Sarah Moon, Passé Présent au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Première partie
« Vous avez dit Chronologie? Je n ai pas de repères; mes jalons ne sont ni des jours, ni des mois, ni des années. Ce sont des avant et des après… C est à la fois pour m approcher et m échapper de la réalité qu’ instinctivement j ai regardé à travers l objectif d un appareil photographique… »
Le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris donne ici une magnifique et large exposition des photographies de Sarah Moon, dans un hommage certain, où la photographe semble avoir choisi, par le titre déjà, Passé Présent, un dialogue entre toutes les oeuvres, filmiques, photographiques, – noir et blanc, couleur- , livres, citations choisies, bandes son qui habitent véritablement l’espace du musée en lui donnant cette couleur de l’intimité rêvée, de sa permanence poreuse et aléatoire, hors de toute chronologie.
« Je reconnais en même temps que je découvre…Ce qui a pu être et n est plus à la seconde même où j ai déclenché. On dit que la photo c est la mort, pour moi, c est l instant retrouve… » Sarah Moon
Ce sont des voies qui se cherchent et se trouvent, se répondent, s’entre-choquent en même temps, dans un dialogue où la multiplicité échappe à toute typologie, dans un temps ouvert sur lui même, sorte de méta-film de la psyché de Sarah Moon, temps du présent éternel de toute photographie aussi. Ici, son cinéma prolonge toute l’œuvre photographiée et renvoie l’époque aux contes cruels, Circuss (2002), le Fil Rouge ( 2005), Le Petit Chaperon noir (2010), L’Effraie (2004), Ou va le blanc… (2013). Une salle entière est dédiée à son compagnon de vie, Robert Delpire, récemment disparu, « restituant en partie les archives de ce grand passeur de la Photographie, personnage phare de l’histoire culturelle française, à travers livres, affiches, films. » est-il écrit sobrement dans la présentation de l’exposition. Celui-ci fut le compagnon fidèle durant presque un demi-siècle.
Sarah Moon expose ici un grand nombre de tirages, dont beaucoup de noir et blanc et de grands formats en couleur, de ceux qui ont fait sa renommée, tout son travail sur la mode que l’on retrouve avec bonheur, fêtes galantes, émission du rêve poudré et fantasque, masque et bergamasque, ses collaborations avec de grandes maisons, Cacharel, inoubliable, Yohji Yamamoto, femme enfant issue d’un autre temps, au corps paré, long manteau, silhouettes graphiques, ajoutant une part au rêve d’ensemble qui croise ici les époques, les sujets.
» A chacun son sablier pour en finir avec le sablier. Continue à ruisseler dans l aveuglement. » René Char. Ce bleu n est pas le nôtre. Aromates chasseurs 1972-1975
Cette photographie, très attentionnée, précise, tient le temps sur cette frange subtile du mot à peine murmuré, comme un temps retrouvé. une sorte de confidence, de murmure s’en échappe, rapprochant ces grands oiseaux aux plumages soyeux, parure sensuelle, idéale, à ces jeunes femmes habillées de soies, de laines, manteaux à la coupe stylée, refuges graphiques contre l’hiver, rêve dans le rêve.
« Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur… » Kafka notes et souvenir 1952 propos rapporté par Gustav Janouch.
L’exposition est immense et magique, elle induit de nombreuses correspondances, Baudelaire, Nerval, Mallarmé, à chacun de construire son exposition idéale, tant les incitations au dialogue intérieur fusent, et de trouver les clefs de ces secrets qui habillent le temps. C’est sans doute la part créative laissée à chacun, autour des correspondances secrètes, les films projetés en réserve dans de petits cinéma, sont ceux des contes cruels, ceux-ci supposent une autre attention, plus littéraire et plus mémorielle, plus aigüe, car plus crue afin de voir l’autre face de la réalité, telle qu’elle est…. Le rouge semble ici, la couleur du sang, inédite, un chaperon noir, celle du deuil.
ll faut avoir à l’oreille la voix de Sarah Moon, ténébreuse, profonde, hantée, pour accorder son âme à ses photographies en noir et blanc et en couleur, pour revoir ses films et se glisser dans ce monde habité d’enfances, manteaux d’automne doublés d’un monde perdu et retrouvé, sensibilité du grain, des formes et des cadrages parfaits, qui pépient ici l’intense présence de ce qui est énergie et temps, de ce qui témoigne au delà ou au dedans du visible, de ce qui relève la nuit dans le jour et le jour dans la nuit, au sommet et au déclin de l’ombre qui se projète dans l’anima. Une lune éclaire, selon son cycle, la vaste nuit, sa lumière d’argent fait sourdre l’intangible, ici et là, met en scène ces ombres dont l’éclat se fait chant royal, parce qu’accompli, amorçant en retour des perfections idéales aux plans du miroir, une sorte de secret tu, message subliminal pour soustraire ce non dit et le porter, anobli, hors du champ du vécu.
Pascal Therme, 10 Octobre 2020.
Sarah Moon – Passé Présent -> 10/01/2021
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris 11, avenue du Président Wilson 75016 Paris
https://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-sarah-moon
https://www.galloismontbrunfabiani.fr/photographer/sarah-moon/
https://www.youtube.com/watch?v=VwHWs_BOIf4
https://www.youtube.com/watch?v=99HozooRRfk
https://pascaltherme.com/sarah-moon/
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