Again and Again, Stéphane Duroy au BAL

Again & Again.

Partie II Unknown

Cette exposition présente deux périodes du photographe, Stéphane Duroy. De magnifiques photographies documentent l’Europe du Silence sur quarante ans au rez de chaussée, en sous sol, dans la grande salle, le photographe se mue en plasticien, re-visitant son travail sur l’image, pour composer sous forme d’assemblages, de collages, les pages d’un livre infini, qui ne cesse de se dérober tout en s’étoffant. Unknown 2. De grands tirages, accrochés aux murs ainsi que des citations emblématiques renforcent ce dispositif. Diane Dufour directrice du Bal, Fannie Escoulen, commissaire de l’exposition, Cyril Delhomme, scénographe ont travaillé à faire d’ Again & Again une exposition importante. Neuf livres ont été publiés aux éditions filigranes sous l’oeil attentif de Patrick Le Bescont et renforcent la documentation de l’oeuvre photographique présentée.

2/ Unknown

« … Depuis l’émigré qui avait dû fuir sa patrie, n’emportant guère que sa vie avec lui, et qui, néanmoins, refusait d’accepter la défaite… » William Faulkner

La grande salle en sous sol ouvre sur un tout autre ciel. introduit une actualité. Cette partie de l’exposition, dont le thème central est l’Exil de millions d’européens vers les États Unis, attirés par une promesse et cueillis par la paupérisation,  l’oubli, se compose de grands formats taggés, devenus matière intrinsèque d’une aventure plus plastique, recouvrant les murs du Bal comme une seconde peau et les pages recomposées, originales, extraites d’Unknown, exposées sous vitrines.

« Nous, les Européens, avons construit le rêve américain, cette illusion monumentale à laquelle chacun de nous fait semblant de croire. » Stéphane Duroy

Stéphane Duroy a suivi les traces de ces immigrés de New York au Montana. Il situe sa photographie du côté du constat d’un échec, le rêve américain se révèle une mystification et un leurre, la misère, la déchéance attendent ceux qui pensaient trouver de l’autre côté de l’océan, une terre d’accueil et de prospérité. Il n’en n’est rien. Stéphane Duroy décrit l’errance de ces nouveaux pauvres, un abandon programmé. 

Suite au renoncement à sa propre mémoire, l’identité des origines, européennes, s’efface, sans que puisse naître une autre identité, américaine. L’exil, la migration vers l’intérieur du pays n’ont plus rien à voir avec une conquête, celle de l’Ouest, légendaire, acte fondateur du Peuple américain, colonisation par des populations essentiellement européennes de l’immensité du territoire reliant la Louisiane au Pacifique. Cette migration récente en est un parangon, en joue le drame, se double d’une perte identitaire et d’un exil en soi, aux frontières du néant, du nomadisme. C’est un mouvement de fuite en avant, une désespérance. Tout est devenu éphémère, les migrants sont de nouveaux homeless, rappelant en plus triste les hobos des années de la dépression. Le mythe d’une Terre Promise s’est effondré. Les images que Stéphane Duroy rapporte donneront naissance à Unknown, livre paru en 2007. Une parenté s’établit avec Robert Franck, autre photographe: « Lorsque les gens regardent mes photos, je voudrais qu’ils éprouvent la même chose que quand ils ont envie de relire les vers d’un poème. »  poème à la Kerouac ou la Ginsberg, résonances de cette contre culture américaine dont Stéphane Duroy semble épris.

En 2009, un nouveau processus de création se met en place, et c’est au hasard que le photographe le doit, Il récupère aux éditions Filigranes une centaine d’exemplaires de son livre Unknown, promis au pilon et commence à le reprendre page à page.  Cette recherche plastique composée de collages et de ré-appropriation de certaines photographies de cette période, crée un nouvel espace d’interventions, une sorte de « locus » personnel fait de collages, découpages, d’insertion, de biffures, de juxtapositions. Stéphane Duroy a de nouveau 13 ans, il joue avec ses images, compose et recompose, une à une les pages de ce livre déchu et promu au pilon. Il reformule, revisite, re-interprète, un livre désormais totalement ouvert et multiple, il ne s’arrête plus, revient et recommence, une sorte de mouvement perpétuel, de mécanique créative s’est imposée à lui, contre l’oubli et le silence. Toujours insatisfait des résultats, il s’avance en terres inconnues, s’enfonce dans ce pays imagé, nourrit ce travail en expansion des figures même qui le hantent, encore et encore.

C’est un tout autre support qu’il faut considérer aujourd’hui, autre que celui qui était un aboutissement, une finalité, concluant un processus que représentait l’image publiée au final dans le livre,  le livre est, maintenant, un point de départ, une matrice, se déconstruit d’abord, se dé-fragmente, puis se régénère. Se projettent toujours au devant de lui, comme une route familière sans fin, dirait on, le fantasme illuné d’une réparation et d’une sortie de l’angoisse et de l’ombre. Stéphane Duroy  est happé par une « fuite en avant «  et le désir d’ aller toujours plus loin.  Ce travail, à jamais ouvert et sans fin, est une sorte de retour en avant. Il promet, après la relégation des ombres et le partage de l’abandon, un renouveau de l’homme…. et l’on songe malgré tout au manuscrit de « Sur la route « de Kerouac, exposé récemment à Beaubourg dans l’exposition « Beat génération ». Une oeuvre,  tel un serpent magique  se renouvelle dans la mue de ses anneaux, dans le temps. Voilà ce que découvrira Fannie Escoulen, quand elle cherchera à monter cette exposition « Tentative d’épuisement d’un livre. »

Au total ce seront près de huit cent pages (800) qui seront produites, ce qui me semble vertigineux,  dont  trente deux doubles pages (32) constitueront la chair du nouvel ouvrage « tentative d’épuisement d’un livre »  intitulé Unknown, (l’édition de 2007 est épuisée et ne sera pas retirée a priori, il reste quelques exemplaires à la vente, dixit Patrick Le Bescont), édité aux éditions Filigranes, dans une très belle formule originale; les pages forment un accordéon qui se déploie. On y lit l’ heureux aboutissement d’un premier livre, émanant de cette longue période. L’après… Sans doute cette matière sera  t elle à nouveau sollicitée pour une ou plusieurs éditions à venir…

Stéphane Duroy repart  sans cesse d’un même point, l’édition de 2007. C’est également pourquoi il est beaucoup question d’ »épuisements » dans le discours critique qui cercle le travail du photographe plasticien. Toutes ces pages n’ont pas la même valeur mais elles suggèrent, au delà de l’obsession, la mise en exergue d’un autre espace, cumul de l’ensemble des associations produites et formant idéalement, abstraitement un livre au delà du livre, un méta—livre, critique de sa photographie, dont l’exemplaire unique se situerait au delà de toutes les éditions, issues de la même source et y revenant paradoxalement, comme un point mystérieux, invisible et secret.

Again & Again dit aussi cet épuisement apparent de l’oeuvre originale, comme un centre perdu et hors d’atteinte, rendu aveugle et paradoxalement agissant à rebours, pour remonter vers d’inconnues abstractions, déconstruisant la photographie, devenant dessin, couleur,  trait,  collage,  biffure, insertion et montage, toutes surfaces permettant  à Stéphane Duroy de ré-accorder le renoncement à sa photographie et l’éternelle déchéance de cette Humanité souffrante à l’énergie des peintures de Jasper Johns, (the flag) R. Rauschenberg (Hedge 1964), , Wall Steet 1961, Axe, 1964.  Quelques pages suggèrent cette filiation.

…et quand on aborde les grands formats exposés sur les murs, issus des pages et terriblement agrandis pour jouer le rôle d’un autre support encore, cette fois les murs hauts du BAL, on pense déjà à ce que Cartier- Bresson disait de la nécessité de l’alignement, hier la photographie définissait un relais corporel entre la main et l’oeil, la pensée ou le coeur, pour voir cet alignement supplanté par d’autres gestes….le corps est sollicité tout entier, une implication plus globale a pris le relais, plus spatiale, moins distanciée, plus tactile et sensuelle, ce que l’on voit sur le petit film. Stéphane Duroy a changé de gestuelle,  il ne courbe plus son regard, il agit directement sur l’oeuvre naissante, comme un peintre ou un graffeur, quand il utilise la couleur, c’est au pinceau, à la bombe, son expression est directe… les gestes liés au corps photographiant ont muté. Stéphane Duroy est devenu artiste plasticien , il n’est plus uniquement photographe.

Il y a sans doute plus d’opportunités à relever le sens, en bon topographe, et à discerner ce que cette mutation porte de joies et de satisfactions, dans une oeuvre photographique, admirable et dense, mais dépressive et noire, pessimiste. On pourrait d’ailleurs trouver une correspondance entre ce rendez vous raté ( Beat Generation et Pop Art) et ce retour de flamme, passionnant et ouvert, sorte de contre-point à la clôture des territoires basculant vers la mort et la ré-invention d’un nouveau topos, recueil d’une pulsation ré-enchantant l’oeuvre, à rebours, où le geste trace de nouvelles limites et ouvre de nouveaux champs. Mais là encore, un nuit recouvre l’oeuvre et la clôt. L’oeuvre plastique relèverait elle d’un solipsisme?  Stéphane Duroy n a t il pas choisi cette citation qui fait alors sens?

«  On photographie des choses pour se les chasser de l’esprit. Mes histoires sont une façon de fermer les yeux. » F.Kafka

L’équipe

Stéphane Duroy a exposé à la Filature de Mulhouse ses séries L’Europe du silence en 2000 et Unknown en 2005 ; en 2002, a présenté à la Maison Européenne de la Photographie l’exposition Collapse, a publié L’Europe du silence, 2000 (Filigranes Editions), Unknown, 2007 (Filigranes Editions), 1297, 2009 (Filigranes Editions), Distress, 2011 (Filigranes Editions), Geisterbild, 2012 (Filigranes Editions), Guardian of Time, 2012 (Only Photography), Unknown #2, Tentative d’épuisement d’un livre, Stéphane Duroy, Éditions Filigranes, janvier 2017.

Stéphane Duroy a rejoint l’agence Vu en 1986. Il est représenté par la galerie In Camera.

Il présente Again and again au Bal à Paris jusqu’au 9 avril 2017

Stéphane Duroy expose aussi à L’ Espace photographique Leica 105-109 rue du Faubourg Saint-Honoré – 75008 Paris du 6 Janvier au 8 Avril 2017

PUBLIÉ DANS MOWWGLI DU 15 Mars 2017     http://mowwgli.com/11187/2017/03/15/again-and-again-stephane-duroy-bal-2eme-partie/

 

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