Humana semper humana ou alien malgré soi par Céline Paul
« La série « H u m a n a » est réalisée avec ces technologies, dont l’AI, j’utilise des générateurs plus rares pour avoir un rendu unique. J’essaie de mettre de l’émotion, du sensuel, de la vie en usant de tous nouveaux outils, l’AI est en perpétuel apprentissage d’elle-même. Par ces créations je joue avec les limites des notions qui semblent dichotomiques comme le naturel et le virtuel sorte de contre-pied aux climax générés par l’humain. Je joue également sur l’ambiguïté entre l’immersion et la distance critique, le moi, le surmoi et le ce n’est pas moi en essayant de tordre tout un paradigme en une alchemia uchronique pour rappeler les risques de la dystopie. »
Une charge critique et politique anime sa démarche, Céline Paul déclare à ce sujet : »L’actualité morose actuelles nous donne raison quant à pencher vers des utopies positives pour faire avancer le monde réel et contrer un environnement extrême vers lequel certains essaient de nous faire glisser. Utiliser des outils comme des AI alternatives , c’est comme un retour à l’envoyeur, une mise en abîme d’un effet miroir. »
CÉLINE PAUL est une photographe plasticienne dont le travail actuel utilise l IA; c’est, à mon sens, un autre miroir de soi qui est évoqué, grâce à l’IA et à une interprétation du mythe de Narcisse dans la version de Pausanias. Narcisse, ayant perdu sa soeur ne cesse de la retrouver et de la perdre, dans son propre reflet, dès lors qu’il se regarde dans les eaux claires d’une source…qui voit-il, que voit-il…au juste, est-il en mesure de s’extraire de ce Fascinum, de cette fascination?
Qu’en est-il de ce travail plastique de Céline Paul, du côté féminin, est-il raisonnable de fonder une interprétation de cette pratique sur l’interrogation de cette fuite en avant et de sa puissance troublante, sachant que l’espace de réception de l’I-mage est avant tout compris par un large public dans un trouble, Réel/Virtuel, Faux/ Vrai, Séduction/ Mystification, et de sa question où sommes nous, humains, dans cet univers, le sommes nous toujours, le miroir ment-il, est-ce une dérive, un jeu pervers, une falsification, un faux-semblant, l’épreuve du masque, du mensonge, ou celle de la vérité?
Faut-il, ici, retrouver cette sexualisation irrationnelle et irréductible qui sera exploitée par les écrivains et les artistes plastiques; à telle enseigne que l’on retrouverait ici la révélation de la sexualité en tant que Transcendance et Mystère, dans un retour inopiné du Sacré, fondant l’engagement de l’artiste contre la censure du corps féminin réifié, dans un interdit, issu de la censure puritaine (pour ex la politique de FaceBook sur le corps nu).
Dans cette production des images de Dos, ces dos à dos explique Céline Paul en ces termes: » Fort de ce constat ces corpus de dos veulent littéralement dire « Tourner le dos à »… »
Le travail de Celine Paul en produisant une I-Mage de dos de ces corps féminin très érotiques, mis en scène, générés par l’IA sur la base de mots clés, semblerait, in fine, évoquer ce mythe de Narcisse dans la version de Pausanias, dans son principe créatif, autour du changement de paradigme et de questionnements de l’identité, pour savoir ce que devient l’image conceptuellement artificielle dans cette question: que cherche t-elle à montrer sinon une actualisation de sa mise en scène, pour évoquer son propre codage, faisant référence à un hors monde virtuel, faire se joindre deux schèmes assez distincts culturellement, ici, rendus connexes, la fabrication d’une image qui dépasse son propre conditionnement par un je ne sais quoi de hasard et de bizarre (ah! décidément les contes philosophiques de le fin du 18 ième et l’imaginaire de l’autrice) pour identifier son texte, son chiffrage, sa fabrication à sa double nature profane et virtuelle, imaginante et sacrée. Il s’agit d’un retour de l’image sur elle même dans une fabrication parfaite, dans une illusion majeure.
A quel renvoi imaginaire de cette crise de l’identité actuelle, ce travail constiturait-il un analeptique, un remède, une pratique chamanique, une production artistique, qui articulerait tous les plans de l’image, de l’imaginaire, de la technologie, du mythe, de la culture personnelle dans sa sensibilité en tant que matrice de l’image fabriquée, de ses codes, de son statut, provocation, séduction, illustration, image artificielle…?
Le décors est un désert rouge, au couchant, le feu solaire semble brulé littéralement l’image, j’interprète la présence de dos du personnage comme l’évocation de Pallas Athéna, comme dans un retour au mythe et à l’émergence des présences défuntes à l’Homme… (histoire des religions, de la tradition classique à la mort de Dieu). Cette jeune et belle femme est ici en Témoin, après et avant la bataille, au secret du temps, est-ce, au delà, de mon interprétation une chimère revendiquée comme telle?La Chimère est généralement considérée comme étant de sexe féminin, malgré la crinière qui orne sa tête de lion sur les représentations. Voir la Chimère était présage de tempêtes, de naufrages et de catastrophes naturelles, notamment volcaniques.
Dans sa fabrication, ce travail ne cesse de s assumer comme une mise en scène, convoquant ce corps comme le matériau d’une identité nouvelle, trans-historique, mythologique, dans son pouvoir de fascination, dans son au-delà également…en tant qu’image, en tant que citation, en tant que mythe, en tant que personnage, dans une iconographie bien précise, jouant autant avec le cinéma que la bande dessinée, le manga.
Céline Paul déclare à ce sujet: « À travers ces images je fais référence à la peinture classique mais aussi à la mythologie, à la culture Sci-Fi, au manga, ces entités féminines sont à la fois fortes et fragiles, elles invitent entre autre à se poser la question du devenir de ces créations de l’humain que sont les réseaux sociaux et les AI, se retourneront-elles contre leur créateur ? Et l’enveloppe humaine ce territoire sur lequel les fluides tracent des réseaux devra-t-elle s’adapter aux diktats d’une entité qui prendrait la main en appliquant du « body shaming » à outrance ?
Une capacité à interpréter, dans cette prolongation imaginaire assez plastique, le jeu d autres figures, d autres instances, vient contaminer , vampiriser l image première, la commuter pour que la présence s affirme et s accomplisse dans un nouveau paradigme plus Art Contemporain. Les références « classiques « ne jouent plus exclusivement comme référents d un monde qui a profondément changé dans l usage des images composites (IA) mais dérivent de cette nouvelle technicité sans pour autant être uniquement le résultat d un processus technique…. autre chose est en jeu, à la fois la capacité critique de renvoyer dos à dos le système et son processus crypto-chimique, sauf que la chimie est ici une interface composite à travers l’IA, convoquant une sorte de fusion artificielle entre plusieurs données, corps féminin, sans que celui-ci puisse être identifié, identitaire.
La réponse au mythe de Narcisse se trouve sans doute dans cette fuite des limites de la conscience et de la sensibilité soudées dans un corps féminin qui n’est plus supporté par une identité; a fortiori celui de Céline Paul, qui, par pur hasard ou par conection sur-réalisante connait une semblance avec cette création virtuelle, d’où se pose cette question comme un épiphénomène identitaire. le retour de cette production interroge la part de hasard qui circule sur la toile et qui trouve une parenté, une analogie avec le corps de la photographe….Corpus Christi…. troublant, non? Tout un imaginaire plus fantastique, plus héroïque , voire plus BD ( heroic fantaisy) y circule, mais dans une proportion dérivée d’une interprétation des mythes littéraires et romantiques…….
Cette contamination a enrichi l’image produite dans sa symbolique, puisqu’elle a commuté le lien qui la désignait en tant que artefact actuel, en lui rendant son statut « mythologique » ou, également, du point de vue de la ré-activation de ces présences immanentes, ici visibles, au constat des fins du monde, déesses tutélaires, trop longtemps absentes et de cette théogonie très classique, dans un renouveau du genre, (les super héroïnes des films américains), comme un retour de Cy Twombly dans son exposition au Centre Pompidou en 2017, où les noms de Apollo, Venus s’inscrivaient dans le bleu et le rouge de la matière picturale des tableaux.
En d’autres mots faut-il percevoir (perce-voir) son travail comme la résurgence actuelle d’une néo-mythologie réactualisée à la fantasmagorie de l’époque, (un autre Belphégor, Baal-Phégor, ancienne déesse de la fécondité chez les Moabites) ), plus prosaïquement y situer un retour du refoulé à ce qui la fonde en profondeur, de l’époque où les Mythes étaient les seules sources de connaissance et de la pré- tension des Mystères dans cette culture gréco-latine aux sources de nos humanités…
Pour ma part, j’aime ce glissement sensible qui anime l’image et la fait voyager comme une missive…mais de quel message est elle au juste porteuse en (ré)-action à l’imminence d’une fin des temps…?
Céline Paul répond assez précisément: « Ma série « H u m a n a » est aussi la résultante d’un constat navrant, nous humain avons créé des outils servant à ostraciser notre corps, notamment celui de la femme. En effet sur les réseaux sociaux le bout des seins féminins sont systématiquement réprimandés, effacés, cachés dû à « l’hypersexualisation » de ces derniers. J’ai d’ailleurs une autre série d’images beaucoup plus expérimentales à ce propos nommée « T r a n s c o r p s ».Fort de ce constat ces corpus de dos veulent littéralement dire « Tourner le dos à », cette posture est égale à celle du spectateur et fait de ces entités des témoins observant l’avant, le pendant et l’après d’un événement donné. Ce qui engendre une question qui nous concerne toutes et tous, sommes-nous spectateurs, témoins, acteurs ? »
Pascal Therme , le 10 Juin 2024
Qui est Céline Paul – Éléments biographiques:
« Artiste plasticienne pluridisciplinaire née le 11 juin 1970 à Caen. Après être diplômée d’Olivier de Serres et formée en DSAA mode et environnement à Duperré, j’intègre l’ENSBA, Yves Michaud en était directeur. Il avait créé un pôle numérique au sein de l’école largement boudé par les académiques. Je voulais défendre ce médium que je considérais comme un outil de plus au même titre que le dessin, la peinture, la photo etc…
J’ai défendu ce point de vue au sein de l’atelier de Lesly Hamilton, qui a elle-même œuvré pour la photographie dans l’école ainsi que lors de mon passage dans l’atelier de Krzysztof Wodiczko dont je garderais l’adage cyberpunk de William Gibson « alien malgré soi », mon œuvre en restera largement imprégnée. J’ai également été collaboratrice de Jean-Luc Vilmouth. Je suis la première française a être acceptée au SMFA de Boston avec le programme d’échange international de l’école.
En tant que graphiste, j’étais omniprésente dans les années 90, réalisant une cinquantaine de pochettes de disques pour des labels prestigieux de la scène des nouvelles musiques électroniques.
Tout cela forme le socle de mes recherches et de mes expérimentations plastiques convoquant ainsi un manifeste sur le questionnement des liaisons entres la technologie et l’humain ainsi que l’influence de l’environnement numérique sur notre perception du monde. »
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