PASCAL THERME, PLASTICIEN DE LA PHOTOGRAPHIE: CATALOGUE RAISONNÉ.
SOMMAIRE
1/ ÉCLAIRAGE DE MA DÉMARCHE CRÉATIVE
2/ EYES WIDE OPEN, EN VOYANT
3 / 2005/16, EN AVEUGLE
4/ AU DELA, L’ESPACE DU RÊVE
5/ ANNEXES
Ouroboros
Tenir le monde entier dans son regard par Christine Delory Momberger
ÉCLAIRAGE GÉNÉRAL DE MA DÉMARCHE CRÉATIVE
En parallèle de mon parcours de photographe professionnel dans le monde du luxe, et de la Mode, un travail de recherche dans une approche plasticienne nait dès 1998, à la suite de la grande exposition du peintre David Hockney, au Centre Pompidou.
Il s’est agi de la réalisation de compositions photographiques, imposant de déconstruire en le décomposant en fragments un sujet tel qu’un grand paysage, pour en ré-associer les éléments selon une grammaire et une syntaxe, en recomposant son harmonie, souvent altérée, selon l’expérience d’un regard plus intime, accidenté, aléatoire, conformément à mon histoire personnelle et aux liens créés dans cette appropriation, recréation d’un sujet pour en donner une vision singulière, tant par le rythme que la couleur.
Ce travail multi-images appelé, ensuite, Méta-images en Fragmentations, est un panorama de mon environnement culturel proche, une forme d’auto-biographie visuelle, dans une écriture précise, où ces compositions se nourrissent d’une démarche plasticienne, fondée, à travers la recherche d’un vocabulaire plastique à l’épreuve de sa pertinence. (décrit plus loin, dans cette présentation).
Ces méta-images ont été peu exposées dans cette période, seulement à la galerie SPARTS (2012), rue de Seine, à Paris, puis à Toronto Art Fair 2014, ainsi que lors des quatre éditions du Festival International de l’Image Environnementale Paris, (2009/10/11/ 2012).
Une exposition au format monumental a eu lieu en 2021 à Ground Control, Paris.
HISTORIQUE, TROIS PÉRIODES DE CRÉATION.
ART MODERNE / ART CONTEMPORAIN
« Qui dit romantisme dit art moderne, – c’est à dire intimité, couleur, aspiration vers l’infini exprimées par tous les moyens que contiennent les arts. … » in Salon de 1846, Charles Baudelaire
EYES WIDE OPEN.
C’est par les Yeux Grand-Ouverts, EYES WIDE OPEN, évocation d’un regard éluardien, aimant, lucide, généreux, que s’est ouverte cette première période de création, expérimentations, invention de ce « nouveau » vocabulaire plastique, à partir d’une critique de l’instant T et de la perspective unique, définissant globalement la photographie dans son chant actuel.
Ce travail, commencé au Polaroid SX 70 (l’appareil et l’émulsion portaient le même nom) dans la construction d’une image complexe, en Voyant, se poursuivra, dans la seconde phase, en Aveugle, en argentique avec des films classiques, au téléobjectif, afin de produire des images plus complexes, plus fragmentées. La troisième période se concentre sur le montage en fondant les séparations entre les éléments et en fusionnant le tout, pour obtenir une image lisse, issue, cependant d’une dé-construction et d’une ré-écriture de l’espace intérieur…Cette production de grand format, ré-écrit un espace intérieur issu d’une disruptivité du point de vue, redevenu lisse, proche de l’espace du rêve, dans une couverture du champ visuel supérieure à l‘angle de vision normal ( 150/180 °), ce qu’aucun objectif à part le fish-eye dans ses aberrations chromatiques ne peut obtenir…
Débordant le regard, ma pratique de l’image devenue recomposée, s’annonce comme une vision intime, questionnant cette image latente qui se forme en soi dans ce qui fait Paysage, Portrait, Nu, Abstraction. Le travail de dé-construction, de ruptures, de rythmes, d’associations, d’accidents, de fragments et de recomposition, s’évertue à créer une harmonie nouvelle et personnelle. C’était l’ambition première de ces compositions commencées en Voyant, parce qu’il était loisible avec le Polaroid de construire une image complexe en la composant au fur et à mesure, dans le lieu même de la prise de vues et de pouvoir, en regardant, faire avancer la composition, élément par élément. Ce qui n’est pas aussi simple qu’il parait, en effet les fuites du 35 mm multiplient les incohérences du fond de l’image… Il faut alors savoir jouer avec l’espace et le regard.
PREMIÈRE PÉRIODE 1998/2004:
EYES WIDE OPEN est le titre de cette première période, une série de compositions photographiées au Polaroid SX70, a été réalisée entre 1998 et 2006/7. Je photographie mes sujets, paysages, intérieurs, architecture, nus, portraits, (tous sujets de la peinture) en les décomposant, en les fragmentant, afin de reconstituer une image globale augmentée. C’est un travail qui propose un élargissement de la vision.
Là où une prise de vue classique est dépendante d’une seule perspective et d’une fraction de seconde, cette vision cumulée permet d’ élargir, d’« augmenter » le sujet et son image, d’en transformer la nature physique à travers un rythme, une perception plus accomplie, de la rendre plus dynamique, plus vivante. La valeur de chaque Polaroid , de chaque élément est importante, comme dans un poème où les mots retrouvent une énergie particulière, seul et par leur association, dans le rythme d’une lecture.
Il ne s’agit plus d’une seule photographie, d’ un seul miroir, mais d’un travail qui associe selon une Direction Artistique précise, un certain nombre d’occurrences directrices requises pour « accoucher » d’une « étoile « dans une solution qui fasse sens et voyages.
Pour cela, mon regard déconstruit le sujet pour re-construire une image plus large dans un temps différentié. Nous ne sommes plus dans la perspective unique de la camera oscura et de sa projection inversée, ni dans l’instant T, mais dans un temps recomposé (Proust) et dans une recherche de plusieurs perspectives pour mettre en scène un élargissement de la vision, ici, augmentée, et, ce, bien avant que les logiciels et l’IA ne s’imposent comme vecteurs de création… les premières compositions naissent avant les années 2000, le travail n’est pas médiatisé par un logiciel ou même l’ordinateur. C’est une expérience de pure photographie.
DÉMARCHE PLASTICIENNE
Cette démarche plasticienne, propose une autre approche du Voir, du Regard, du point de vue, en photographie. Ce travail repose en partie sur une nouvelle grammaire de l’image, dans l’utilisation d’occurrences directives différentes à chaque composition. Le couple Déconstruire-Reconstituer, est au cœur de cette pratique, d’où le sous titre: L’expérience de la fragmentation et de la recomposition d’un plan photographique : un au delà de l’image fixe, introduisant le concept de Méta-Images en Fragmentation.
A vouloir questionner l’expérience du regard en pleine inflation et perte de repères dans nos sociétés post- modernes et mondialisées, cette démarche signe peut-être par là, sa modernité. Elle se fonde sur une approche sémantique, grammaticale; elle propose également d’expérimenter une tolérance, de questionner ce regard qui cherche toujours à unifier dans l’espace social une représentation du monde tel qu’il semble perçu, conventionnellement, ce qu’il convient de voir, non pas ce que la photographie montre, souvent très idéologiquement.
PISCINE JACUZZI
Cette composition a été réalisée lors d’un séjour en Caroline du Sud, à Hilton Head, Aout 2000, dans un hommage au Pop Art et à David Hockney. Deux perspectives différentes sont ici accordées, le jacuzzi n ‘est pas dans la perspective de la piscine et de la maison. Cette incohérence du point de vue, devrait faire « jurer » l’image. Hors, il n’en n’est rien. Le regard « compense » l’incohérence des deux points de vue qui se rétablit dans l’image globale, voire, s’ en trouve séduit.
Lors de cette première période de création, j’ai cherché à tester et provoquer des accidents pour rendre le regard moins dépendant de l’uniformité conventionnelle de la photographie, en introduisant des aberrations, en plus de rompre avec le temps décisif, le point de vue unique régi par la perspective unique.Il m’a fallu introduire un déplacement du regard, une narration, dans un rapport au cinéma, créer ce nouveau rapport singulier à mes sujets et en faire des compositions articulées, mises en scène, fluentes.
J’ai toujours pensé que celles-ci s’apparentaient à des histoires courtes, à quelques secondes de cinéma, car, à partir de chacune, dès lors que le regard s’attache à entrer véritablement dans l’image, une fiction peut y prendre place, s’en emparer, s’y jouer….Œuvre de l’ Esprit, donc, en laquelle une parole et un silence circulent.
HISTOIRES DE BÉRÉNICE.Histoires de Bérénice, a été réalisée dans la continuité d’une narration photographique, en 2006, utilisant le catalogue Francesco Smalto A/H 2005/6 réalisé précédemment par mes soins, pour l’ étude d’une image publicitaire de la ceinture Smalto, projet mis en scène et en images dans un hôtel particulier du Marais. Tout un contenu érotique chic établit un jeu de mot à travers le sicle SM inscrit dans la boucle de ceinture, Une continuité narrative en un seul regard, un seul temps, nourrit ce lien avec un film court.
LE MYSTÈRE DELA CHAMBRE VERTE.
Le décor de la chambre verte, très américain, par ses éléments de décoration, devient un sujet topique, artificiel comme un décor de théâtre ou de cinéma, en opposition avec une maison de charme européenne… La décoration semble de bonne facture, mais sans véritablement d’originalité.Tout semble factice, inerte, sans âme, vide.
A travers le côté « artificiel » se crée un climat étrange. Je joue ici, avec la lumière ambiante et l’immense lit qui occupe tout l’espace central. La chambre devient par son décor de série américaine, le lieu projectif de tout un cinéma américain, le lieu ambigu d’un drame glacé, recevant toute l’angoisse refoulée de la société américaine, à travers ses peurs et ces récits d’agression. Il semble qu’il pourrait y avoir, au propre comme au figuré, un cadavre dans le placard, dans une évocation du mode de vie assez paranoïaque d’une certaine Upper Middle Class américaine. Une inquiétante étrangeté sourd de ce décor, sa fausse sérénité ne fait pas illusion, le Polaroid inscrit le hors temps psychologique d’une Amérique filmique telle qu’elle sert de sujet au cinéma des frères Cohen. Tout parait normal, en apparence…
LE VASE D’OR.
Le Vase d’OR, est issu de la série des Intérieurs Parisiens. Il est construit à partir du point central jaune or. Le vase, pour rester jaune or est éclairé à contre-jour. Dans le plan de la lumière venant de la fenêtre, il aurait été opaque. Il s’agissait là d’une intention picturale: créer par touches, par éléments, comme un peintre en se servant de la lumière. Il a été nécessaire de déplacer physiquement la table et les chaises plusieurs fois, afin que les fonds soient raccords. Il est particulièrement « excitant » d’entrer dans les lois de correspondance, de passer du volume au plan, dans une harmonie cohérente, lisible, afin d’accoucher d’une étoile, en référence à la célèbre formule de Nietzsche.
le titre est un hommage au romantique allemand ETA HOFFMANN et de son conte, le Vase d’Or.
PORTRAIT DE FRANCK BOCLET ET DE MADEMOISELLE YOUN SHON BAK.
Portrait de Franck Boclet, Directeur Artistique et de son assistante Mademoiselle Youn Shon Bak, qui lui succédera à la Direction Artistique de la marque Francesco Smalto International. Ce portrait double a été réalisé au show room de la marque. 25 Polaroids SX70.
ABSTRACTION 1.
Lors de travaux d’intérieurs, je crée cette composition de 24 Polaroids SX70, dans une continuité entre la vie quotidienne et des sujets apparemment « pauvres », qui m’intéressent cependant, parce que non conformes. Ici un Still Life.
DEUS EX MACHINA
Réalisation du premier grand portrait au format 1, ce portrait a été conçu, suite aux prises de vues et au montage comme une question: qui regarde qui à travers cette image d’un voyeur vu, ou aperçu,? La composition est à forte valeur érotique, introduire le personnage dans une chambre, afin qu’il soit une sorte de témoins d’ébats érotiques apporte une sorte de piment si, bien sur le couple sollicite cette fréquence. D’où le rapport au théâtre et à ce Deus ex Machina…
HISTOIRES DE BÉRÉNICE 2.
Histoires de Bérénice est une narration photographique ou un personnage se déplace dans toute la composition. Les films Polaroïds étaient plutôt bleu-verts, avec des accidents d’émulsions dus à leur conservation (chaleur), ce qui était assez courant avec ce type d’émulsion, à l’époque. Dans ce conte érotique, Bérénice s’enflamme au centre, ceci étant, objectivement du à ces accidents. Ce qui pouvait prêté à une interprétation plus symbolique, y a t il un hasard agissant dans les phases de création et de manipulation démulsios instables?
Cette narration photographique prend comme sujet principal, tout autant la jeune femme, qui se déplace tout au long des images que la ceinture qu’elle brandit à plusieurs reprises. Une relation duelle entre un sujet et un objet, ici fétiche, deux objets du Voir, dans une mise en scène évoquant domination sexuelle, jeux sadomasochistes, à l’instar de la marque Francesco Smalto International, commanditaire de cette étude proposée. La réalisation et la mise en scène de ce petit conte cruel érotique imposait de s’attacher à présenter la ceinture dont la boucle est un sigle SM faisant référence à Sacher Masoch, dans un plan itératif de l’Éros.
BREATHING PARIS
BREATHING PARIS, Vue depuis mon balcon sur le boulevard Richard Lenoir. Le titre Breathing Paris est du à Gordon, américain, qui, par ce titre voulait signifier que notre vie parisienne était beaucoup moins stressante que sa vie à Atlanta. Les bleus et le couchant, la période de ces années là, ne pouvaient que lui donner raison.
RÊVE DE CENTAURE
On joue ici avec le corps nu et sa mise en scène; What ’s on a man’s mind? Était cette question inscrite sur le portrait de Sigmund Freud, ou le corps d’une femme nue s’imprimait sur le visage du psychanalyste, affiche bien connue et fort prisée de nos jeunesses. Le titre est ici « Rêve de Centaure » .
Le personnage à gauche habillé semble imaginer, rêver, fantasmer cette scène où une jeune femme nue, désirable, complice, attend la venue du centaure torrentiel (référence à Picasso) pour une joute sexuelle sans doute conforme à ses attentes. Qui rêve de quoi et de qui? Un permutation des rôles pourrait également s’entendre, si le désir circule comme une parole active autour des amours pour également porter, provoquer un jeu certain dans une certaine jouissance… comme si ces personnages étaient trois locuteurs, fabriquant ces mises en abîmes de leurs Mille et une nuits?
LE TEMPS DES CERISES.
Le temps des cerises est un hommage à la Commune de Paris, ici dans une scène bucolique et fraternelle, amicale. Nous avons chanté ce jour là, en ramassant de grosses cerises noires, cette chanson devenue populaire, issue de nos mémoires adolescentes. Le temps était aussi superbe et les amis « au poil. »
PARIS, NOTRE DAME, DEPUIS LE PONT DE L’ARCHEVÊCHÉ.
Cette composition a été réalisée sur film polaroid polachrome , sur le pont de l’Archevêché, en raison des gris de l’émulsion et de la distorsion des fuites a droite et à gauche de l’image, sorte de première expérience du montage dans le cumul des bateaux mouches qui passent sous le pont, pour animer la Seine. De fait, seul un bateau à la fois, peut passer… Le jeu avec le champ photographique et l’espace réel, permet d’inclure des éléments improbables selon la réalité, mais intéressants pour la composition…
MILES 0, ROUTE N°1, KEY WEST, USA, 15 POLAROIDS SX70.
Cette composition, a été réalisée à Key West, Floride, départ de la route numéro 1, qui démarre à Key West, grâce à l’Overseas Highway, sur 87 kms de ponts surplombants l’océan, comme si on volait littéralement sur l’eau dans un état de suspension, de pure vision, de grâce…
Tout l’espace urbain américain est immédiatement identifiable au premier coup d’œil, dont la borne incendie rouge au premier plan et les panneaux de signalisation, qui sont un marqueur connu. L’ambiance de Key West, avec son ciel bleu et l’architecture en bois peint de ses maisons est aussi permanente que la chaleur moite présente. Il y avait une certaine fascination devant ce point de départ et de fin, en même temps; il suffisait de traverser la rue pour les inverser et se trouver, sur un trottoir à la fin de ce long ruban de 3813 Kms, ou à son départ. J’ai adoré cette idée enfantine de franchir en quelques pas cette distance imaginaire, comme dans un conte pour enfants.
ATLANTA, LA MAISON DE GORDON.
L’identité des banlieues américaines de l’upper middle class, intègre cet American Way of Life agréable. Ici, la maison est toujours un lieu privé ouvert sur son jardin, sans clôture, sans délimitation plus précise du privé sur le public (la route). Les maisons sont d’excellentes factures, intégrant généralement pas mal de terrain avec beaucoup d’espace autour dans une respiration backyard et de très grands pins, comme en pleine forêt; on est ici dans un des quartiers huppés d’Atlanta.
ATLANTA SKYLINE
2004/2016, DEUXIÈME PÉRIODE: L’EXPÉRIENCE FORMELLE, AMPLITUDE.
A cette première période de création, en Voyant, s’ouvre une seconde période de création dite en Aveugle, les prises de vue sur films classiques étant développées aux retours des voyages, nécessitant l’utilisation de téléobjectifs (80, 105, 180mm) afin d’augmenter le nombre d’éléments entrant dans la composition, pour une plus grande plasticité de l’image finale dans un montage plus complexe, dans un format d’image final bien supérieure, afin d’augmenter la proposition immersive.
Les prises de vues se font sur films classiques, ektachrome ou négatif couleur, aux développements ultérieurs. La prise de vues devient un acting, bannissant toute erreur potentielle et favorisant les accidents de parcours. Deux intentions se conjuguent, dans la construction d’ordre mathématique, apollinienne, une « grille » se superpose au sujet dans une interprétation active. Les balayages horizontaux et verticaux, sollicitent une intuition inspirée de l’espace, une sorte de respiration profonde, hors de tout recours à un pied photo à bulle ou à un croquis architectural préliminaire, comme un relevé topographique..
Je réalise en ces années 2000, que mon regard est agi par la vitesse du monde et les ruptures du réel, tandis que je m’intéresse de plus en plus au montage, à l’écriture photographique, mobilisant un certain nombre d’occurrences, afin de ne pas juste déplacer mon seul regard sur le sujet, paysage, architecture, nu ou autres, mais de construire véritablement un « objet photographique » qui répondent la fois de la dialectique de mes rapports au monde dans leurs dialogues et aux rythmes plus précis pressentis pour faire « swinguer » l’image globale finale, cette méta-image à la conjonction de plusieurs possibilités. Ce qui introduit de façon effective une réflexion préliminaire et un choix dans la prise de vues, puis le montage.
Les occurrences utilisées dans ces expériences formelles constitutives de ces Méta-Images sont :
- l’abandon de la perspective unique,
- Abandon de l’instant T; recours à un certain multi-perspectivisme et à une temporalité constituée de différentes temporalités. La prise de vues peut s’étirer sur plusieurs heures, jours, voire saisons…
- Avec la possibilité d’axes différents. le changement et le raccord de perspectives différentes à l’intérieur d’un même plan à reconstituer sont sollicités.
- Possibilité du travelling latéral.
- la variation et la multiplicité des points de vues. Mixer par exemple un panorama, vu depuis une colline, deux prises de vue à deux « altitudes » différentes, mixer des parties du paysage qui apparaissent plus fonctionnelles et qui ne sont pas a la même hauteur, afin d’arriver à un idéal du paysage ou à un paysage idéal.
- le recours à un différentiel dans l’utilisation de la mise au point , le flou, le net.
- l’animation de la discontinuité du point de vue et la mise en scène de ces ruptures, le recours à la répétition, à la soustraction, à la syncope dont la suppression ou le redoublement d’éléments; la ré-écriture de l’espace en changeant certains éléments de place, la répétition d’un même élément, faire bégayer l’image.
- Produire une dynamique du regard qui se déploie dans un rythme, à travers les ruptures de la composition; pour exemple l’horizon.
L’angle varie de 180 à 400 degrés, au-delà du cercle pour avoir une entrée et une sortie dans l’image, de manière à déployer le paysage dans un vertige et une aspiration globale, plan déployé selon le cercle et la rotation. Ce n’est qu’à la phase du montage que la spatialité se recompose, selon le sens de lecture occidental, de gauche droite.
Ce temps discontinu me semble plus proche de l’expérience vécue d’un temps psychologique purement individuel et personnel. Comme le regard ne peut se repaître en une seule fois du spectacle constitué devant lui, sur 360 °, il a tendance à revenir sur ses traces, à s’arrêter, repartir, revenir, pour s’émouvoir de la totalité et de pouvoir en saisir le flux, en recueillir la force ou la beauté. Quand on se déplace sur un sujet plus large que le champ de vision, que voit-on, au juste ?
(cf. les travaux sur la physiologie de la perception). De fait, on interprète et synthétise l’expérience du voir pour construire sa propre image résiduelle, mentale, et pouvoir l’ identifier, la reconnaître, la re-sentir, éventuellement la penser…
SAVAGE ROAD
Savage Road in Connemara, Irlande, 57 éléments, est une composition en référence au roman de Jack Kerouak On the Road et au texte original de plusieurs dizaines de mètres de long, se déployant comme une route qui file à travers le paysage, vers l’infini. C’est une métaphore de ce qu’est la vie, semble t-il, un long ruban d’évènements plus ou moins heureux qui défile dans le temps, comme cet asphalte qui s’enfuit sous le regard, vers les montagnes lointaines, bordé, de prairies, dans une vision graphique, contrastée au ciel bleu moutonnant sous un soleil radieux; la route devient ici promesses d’accomplissements et de paix, tracée droite et filant à travers un paysage sauvage, aux prairies « grasses », comme une vision éphémère paradisiaque d’un chemin qui file alerte devant soi, sans détour, sans virage.
MAISONNETTE AU FOND DU JARDIN, BRETAGNE.
120 éléments ont été nécessaires pour composer ce portrait de la petite maison au fond du jardin, en Bretagne, pendant l’été 2005. L’utilisation du différentiel netteté, flou, a été un marqueur essentiel de la composition, dont l’assemblage, l’Harmonie, ne supporterait aucun changement…sinon la composition qui établit une présence de cet équilibre devient d’un formalisme un peu académique, tuant l’image dans sa proposition d’une maisonnette toute simple.
THARON PLAGE, BRETAGNE.
L’été est propice à la création, nous sommes en Bretagne, la plage me parait un excellent sujet avec ses promeneurs, ses estivants. Il est midi, la chaleur est là, lumière écrasante, mais le parfum de sel marin lié au varech, porté par le vent fait d’un coup « décoller » visuellement la plage, avec le cri des mouettes et la qualité pulmonaire de l’air que je respire à grands traits. La composition semble fuir devant moi comme cette involonté décrite par René Char dans les « Feuillets d’hypnos »………sommes nous toujours bien réveillés, prêts à lire ce qui advient, à rester disponibles et ouverts, sans soucis, à prendre le temps de vivre, de se laisser porter par l’été, la plage, l’océan et le bain de mer quand les vagues sont encore ce sourire d’un jour de vacances?
HOMMAGE À EdDWARD HOPPER
Atlanta, USA, portrait de la maison d’en face, qui me fait penser à Edward Hopper, sans savoir plus précisément pourquoi. Il s’agit toujours du portrait de cette Amérique de l’uppert middle class, sans doute dans ses références à cette culture de l’efficacité et de la dépendance au billet vert, dans cette apparente facilité de se réjouir et d’oublier les conflits, domestiques ou professionnels, dans une certaine aptitude à ne plus penser…
JESSICA, PARIS.
Cette composition de 9 éléments est une une critique de l’instant T. Il s’agissait de décomposer le mouvement où Jessica se déshabille, non pas arrêté à l’instant décisif de son geste, mais dans la durée du glissement, autrement plus énigmatique. Ce que recouvre ce geste est dans son déroulé, sa suspension également, une ambivalence entre ce qui se montre et ce qui se découvre; prolongation de ce moment dans le fantasme du regardant; le corps apparaissant à un point où il se donne, de ce qui se dénude, intentions d’un temps circulaire recomposé, pour accentuer la propagation, la résonance, la durée interne, de ce strip-tease improvisé en mouvement, ici, par ses 9 photographies qui se chevauchent sans se recouvrir totalement.La fragmentation est aussi un appel, après la dé-construction du plan en 9 parties, à la reconstruction de celui-ci par les associations, au glissement du regard sur le corps alors en mouvement. Il s’agit, bien des 9 moments où le regard a balayé le sujet en train de se déshabiller.
TOIT TERRASSE de la CITÉ RADIEUSE
J’avais toujours souhaité visiter la Cité Radieuse à Marseille, et me voilà sur son toit terrasse, sans que personne ne m’ait rien demander, parfaitement libre d’approcher l’espace et l’architecture dans leurs lignes et leurs couleurs. Je remarque tout de suite les dalles de grès gris-rouge qui redessinent l’espace au sol, l’ombre, qui reprend grâce aux contrastes, les volumes et la cheminée, assez totémique, en plus du bassin aux carrelages bleus et ce profil de bâtiment, pour faire jaillir le sens de cette Cité, conçue comme un bateau, un bâtiment qui file dans le paysage, avec son nombre d’or, son modulor, et ses appartements en duplex.… A ce moment je suis un capitaine au sommet du château, en roue libre vers cette composition qui attirera les meilleurs compliments d’amis architectes, plus tard et visiblement le désaccord des ayants-droits ayant exercé une forme de censure sue ce travail.
DÉSERT BLANC
Je suis au Brésil, dans le Nordeste, pour photographier la finale mondiale d’une célèbre agence de mannequins. L’endroit est paradisiaque; je m’échappe pour photographier le grand petit canyon, et cette oasis en plein désert, à deux pas de la côte. Le sable est comme immaculé, magnifique, le vent dessine de petits reliefs, le vert de l’oasis tranche, entre le végétal et le minéral, tout un paysage idyllique se dessine et se donne. Pas un bruit, juste un peu de vent chaud, il est midi, le paysage s’étire, apparait, parle au creux du silence de la beauté de l’inaccompli dans l’accompli
Intérieur parisien avec personnage, FH et son double, salon du collectionneur, rue des dames, Paris 17ème, 180 éléments, 100X260cm, 2010, 1/7. Cette commande m’a enthousiasmé, par son ampleur et sa construction. 180 photographies la constituent sur un angle de plus de 380 degrés, et ce fut un Bang à son accrochage dans cet espace, un dialogue magique venait conclure le rapport entre l’espace du salon et son image, comme si une dimension supplétive venait inscrire le volume dans le plan sans que l’un ou l’autre des deux n’aient à en souffrir; bien au contraire, cette mise en relation était productive, intelligente, sensible, euphorique.
ÉOLIENNES EN CHABLIS.
Je suis séduit par le chemin qui file jusqu’au petit bois, tout à fait charmant, et dont la silhouette se découpe sur le fond jaune des blés, alors que cet immense champ de tournesols file jusqu’à l’infini et que les grandes éoliennes, photographiées plus tôt, semblent « sages ». Cette composition est intermédiaire, elle comporte une partie fusionnée et une autre encore fragmentée, d’un grand format, 140X210 cm afin que l’immersion du regardant soit conséquente et qu’on se retrouve visuellement devant le charmant petit bois qui m’attire dans un effet de lointain-proche, proche-lointain, comme si le regard pouvait être assez quantique pour être en ces 2 points en même temps. Il y avait un côté très impressionniste a être au sein de ce paysage et de le photographier.
DERNIÈRE PÉRIODE DE CRÉATION: FUSIONS INTÉGRALES
L’ESPACE DU RÊVE
Julia on the Hill, Connemara, Irlande 2008, 40 éléments, 80X120cm, 1/7,
JULIA ON THE HILL, Connemara, Irlande, 40 éléments fusion à 100%, 2008, 80 x 120 cm et l’épreuve fragmentée 40 éléments…non exposable.
Julia on the Hill a été réalisé en Irlande au Connemara, l’été 2008. C’est une composition de 40 éléments sur un angle de 280/300 degrés environ, et, formellement le point d’aboutissement des fragmentations. Ici tous les raccords d’images ont été gommés, afin d’arriver à un moyen format lisse, unifiée. Aucune des sutures n’apparait plus. Ce pourrait être une photographie classique de prime abord… sauf qu’à bien regarder quelque chose cloche… mais quoi? La Direction Artistique des prises de vues, puis du montage ont été de fragmenter sur 280/300 degrés environ le paysage avec le personnage. L’utilisation d’un 105 mm, jouant sut l’hyper focale, m’a permis de simuler le résultat optique de la Chambre 4X5 inches pour sa définition, une netteté du premier brin d’herbe à l’infini du ciel… dans une hyper netteté. La composition retrace un point de vue qu’aucune caméra, aucune optique ne peut rendre.
La ré-écriture des raccords et du ciel, dans ces couleurs, comme l’aberration crée par la sensation d’éloignement du personnage, qui semble « flotter » dans l’espace, alors qu’il se trouvait à quelques pas, donc plus proche que ne le laisse supposer l’image finale. J’ai eu le sentiment profond de photographier ce jour là, l’espace du rêve, en couleur, où les distorsions de l’espace-temps sont fréquentes, avec je ne sais quoi de singulier et pourtant de très réel… influences des oneiroi…
LA BOURGOGNE ET SES GRANDS CRUS DANS LA TRADITION CISTERCIENNE ET SA MODERNITÉ.
L’or des vignes au Clos de Vougeot, encloses et libres alentours, portrait en un seul temps.
Ce portrait du Clos de Vougeot et de son environnement, a été réalisé à l’automne 2019, depuis la route qui serpente entre les Grands Crus, de Dijon à Meursault. 120 éléments ont été nécessaires pour réunir et faire jouer ce grand paysage dans le regard. Cette composition comporte une fusion des sutures des éléments, précédemment juxtaposés. Le format est un très grand format pour un très grand paysage, afin de pouvoir s’y immerger et retrouver le voyage de l’œil et s’en enchanter. Le Fichier natif est de 140X435cm. Et comporte la possibilité de sonoriser le paysage avec les pépiements graciles des étourneaux…
Le Portrait du Clos de Vougeot, célèbre château bourguignon, producteur du célèbre vin aux vignes larges, est entouré des Grands Crus classés. La couverture angulaire de ce panorama est d’environ 260/280 degrés. Les 120 photographies qui ont été nécessaires pour le « construire »,sont fusionnées ensuite, afin de servir l’ampleur subjuguante de ce lieu historique et de le présenter dans son unité première.
Les prises de vues ont été réalisées à l’automne, quand la Côte de Nuits est d’Or. L’océanité des vignes n’est pas uniforme, elle joue de ses rythmes musicaux et de ses variations, comme dans une allusion à un concerto ou une fugue. Le paysage est vivant, dans sa lumière, dans son être là, dans ses détails, dans un présent, visuellement dans ce qu’il est poétiquement, au moment où la lumière tourne, quand il se ponctue de présences, qu’il dévoile son âme. Il y a là sans doute une volonté à vivre ce grand paysage et le rendre à sa respiration, dans une sorte d’éveil et de contemplation. On peut voir les vols d’étourneaux sur le ciel d’Octobre, et la majesté d’un paysage de plus de 900 ans, au ciel rehaussé à la manière des peintres impressionnistes de l’ïle de France, habité, lumineux, dans une sorte de mobilité intérieure.
La lumière de cette Côte de Nuits,( Nuits Saint Georges ), en Septembre, fond le paysage dans ses ors, le ciel se délivre des brumes matinales, le ciel bleu parait, l’océan des vignes encloses et non closes, est une humeur matinale qui embrasse et qui relève. Le promeneur s’égaie aux vols des étourneaux qui passent en nuages sonores, pépiements et cris, joies, poésies profondes des lieux. Quand le soleil caresse le midi, l’appel des vins de hauts lignages se fait impérieux.
Le photographe est alors un homme simple, une humilité met son travail, sa technique au service de la majesté historique des lieux, résonnant de tout l’immémorial qui le précède. Une ambivalence, gouverne du visible et de l’invisible, à la fois subjugue et relève le regard; ce haut lignage historique faisant sens dans sa contemplation. Il induit tout un imaginaire qui semble parfois reposer, affleurer aux grappes de ces vignes, en libérant son hôte de toute dépendance immédiate.
Certaines fusions s’appliquent à servir, sans effet, la contemplation dont elles sont issues.
Ce travail est à destination des amoureux et des fidèles ouvriers du Paradis, ces vignerons qui travaillent à l’exception du Temps, dont l’étoffe trouve ici son accomplissement aux pieds de ces vignes, faisant chapitres au château, promulguant cet Esprit du vin, devenu mage, élégance, subtilités, encensements, présences, et dont l’esprit parait au pas de la vigne, car doué toujours de cette générosité transcendante et liturgique.
En ce paysage sonore, haut lieu de ces climats de Bourgogne se cache une poétique propre à célébrer par l’image ce patrimoine, désormais intégré au patrimoine mondial de l’Unesco.
PORTRAIT DES GRANDS CRUS CRUS EN MOREY SAINT DENIs
Dernier né de la série des fusions, ce portrait des Grands Crus et premiers Crus du village de Morey Saint Denis, Octobre 2023, 170X640cm.
Retour sur ROCS ROUGES: OUROBOROS.
HOMMAGE À HOCKNEY, ROCS ROUGES, BRÉSIL NORDESTE, 69 ÉLÉMENTS, 60X275 CM
La composition fragmentée Rocs Rouges a été réalisée sur la côte Nord-Est du Brésil en 2008. Forte de 69 éléments, elle ouvre un panorama de plus de 360 degrés, avec entrée et sortie, montrant la répétition d’un cycle ouvert et fermé. L’objectif était de déployer l’espace par fragments et de recomposer un ensemble ou, plastiquement les occurrences retenues sont le rythme, la couleur, la circularité. Le panorama reconstruit parle d’un déploiement et d’un regard circulaire, rendant hommage à un site superbe, fait de terres rouges et de canyons, dans un rappel du Grand Canyon de David Hockney.
L’envie d’inscrire ce paysage dans une fragmentation a répondu également du souvenir de l’exposition d’Hockney à Beaubourg dix ans avant, boucle temporelle, rejouée ici, par l’évocation de l’installation picturale hockneyienne et la circularité du déplacement de ma photographie…sur un site beaucoup moins imposant, mais connexe, trouvaIt ainsi une situation originale, conjuguant mémoire picturale et actualité des prises de vues.
Les prises de vue sont réalisées sur FILMS argentiques, rendant toute vérification impossible sur place. il s’agit de développer le cercle du panorama sur 380 °, en exerçant une rotation complète sur le paysage, scandé par le rythme de l’océan au loin, dont la découpe entre le ciel bleu et la terre rouge, assure la balance des couleurs primaires.. La circulation de mon propre regard sur le paysage afin de déployer l’horizon et la rotation du corps sur 360 degrés comme si le paysage circulaire s’enfantait lui même et se dévorait en même temps donne la possibilité de percevoir la totalité du cercle en un coup d’oeil.
Le chiffre 69 (3X23) n’est pas un hasard non plus. Visuellement, le nombre 69 est symétrique, il relie deux éléments graphiques à la fois opposés et identiques. Il évoque l’union, la fécondité et l’équilibre, dans une perspective dynamique. C’est une évocation du Yin et du Yang.
Par ailleurs, la graphie du nombre 69 évoque étroitement le taijitu, symbole taoïste du yin et du yang qui exprime l’harmonie et l’équilibre, rendus possibles par l’union des contraires. Le yin (noir, négatif, matière, nuit, hiver, féminin…) s’unit au yang (blanc, positif, esprit, jour, été, masculin…), sans que l’un des deux principes ne soit jugé inférieur l’un à l’autre. Il y a là aussi une citation de l’Ouroboros, symbole alchimique du serpent qui se mord la queue : le serpent se mange et se fait manger (dualité) mais il n’y a qu’un seul serpent (principe d’unité cosmique). Placer cette composition sous l’augure du nombre 69 évoquait les résonances du cercle et de son centre, dans un éternel mouvement…
Le paysage se compose des trois éléments Terre, Eau, Ciel (Air), la chaleur du lieu, le feu s’inscrit également mais ne peut être pris en charge par la photographie. Deux événements s’incluent également, un homme photographie deux jeunes femmes, action touristique, un ULM vole à basse altitude. Le paysage vit ainsi son lien avec les pratiques sociales contemporaines.
Au delà, Rocs Rouges exhale sa solarité, donnant à voir un monde minéral sculpté par l’érosion et le temps, dans un rendu immémorial.
Pascal Therme, le 8 Septembre 2024.
Découper le monde pour le tenir entier dans son regard. Par Christine Delory-Momberger
Fragmenter, parcelliser, segmenter le monde pour mieux le saisir, se l’approprier, l’embrasser dans son amplitude, en faire son univers et faire corps avec lui. C’est avec minutie, précision, patience que Pascal Therme entreprend cette œuvre de re-façonnement du réel par la photographie en ne voulant rien en perdre, pas un détail, pas une ligne, pas une ombre ni une lumière, et le donner ainsi à voir au regardeur comme celui-ci ne l’a jamais perçu. Travail titanesque.
On quitte ainsi la position du marcheur dans le paysage qui, au fil de ses pas, ne le voit que du point de vue où il se trouve : avec Pascal Therme, c’est la vision d’un monde à 380° – et s’il était possible encore au-delà –, qui est tentée. L’entièreté de l’espace visible se donne à saisir dans ces images, sollicitant l’effort du regardeur pour entrer dans l’attention que le photographe a mis à décomposer-recomposer les lieux qu’il a photographiés et construire, petit carré par petit carré, le puzzle photographique d’un « monde total ».
C’est d’abord avec un appareil Polaroid que Pascal Therme a commencé ce travail d’exploration du monde. Alors que le « paysage photographique » classique, avec ses jeux de champ et de hors-champ, est réduit à un cadre que le photographe découpe dans la matière du monde, Pascal Therme veut nous en rendre la vue complète et nous faire percevoir le visible dans ses formes mouvantes, agitées, faire éclater la surface pour qu’apparaisse un invisible inédit. C’est ce geste inouï qui le meut et le travail acribique qu’il met en œuvre relève d’un « lever de terrain ». Le « polaroid est un élément de langage pour « polariser » ce que le monde nous offre à regarder », dit Didi-Huberman ; matière sensible capable de polariser une lumière qui la traverse, de rendre un rayon lumineux réfléchi ou réfracté incapable de se réfléchir ou de se rétracter à nouveau, il rend l’épreuve unique, parce que sans matrice et sans négatif, de la saisie d’un moment, d’un instant advenu puis disparu. Le photographe joue sur cette polarité d’un enregistrement de moments T en plusieurs séquences successives et, pour cela, il découpe le paysage en autant de petits carrés d’images qui, mis côte-à-côte, créent un montage destiné à reconstituer la vue qu’il en avait à ce moment-là. À cela près que ce n’est, volontairement, pas jointif, que les lignes d’horizon se décalent un peu d’un carré à l’autre, et que l’en- semble légèrement instable provoque un vacillement, un tremblement, un bégaiement, et montre à voir un réel qui semble travaillé par des mouvements internes. Dans cette entreprise de déconstruction et de reconstruction qui ouvre sur un espace dilaté, rythmé par le passage de volumes aux plans, l’élargissement du champ visuel étourdit le regardeur et le fait entrer dans une dimension multimodale où sensations, réflexions, questionnements s’entremêlent face à la plasticité tremblée de l’image.
Pascal Therme a appliqué le même procédé en utilisant des films inversibles Ekta. La prise de vue se fait ici en aveugle, et cette fois rectangle par rectangle, sans que le photographe puisse savoir si ce qui a été photographié est conforme à ce qui a été vu. Ce n’est qu’à la fin, au résultat final, qu’il est possible de voir si tous les éléments sont présents pour le montage. Cet acte photographique relève d’une performance artistique où le photographe se risque, dans une manœuvre unique, à capter la globalité d’un espace visible dans un rapport tactile et intuitif et dans une anticipation constante d’un résultat escompté. Le fait d’utiliser un film inversible est, d’une certaine façon, en continuité avec l’utilisation du film polaroid, puisque tout comme lui il enregistre la lumière dans son émulsion directement en positif, sans inversion de valeurs comme c’est le cas avec le négatif. La photographie est ici un « art de faire » avec une matière pour composer les éléments disjoints d’un collage qui les ré-assemblera en une œuvre unique.
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