire partie du monde et d’être en relations profondes avec lui, pour exprimer le quotidien, non pas dans une vision sensationnelle, artificielle, mais journalière dans son appartenance au réel et au quotidien.
Alain Keler, un jour puis un autre, propose une promenade du regard sur ce qui a frappé son regard, requis sa curiosité, répondu à une question secrète, Alain Keler s’attache aux gens, à leur corps, à leur présence, à leur énigme, qui sont-ils après tout, ces américains qu’il croise sur Broadway, dans le métro, à Washington Square…. et sa photographie faite de noirs et de blancs susurre en maints des points ces références à Winogrand et Robert Franck, pour le moins …

©Alain Keler, Journal d’un photographe / New York toujours / La photographie est une chorégraphiNew York 1972
« Un samedi, jour de manifestation. Je n’ai pas de date plus précise. C’est du côté de la mairie, City Hall, où de Washington Square, ou bien entre les deux. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Je marchais, j’ai fait une seule photo de la scène, comme effrayé que le dormeur ne se réveille et me tombe dessus, ou alors je ne voulais pas le déranger. Je pense que c’est plutôt la deuxième explication. Mais tout cela se complique au développement du film, dans mon petit appartement de West 10th street. J’avais acheté une cuve inox de développement à spirales. Je suis certain de l’avoir encore, cachée quelque part dans la mémoire de mes voyages. Pour développer les films, il faut avoir le coup de poignet. On enroule le négatif dans la spirale, on ferme la cuve, puis on verse le révélateur. Mais ce n’est pas si simple que cela, il faut faire danser la cuve de bas en haut, de gauche à droite et avec douceur, voire tendresse, pour que le révélateur arrose d’une manière égale toute la surface du négatif. C’est un véritable ballet et je n’avais pas encore la manière, cela demande de l’entrainement. Le négatif n’a pas été très bien développé, mais il a survécu au temps, et ce n’est déjà pas si mal.
La photographie est une chorégraphie, de la première minute où l’on tourne autour de sa proie, jusqu’au moment ou on lui redonne une vie qui sera éternelle. Si le film est bien développé » Alain Keler
Il y a toujours intérêt à lire journal d’un photographe, au delà des photographies, des images, celle ci autant qu’une autre, un dormeur du Val en quelque sorte moderne , c’est à dire new yorkais de 1972, avec tout le « décors », car Alain est avant tout quelqu’un qui raconte, qui nourrit, qui rend compte avec toute sa sensibilité, immédiate; il engouffre le réel, tel un marcheur qui avale la route, autant que la route l’avale, jeu de séductions de ce que son oeil déclive, isole, remarque, détache de la réalité environnante, et s’y condense légèrement, une poétique de l’instantanéité et de la totalité de la signifiance fait ainsi oeuvre en un clic, parce que tout est déjà là et que le promeneur solitaire fait moisson de champignons ou de pierres qu’il ramasse au passage, pour notre plus grande satisfaction…. mais ce qui également poétise, (ce poien, ce faire, en grec ancien poien=faire=poétique=articulation=essentialité) passe par la nuit du laboratoire, par ces mains qui donne au toucher du film pour l’enrouler sur les spires sans qu’il se colle en l’enroulant, et donc colle le film, une sorte de vue du toucher qui caresse, qui enroule la mémoire du film et la développe dans ces sels d’argent insolés, comme hier les alchimistes se réservaient dans l’athanor, pour spiritualiser la matière et l’accomplir vers l’or. Il y a une correspondance entre l’humanité, l’humanisme du photographe, sa poétique de promeneur solitaire, et ce travail au noir, dans l’inversion complémentaire de jour, la nuit, pour faire briller l’or du temps, ici, un temps à la Kerouac, un temps arrêté par le corps au repos sur le capot de la voiture, 72, New-York, down-town, du côté de washington square, soleil, une photographie ample, immédiate, qui raconte…. toujours très connexe à ce que nous sommes aujourd’hui, comme un rappel éphémère et rimbaldien dans le relevé de ce regard allusif et ouvert…. sur le voyage, les voyages et leurs correspondances.

Une journée à Washington
Dimanche 20 janvier 1973.
Jour de l’investiture de Richard Nixon pour son deuxième mandat à la présidence des États-Unis.
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