Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs » de Didier Ben Loulou, Arnaud Bizalion Édition

« Qu’est ce qu’une âme perdue? C’est une âme égarée de la vraie route et qui cherche à tâtons dans l’obscurité des chemins de la mémoire » Malcolm Lowry, sous le volcan.

 Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs

« Je peux rester des heures à ne rien faire, un goût poivré de cardamome dans la bouche, à attendre seulement que les choses infusent en moi….J’essaie juste de rester totalement présent à moi même, au plus proche de ce point de gravité intérieur, à attendre que les images se révèlent une à une et me submergent, m’insufflent leur vérité et m’autorisent enfin à aller les chercher et les retrouver, une à une. » 

Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs  pourrait être déjà, une topologie de Jérusalem, un rétablissement de la paix unitaire, tant celle ci est présente au coeur du photographe en établissant un territoire de l’intimité rêvée, point central d’une démarche , qui va le mener tout autour des rivages méditerranéens, en quête des corps sensibles, de l’esprit et de la lettre, des cultures dont le point d’irradiation vient de la cité mère, ce que mesurent les trente cinq ans de Israël Eigthies,  récemment paru aux Éditions la Table Ronde,  jusqu’aux travaux plus récents.

Voici, sous une forme discontinue, le journal des voyages de Didier Ben Loulou, sensations et commentaires, un « je » parle, juste et vrai, de ce qui advient, traverse, irrite, enthousiasme, pose question, blesse, révolte, sans hiérarchisation… Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs  rend compte d’un état d’être suspendu entre différents territoires, l’autre et soi, exils et migrations, dialogue entre visible et invisible, mémoires et souvenance…propos sur le politique, le religieux, la fragilité de l’instant et le flux du temps, le déplacement des horizons par le voyage, et surtout tout ce que note Didier de son processus de production et de l’importante chronique de la psychologie du photographiant, qu’elle se situe de ce côté si du réel, du visible, ou qu’elle introduise la dimension intérieure cachée, discrète et active.

Un processus a été identifié au départ et reste inchangé, Didier Ben Loulou utilise le même boitier, la même optique, un 80mm, la même vitesse le 250 ème de seconde et la même profondeur de champ, la même émulsion, ne re-cadre jamais ses images, a gardé le même tireur,  processus de production identifié clairement et immuable.

Par Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs, le photographe cherche à voir déjà en lui, à prendre conscience de ce qui s’établit par son regard, et tout son corps, dirait-on, est photographiant. C’est souvent, après de longues marches épuisantes que se profile la prise de vues, est-ce un hasard, ou le photographe a t il besoin de cet épuisement pour être pleinement en son regard, en relations avec le monde, recevoir, voir, accepter. Il doit sentir au plus prêt la vie battre plus fort dans une augmentation de la présence. L’acte photographique assume la diaspora du champ de l’intime et refonde l’identité au creux de ce secret, c’est un noème. Il observe certains visages , les photographie: » Je les sens parfois si proches de moi au moment où je les photographie que cette proximité devient pur toucher….Au fond j’avance comme un aveugle pour qui l’image est avant tout une cosa mentale. »

Tout photographe aurait raison de s’emparer de Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs , tant l’écriture se noue à ce mystère, le commente, apporte de nombreuses réflexions poétiques et circonstancielles, « relevées contre la nuit » par la force des convictions, l’érection d’une parole libre, un à propos constant pour fixer le flux du temps et s’émouvoir de la présence des lieux, des corps et des scènes de vie. Le livre rend compte d’un combat entre l’obscurité, la disparition d’un sens du monde dans un pays en guerre- tout est voué à disparaître, à l’ensevelissement- et l’enracinement dans un présent qui s’établit, lumineux contre la nuit et la mort.

En quoi sommes nous voyants au travers de nos cécités et qui voit quoi, qui parle, du désir et du temps, de l’événement de l’écriture photographique et de ses aventures heureuses, quand la vie est enfin couchée, simple et harmonieuse sur le papier d’argent, établie plus clairement par le tirage Fresson? On le constate, le photographe se double d’un écrivain, qui s’attache à la langue, aux mots, dans un style surprenant d’intensités et de clartés. Didier Ben Loulou est aussi homme de culture et de lettres, homme de l’être, sachant passionner ses lecteurs. « je pense de plus en plus que les mots, la parole, les textes ont davantage à nous apprendre que les images » et il ne cesse de le prouver tout au long de ces trois cent cinquante pages.

Pour ce qui est des photographies de Didier Ben Loulou, leur simplicité apparente me semble évidente, preuves tangibles de ce qui se dit de lui, en creux; l’image renvoie constamment sur un plan moral à l’éthique et à la pensée judaïque;  son travail introduit une réflexion centrale qui  affleure fout au long du texte: une quête de l’Invisible Présence, qu’elle se trouve dans la grâce du présent, un événement  ou s’organise à travers une lente approche de l’éphémère et de l’immémorial, à travers la Lumière physique et spirituelle.. Mais plus que cela c’est un document essentiel, de l’intérieur d’Israël, sur l’histoire d’Israel depuis plus de trente ans et une dénonciation constante de l’état de guerre en servant la Vie. Didier Ben Loulou cherche à réparer cette réalité funeste en réintroduisant par sa photographie, le temps de quelques secondes, des scènes simples, donnant un autre visage au réel, renouant avec la lumière ancestrale physique et spirituelle, pour servir cette vie malmenée par l’ Histoire. Jérusalem reste le point nodal de la double émission de l’écrivain photographe, ville dont le nom signifie paix et unité, unité de la paix.

« Mes photographies ont pris la forme de la ville, de mes rêves nocturnes, d’un livre ouvert comme un songe. Images qui me guérissent de ce saut dans la nuit. »

Ceci engage  son témoignage, sa vie entière. Le livre est un miroir brisé, aux milles morceaux, aux dix mille nuits et autant de jours, discontinu. Il écrit : « Ma photographie doit participer de ce mouvement pulsatif, du flux multiple et éternellement changeant de la vie, dynamique, séquentiel, fluctuant, lié au hasard, à la rencontre, au recommencement, au renouveau permanent. » bref  c’est la description d’un « faire », qui libère par l’écriture (littéraire et photographique) l’être, d’où, ce sentiment d’un espace mental créé entre cette main droite et cette main gauche…:  « Rappelle toi qu’avec la main droite tu donnes, et qu’avec la main gauche tu reçois », parabole établie, le flux de la vie passant de l’une à l’autre, entre don du ciel et création, entre intuition de la Transcendance et vertu de l’Immanence, le témoignage s’enracine dans ce Sacré en établissant l’acte photographique comme Vision  du monde. D’ou vient cette volonté de photographier? La réponse est à Jaffa: » J’ai marché de Jaffa de 1983 à 1989; …j’ai photographié ce territoire pour sauver de l’oubli quelques traces, quelques signes, quelques vestiges, comme des échos lointains d’un monde disparu… j’ai essayé de montrer ce qui fut englouti, de rendre sensible l’absence: ce fameux »bien des absents » »

Quand le photographe s’empare des collines de Jérusalem, s’évoque une part de cette résonance; se définit tout un espace mental, lié à une propagation du Sacré, un espace fécond de révélations personnelles faisant penser, parfois à la sensation d’une épiphanie. ( joie due à la compréhension soudaine de l’essence de quelque chose). Lui aussi est à ce moment la paix de l’un, Jérusalem.

  « J’aime quand tout est enfin à portée de main. » « Tout est illusion. Il n’y a rien de véritablement objectif… » « Avant de photographier, oublier tout ce que je sais, ne plus rien voir,ne plus rien savoir,tout oublier. »

A travers Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs  livre de trois cent cinquante pages, Didier Ben Loulou  décrit une liberté au travail. Il y a le principe qui fonde l’écriture et plus périphérique, tout ce qu’elle engendre. Nombre de propos sont ici une critique des religieux quand les hommes préfèrent s’inféoder aux dogmes, édictent les interdits, deviennent l’intolérance même, la violence, le meurtre, se coulent alors dans la nuit de l’âme. Témoin de cet oeil intérieur : une silhouette s’enfonçant dans un cimetière, un paysage, tout sujet élu, se commuant dans l’impression d’envol, « se dressant contre la nuit » écrit il . « Photographier doit être une brulure, un étonnement, jamais un calcul. » . Noter, écrire, photographier ne peuvent se faire sans « sentir la vie.., me sentir totalement libre d’esprit », « Seule l’essence des choses m’intéresse. »

Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs condense une entreprise assez sensible et forcément onirique… Ne faut il pas  déplacer le réel et se situer en soi, du côté du rêve, dans « l’oneiron », vision dans le sommeil, quand, tout alentour exhale ce parfum des fleurs disparues, embaumant l’air et que, conséquemment, le corps sensible en est « touché »; le paysage vibre dans l’invisibilité de ses préséances enchanteresses. Il y a là  une épiphanie, porteuse de l’émotion « mystique » du photographe, inscrite dans ce travail sur la lettre. Didier Ben Loulou en touche les bords , en situe le centre, en partage le topos, en montre l’énergie, en constitue le chant…et pour une part importante cette photographie se fait aussi contre la réalité négative du monde, pour témoigner de l’insondable mystère d’un peuple, aujourd’hui, pressé, contraint, dépossédé pour partie, de ce chant ancestral, de cette lumière créatrice, agi par l’argent, le pouvoir, la guerre, les dogmes, tous fossoyeurs de la liberté et de l’intelligence. Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs donne à entendre cette protestation, ce cri, cet appel à la raison, car sans doute les messages qui s’inscrivent dans la photographie de Didier Ben Loulou, montrent cette part vivante et heureuse de la vraie vie en esprit et dans la chair, dans cette lumière dorée des Sud, quand les valeurs humanistes ne sont pas bafouées par l’abominable sommeil des âmes et la fermeture des esprits. Ce combat est aussi un combat contre le silence assourdissant de la mort, sans doute, est ce pourquoi Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs en retourne l’amertume, parle souvent des vrais cimetières, lieux de paix et de mémoire, de recueillements, reposants, dans la paix éternelle du silence, ouverts sous le ciel à l’étrange présence de la Lettre prise dans la Pierre, après le sang, les cris, la souffrance devant le Mal. Il arrive que ce combat exténue le photographe, le vide de toute énergie. Un point de rupture est atteint. Il fait son bagage et repart.

En remontant vers le Nord de la méditerranée, quand le photographe s’éteint au contact de cette dimension noire,  s’étendent de nouveaux territoires où sa peine décroit, son espérance s’éprend à nouveau des hommes. Forcément humaniste, l’artiste poursuit son chemin, provoque le réel, renait à travers la lumière méditerranéenne, élément constant physiquement et constitutif de la Vision, car, qui mieux que celui qui écrit avec la lumière, peut prétendre à la vivre essentiellement, la sentir, la transcrire, la transmettre, la célébrer, la donner à voir, dans une apologie discrète et vibrante; voici ce qu’il écrit  » Se remplir de silence. Chercher des visions ailleurs, et malgré tout tenir à soi »,  « Partout cette lumière qui m’entoure, jusqu’à s’introduire en moi. Non pas marcher sur l’eau… mais sur la lumière » et «  »il me faut le poids du réel et la déchirure sur l’invisible, voilà mon royaume. »

Une problématique liée à une conscience Solaire, recompose l’homme, au bout de l’Absurde : « Photographier, c’est d’abord une expérience de la jouissance: dire oui à l’instant présent tout en s’abandonnant totalement à la vie, y adhérer sans condition, par petites touches, en images. Même au coeur de la douleur, je ne peux jamais oublier que je dois vivre intensément afin que mes images émergent singulièrement des choses les plus ordinaires jusqu’à dire ce vivre à hauteur de  mort. »  Ce travail autour de la Méditerranée, au delà du rapport de séduction et d’appartenance que le photographe évoque dans la vie de ces cités solaires, cherche à établir en quoi le souffle premier des trois religions, vit à travers les rues, les êtres, les villes et se dévoile par les traces émouvantes du lien aux origines…. Ce qui séduit, transporte , est au fond le reliquat de ce chant aux fondements de nos civilisations et leurs apparitions-disparitions hors et dans le religieux, autant écrire consciemment ou inconsciemment, visible ou invisible, trois niveaux du sens résidant dans cette contamination des corps, des paysages, des regards comme de tout signe évocateur. « le vent agitant les feuilles délivre la lumière cachée dans l’arbre. » conclut le livre, loin de la mort.

©PascalTherme/2017  publié

dans MOWWGLI du 16 Février 2017   http://mowwgli.com/8990/2017/02/16/chroniques-de-jerusalem-dailleurs-de-didier-ben-loulou-aux-editions-arnaud-bizalion/

/http://www.didierbenloulou.com/

http://www.arnaudbizalion.fr/fr/6-photographie

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